La stratégie d’une organisation se décide en haut lieu, charge ensuite à la structure de prendre les dispositions techniques et humaines pour améliorer chaque processus, jusqu’à la micro-tâche, et atteindre les objectifs fixés. Depuis Taylor et l’idée que l’organisation de l’entreprise est une science, nous n’avons eu de cesse d’adapter les organisations à leurs ambitions avec l’idée que c’est en organisant correctement les processus que l’on améliore les indicateurs voulus : rentabilité, temps d’exécution, satisfaction client… Mais comment adapter ce principe quand l’indicateur est aussi fugace et complexe que l’innovation ?

L’enjeu : adopter une culture de l’innovation à tous les niveaux

Les concepts liés aux innovations de rupture sont de mieux en mieux compris au sein des entreprises, c’est un fait acquis et l’on peut s’en réjouir. D’abord parce que cela fait quelques années que les sujets comme l’intelligence artificielle, le machine learning ou encore la blockchain sont expliqués et illustrés par des cas d’application par les médias ou dans des conférences. Ensuite, parce que la recherche de performance et de productivité couplée à une culture digitale croissante ont permis une adoption plus rapide des outils numériques, largement diffusés dans la sphère privée comme professionnelle. Aujourd’hui, l’enjeu est de s’assurer que l’organisation permet de tirer le meilleur parti de l’innovation, ce qui amène à redéfinir les structures. En effet, les modèles ont été profondément bouleversés en quelques années : auparavant la technologie augmentait la productivité des collaborateurs, désormais il s’agit d’avoir des collaborateurs agiles et compétents… qui augmentent la productivité des machines. Réussir à introduire l’innovation dans les processus existants devient alors une question de culture d’entreprise, qui doit répondre à quatre critères.

1 – Comprendre et mesurer l’impact complet de la technologie sur la structure

En premier lieu, il est indispensable que les instances dirigeantes qui prennent les décisions stratégiques aient une vision claire des investissements technologiques à réaliser et de leurs conséquences sur les structures internes. Chaque fois que l’on a affaire à des lignes de production où les workflows, la décision augmentée et la productivité brute sont en jeu, le cloud, l’IA, le machine learning et la mobilité peuvent apporter des gains de productivité. En revanche, ce n’est pas automatique car choisir et déployer la technologie seule sans adoption de l’interne, et sans adéquation avec la culture métier, la culture marchée et la culture d’entreprise ne produiront pas les effets attendus.

L’adoption de nouveaux outils numériques s’accompagne la plupart du temps de changements dans l’organisation et les processus habituels : il ne faut pas sous-estimer le temps d’adaptation nécessaire pour réinventer, fluidifier et faire accepter les changements. Ceci rend l’analyse des bénéfices plus complexes car ils ne se font pas connaître immédiatement et ne se font pas à périmètre constant, et cela complique toute comparaison.

2 – Déployer l’innovation auprès des équipes sans dramaturgie

Ensuite, il faut permettre aux collaborateurs d’adopter l’innovation et donc être en capacité de leur proposer les formations adéquates tout en les rassurant sur les prochaines étapes de déploiement. Les ressources humaines et toute la ligne de managers sont évidemment aux premières loges de ce travail de fond. Mais attention, un formalisme excessif fait trop souvent peser un enjeu symbolique supplémentaire sur les collaborateurs, alors qu’il convient au contraire de dédramatiser.

Il peut être utile d’impliquer des personnes au profil technique avancé et reconnu pour accélérer et faciliter le processus d’adoption. Ces ambassadeurs ont un rôle clé pour montrer les nouvelles opportunités, faire un travail pédagogique d’exemples et de proximité. Bien évidemment, si l’un des dirigeants ou le fondateur sont dans ce cas, la culture d’entreprise est plus propice à l’adoption des nouvelles technologies.

3 – Mesurer les progrès tout au long du déploiement technologique dans la structure

Il faut mesurer l’impact du déploiement technologique au moment où l’on enregistre les premiers bénéfices concrets, en mesurant leur progression au sein des équipes, dans les unités, ainsi qu’auprès des clients. Il est indispensable d’établir en amont les priorités concrètes et les métriques associées pour savoir quoi mesurer : temps, volumes, marge, quantités… De plus, décideurs et collaborateurs doivent être conscients des nouvelles interactions que l’on attend d’eux, de ce qui va changer dans leur quotidien et des comptes qui leur seront demandés au fil du déploiement technologique. Un déploiement réussi doit apporter des bénéfices à chaque partie prenante, les indicateurs qualitatifs et quantitatifs doivent en rendre compte… jusqu’à mesurer l’enthousiasme et la satisfaction car ce sont des facteurs clés !

4 – Garder l’éthique comme trame de fond

Enfin, en raison de l’impact potentiellement démultiplié de processus automatisés de bout en bout, il est indispensable de se poser les questions éthiques à toutes les étapes des processus. Être de plus en plus productifs et efficaces crée des bénéfices importants mais peut se faire inconsciemment au détriment des enjeux éthiques de notre société. Est-on certains que les choix opérés par les machines ne sont pas biaisés ? Les données personnelles sont-elles protégées à toutes les étapes ? Seule une analyse au cas par cas permettra de répondre et lorsque plusieurs technologies sont déployées en même temps, la grille d’analyse des risques se complexifiera d’autant. Si l’entreprise choisit des positions éthiques d’un point de vue organisationnel, cela nécessitera de faire évoluer les politiques de conception, les pratiques métiers et les responsabilités de chacun.

Le design organisationnel a un rôle crucial à jouer dans le déploiement de l’innovation parce que les implications sont de plus en plus profondes et nécessitent une mobilisation à tous les degrés. Les nouvelles technologies ont un impact sur tous les processus de l’entreprise, sur la manière de collaborer entre collègues, avec les machines, sur la manière de traiter un client à chaque étape. Sans vision globale et séquencée, mesurée et éthiquement questionnée, toute tentative de déploiement se fait à l’aveugle et peut avoir des conséquences bien plus graves que le seul coût de l’inutilité, tant en interne qu’auprès des clients.
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Par Céline Bayle, Product Marketing Director chez Sage