Les grandes organisations sont sous la pression de la dépendance forte – qu’elles doivent faire disparaître – à leurs applications historiques, en particulier à celles résidant sur leur mainframe. Cependant, les projets de migration ont, jusqu’à présent, été le plus souvent entachés d’échecs dus au choix de la méthode de recompilation pour le nouvel environnement, combinée à la dépendance technique étroite envers l’environnement source.

Ces sociétés dépendent massivement de ces applications critiques pour effectuer leur métier chaque jour. Quand elles évaluent des alternatives d’évolution, elles sont donc fort peu enclines à prendre le risque de changements substantiels sur ces applications, ainsi que sur les données manipulées, toutes deux pierres angulaires de leurs activités opérationnelles.

Pour relever les défis d’une évolution malgré tout impérative, ces entités explorent le principe alternatif d’une plate-forme mainframe purement atteinte par logiciel (Sofware-Defined Mainframe – SDM). Cet environnement permet aux applications de s’exécuter dans leur forme binaire initiale (= mainframe) sur un environnement x86 et Linux, ou dans le cloud. Ainsi, ces applications continuent à fonctionner comme auparavant sur le mainframe. Elles sont cependant libérées des contraintes de cet environnement limitatif, sans encourir les risques de migration des approches classiques.

La solution SDM est fondée sur 2 composants essentiels :

  1. La fourniture à l’application des API mainframe avec signatures binaires et fonctions sémantiquement équivalentes.
  2. Un conteneur à double facette :
    1. A l’intérieur, il « enveloppe à 360°» le code applicatif mainframe pour lui donner l’impression de continuer à fonctionner dans son environnement d’origine.
    2. A l’extérieur, il se présente au système d’exploitation Linux comme une application parfaitement standard avec des fichiers, processes, threads, etc. habituels.

L’objectif de cette sophistication technologique est de garder le SDM aussi peu intrusif que possible. L’approche est motivée par :

– Un levier optimal sur la puissance fonctionnelle et calculatoire de l’architecture x86 pour y exécuter des applications d’entreprise sophistiquées, y compris sous forme de déploiements dans le cloud.
– Une réduction maximale des risques et coûts inhérents au ré-hébergement sur le nouvel environnement. Les applications n’y sont ni modifiées ni recompilées, mais continuent à fonctionner à l’identique.
– Une conception de SDM ayant pour objectif un modèle de fonctionnement identique au mainframe, mais utilisant au maximum les services de Linux et des logiciels Open Source (OSS) de son écosystème.

Sur les épaules des géants

SDM doit être la plus fine couche – en termes de lignes de code ajoutées – d’adaptation possible entre les APIs mainframe, nécessaires aux applications, et les fonctions similaires fournies par Linux et le logiciel Open Source. Il s’agit de « monter sur les épaules des géants » pour bénéficier au mieux des performances avancées et des avantages technologiques de Linux, et plus généralement des logiciels Open Source.

Le logiciel OSS a précieusement été ciselé au cours des dernières décennies par des dizaines de développeurs experts sur toute la planète. De plus, il a été optimisé et rendu totalement stable par – au bas mot -des millions d’installations dans le monde entier, dans des contextes parfois ultra-exigeants pour satisfaire des utilisations parfois très sophistiquées, parfois très consommatrices, parfois combinant ces deux facteurs. Le logiciel OSS s’est donc bonifié pour devenir efficace et solide à la fois. Alors, pourquoi « réinventer la roue » en développant, par exemple, un nouveau système de gestion de base de données relationnelles quand une couche logicielle, limitée en taille, réalisant une adaptation fonctionnelle entre PostgreSQL et l’application mainframe sur SDM suffit à fournir à celle-ci un service strictement équivalent à celui de la base de données relationnelle du mainframe ?

