« Les gouvernements doivent savoir, dès maintenant que les ordinateurs sont au aussi bons, voire meilleurs, que les humains dans les tâches impliquant la manipulation de l’information. Cela représentante 65 % des emplois américains ». C’est ce que déclare Jeremy Howard, data scientist, dans l’édition de Septembre du McKinsey Quarterly (The Great Decoupling). Evidemment, la société américaine ne fait pas exception et l’ensemble des pays industrialisés – qui le sont de moins en moins – se trouvent dans une situation comparable.
La situation peut être décrite de manière simple : les sociétés avancées sont entrées dans l’ère de l’information et des services et les technologies sont désormais si performantes qu’elles peuvent effectuer quantité de tâches mieux que nous et même sans nous. Si l’énoncé de ce problème est relativement simple, sa solution est extraordinairement compliquée. Pour l’heure et pour la situation de la France, cette augmentation constante de la productivité se traduit par une hausse tout aussi constante du chômage.
Le problème n’est pas vraiment nouveau. Dans cette lutte impitoyable entre le progrès technique et l’emploi, la révolte des Canuts de Lyon avait marqué une date et symbolise bien ce problème. Les ouvriers du textile étaient allés jusqu’à casser les nouvelles machines à tisser. Mais ce problème prend une ampleur sans précédent tant les progrès techniques ont été considérables. Le récent rapport Les classes moyennes face à la transformation digitale publiée par le cabinet de conseil Roland Berger apporte sa contribution aux sombres prévisions et estime à 3 millions le nombre d’emplois que pourrait supprimer le numérique à horizon 2025. Les applications les plus récentes que sont le big data, les machines apprenantes toucheront de très nombreux métiers. Bien sûr, elles sont présentées souvent en accompagnement ou en complément des professionnels, mais dans certains cas elles seront certainement appelé à les remplacer avantageusement.
Qui aurait-dit il y a 20 ans, que la ligne de métro la plus fiable et qui fonctionne tout le temps serait celle qui transporte le plus de voyageurs. Après la ligne 14 qui fut conçu sans conducteur, c’est bien la ligne 1 du Métropolitain parisien qui a été choisie pour être transformée. Dans les 50 mesures qui s’inscrivent dans le fameux « choc de simplification », certaines concernent une simple réduction de la couche de complexité que l’administration a déposée au fil du temps, d’autres font appel ou utilisent directement les possibilités des technologies numériques (Bilan de 18 mois de simplification). Dans l’administration, cette simplification ne se traduit toujours par des réductions de postes qui deviennent peu à peu inutiles.
Cette transformation numérique est prometteuse de création de richesse. Selon le rapport de Roland Berger les gains de productivité liés à la numérisation des entreprises pourraient représenter à 10 ans 30 milliards d’euros de recettes fiscales et 30 milliards d’investissement privé additionnels.
Mais dans un mouvement de destruction créatrice incessante, c’est le bilan des deux colonnes entre les créations et les destructions qu’il convient de faire. Et dans ce domaine, le cabinet n’est pas très optimiste. Le cabinet l’affirme : « Les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits, ni en termes de niveau de compétence requis, ni en termes de position sur la chaîne de valeur, ni en termes de répartition géographique. Il faut donc lancer dès maintenant une stratégie volontariste pour anticiper les difficultés et savoir saisir les opportunités ».
Sur ce point la mauvaise expérience de la vague d’automatisation des années 90 qui produit les résultats négatifs que l’on voit aujourd’hui de désindustrialisation devrait servir d’enseignement pour prendre les bonnes mesures et ne pas répéter les mêmes erreurs dans la vague actuelle et nous faire perdre les emplois des secteurs des services qui sont les plus exposés à la concurrence internationale. « Espérons que l’histoire ne se répète pas » conclut le cabinet Roland Berger.