Le trou de ver technologique

La métaphore du trou de ver de la physique fondamentale s’applique à SDM : ce saut instantané dans le temps contribue à traiter efficacement la problématique de l’adéquation des talents actuels et de leurs compétences aux besoins de maintenance de l’environnement mainframe. Ce système est né en 1964 et beaucoup des baby-boomers qui ont passé la majeure partie de leur carrière à travailler sur cette plate-forme se dirigent inexorablement, et à court terme, vers la retraite

Les jeunes générations d’informaticiens manifestent une claire aversion aux technologies en voie d’obsolescence. Elles sont beaucoup plus largement intéressées dans les nouveaux concepts en pleine effervescence : cloud computing, développement agile, DevOps et microservices. SDM représente donc une forme de trou de ver intergénérationnel : il est une connexion effective et directe entre le passé et le présent technologiques. En effet, il permet à des applications informatiques anciennes mais critiques pour le métier de continuer à fonctionner sans failles. Elles peuvent cependant être administrées par des jeunes ingénieurs, fraîchement émoulus des écoles et universités, dotés de compétences alignées sur les standards actuels, ayant grandi avec le web et les téléphones mobiles.

A travers une nouvelle console web de gestion pour la supervision et la gestion de son environnement, SDM permet de dépasser l’interface « écran vert » historique. Les équipes mainframe traditionnelles vont y retrouver leurs « petits » : les concepts auxquels elles sont habituées comme le JCL, jobs batch, transactions, etc. Elles peuvent ainsi souplement transmettre le flambeau, c’est à dire transférer leurs compétences, vers la jeune génération. Quand ces concepts historiques sont présentés dans un environnement graphique riche, similaire à l’interface web des sites Internet actuels, les jeunes recrues peuvent aisément appréhender les notions correspondantes et s’approprier la gestion des systèmes associés.

Quant à la gestion des bases de données, pour reprendre cet exemple, il y a également des bénéfices additionnels à un tel environnement modernisé : le DBA ne dépend plus des seuls outils de gestion propriétaires du vendeur de la base de données. Il peut s’appuyer sur la riche palette d’outils de gestion PostgreSQL : bien évidemment sur le programme standard PgAdmin, mais aussi sur d’autres outils équivalents du monde OSS s’il vient à les préférer. Ainsi, au titre personnel de sa carrière, le DBA ne s’enferme pas, à travers SDM, dans un environnement propriétaire qu’il ne pourra ensuite remettre en pratique nulle part ailleurs.

Un cercle vertueux

Il ne ferait aucun sens logique pour l’alternative au mainframe la plus récente et la plus innovante d’incorporer les caractéristiques et services obsolètes de cet environnement. Cela impliquerait l’écriture de millions de lignes de code sans nul intérêt pour les nouvelles générations d’utilisateurs et surtout d’exploitants, responsables de son fonctionnement sans faille. Une telle démarche serait pour le moins inefficace, voire vouée à l’échec puisqu’elle ne tirerait pas avantage des innovations permanentes et bouillonnantes de l’écosystème des logiciels OSS, pourtant développés par une population de jeunes ingénieurs très créatifs, d’une taille globale jamais égalée dans le monde du développement logiciel jusqu’à présent.

L’utilisation maximale de ces logiciels libres rendent au contraire l’environnement SDM très familier aux nouvelles recrues puisqu’il inclut les dernières innovations logicielles. Cette modernité technologique permet également aux organisations qui l’utilisent d’attirer les meilleurs talents pour exploiter et faire évoluer leurs systèmes critiques de grande taille, grâce à un potentiel de modernisation massif que ces talents nouvellement engagés sauront concrétiser.

L’approche minimaliste du développement du système SDM est la clef de ce cercle vertueux : elle favorise une transition fluide pour les applications critiques au métier, qui représentent souvent des investissements antérieurs colossaux, vers les architectures informatiques les plus modernes. Mais, surtout, et c’est le plus important : elle permet, pour les plus grandes entreprises, la création incrémentale d’une différenciation concurrentielle significative, qui leur permet de garder leur place dans le jeu féroce de la compétitivité, plus acérée que jamais sur le marché digital et global actuel.

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Didier Durand est Chief Product Officer chez Lzlabs