Si elles sont conscientes des enjeux numériques, les banques traditionnelles amorcent lentement leur passage au « full digital ». Et, faute de réagir assez vite, elles pourraient voir des acteurs comme Google ou Apple prendre la main sur les services financiers et être réduites à de simples caisses de dépôt.

Selon une étude CSA publiée en 2013, près d’un Français sur deux est prêt à basculer d’une banque traditionnelle à une offre full digital. Une tendance forte qui ne risque pas de s’inverser. Bien au contraire. Surtout si l’on observe le comportement des clients « traditionnels » : toujours selon l’étude CSA, 91% d’entre eux consultent leurs comptes en ligne, 82% y réalisent des opérations et 70%  utilisent  également  un  service  de  paiement  en  ligne sécurisé. Un Français sur deux prend ses rendez-vous en ligne avec son conseiller. Enfin un sur trois déclare avoir déjà souscrit à un produit d’épargne ou d’assurance en ligne et avoir utilisé un comparateur de services bancaires.

Quant au succès des banques en ligne, lui, n’est plus à démontrer : d’ici à la fin de l’année 2014, la barre des trois millions de comptes bancaires en ligne sera franchie en France. Boursorama affiche près de 554.603 comptes derrière ING avec 930.000 à fin août. Sans parler de l’émergence imminente du paiement mobile qui va remiser la carte bancaire au rang des antiquités. En septembre dernier, la firme de Cupertino annonçait sur son nouvel iPhone 6, la présence d’un dispositif de paiement Apple Pay. Fonctionnel uniquement aux Etats-Unis dans un premier temps, il sera en concurrence avec celui de Google mais aussi prochainement  celui de Microsoft à en juger par les propos tenus par Bill Gates sur Bloomberg TV.

Alors, dans ce contexte difficile, pour contenter cette clientèle devenue volatile et donc difficile à fidéliser, les banques vont devoir mettre les bouchées doubles et offrir une expérience utilisateur digitale riche. Problème, leurs systèmes d’informations actuels n’ont pas été imaginés ni conçus pour récupérer et exploiter les interactions digitales de leurs clients à partir de leurs sites web, leurs Apps mobiles, des réseaux sociaux ou tout autre borne interactive. Des éléments absolument indispensables à l’amélioration de la connaissance client et à l’élaboration d’un programme marketing personnalisé et surtout innovant. Que faire…

 CRM – Big Data : la rencontre entre deux mondes

Dans le monde de la banque traditionnelle, c’est l’ensemble de la gestion de la relation client qui va devoir être digitalisée. Une transposition qui va nous faire basculer d’un CRM classique et d’un Big Data orienté décisionnel à un « CRM – Big Data » : la rencontre entre deux mondes. Le hic est que cela risque de bouleverser l’ensemble des processus internes, les stratégies marketing, le management, les architectures techniques, etc. Pourtant la mise en place des plateformes digitales adéquates repose sur des projets relativement longs qu’il faudrait démarrer dans les plus brefs délais, car, en amont, des trajectoires doivent être définies et des choix technologiques pris. Quel socle Big Data (Hadoop, Teradata, Oracle, IBM), Cloud privé ou Cloud public, développements maison ou solutions éditeurs ? Vient ensuite la question de la gestion des compétences internes et de la conduite du changement. Quid des développeurs SQL, Java ou mainframe, des conseillers clientèle, des responsables produits ? Tout ça dans le respect des normes règlementaires (Sarbanes-Oxley et Bale II), le maintien du même niveau de sécurité, de confidentialité et de qualité de service. En gros une véritable révolution. Mais qu’il faudra pourtant mener car toutes les banques veulent devenir leader du online.

Les laboratoires de la banque de demain

Les grandes banques, pour limiter les risques, ont choisi de faire leurs expériences en ligne au travers de filiales. BNP a, par exemple, ainsi créé Hello Bank ; la Société Générale, Boursorama Banque ; le Crédit Mutuel, Fortuneo, et le Crédit Agricole, BforBank. Voilà pour les plus connues. Ces laboratoires explorent de nouvelles formes de relation client, de modèles économiques, de style de communication comme le tchat ou la vidéo avec son conseiller au-delà des horaires d’agences. Un principe qui séduit énormément. Enfin, sont testés de nouveaux types de services plutôt « pratiques ». Prenons l’exemple de l’application de la banque mobile Soon d’Axa qui propose une fonction « reste à dépenser » depuis une analyse des entrées/sorties d’argent. Dans ces laboratoires les banques auront notamment appris qu’une fois en ligne, elles ont le même problème que n’importe quel site : il leur faut du trafic ! Lors d’une refonte de son site, Monabanq a par exemple commis un  impair sur son SEO et a vu son chiffre d’affaires directement impacté.

Une menace à prendre au sérieux

Dans une interview accordée au Figaro.fr, Marc Fiorentino, auteur de « Faites sauter la banque », déclarait : « Les banques en ligne sont les banques d’aujourd’hui. Mais, dans quatre ou cinq ans, les particuliers ouvriront un compte chez Apple, Google, Facebook, Amazon ou PayPal. L’essor du paiement sans contact permettra aux géants de l’Internet de renverser l’ordre bancaire. ». Certes le Paypal chinois Alipay affichait en février dernier près de 90 milliards de dollars de dépôts au travers de son service d’investissement Yu’e Bao. Google de son côté s’est essayé à une solution de paiement basée sur Gmail. Et Facebook a récemment obtenu une licence de monnaie électronique pour offrir des services financiers en Europe. Mais, comme le précise Philippe Gelis, CEO de Kantox, dans une tribune publiée sur 01net : « il y a un grand malentendu et une confusion entre ceux qui offrent des services financiers et ce que signifie vraiment être une banque. Une banque est un intermédiaire financier qui reçoit des dépôts et utilise ensuite ces dépôts pour financer des activités de prêt. Les services viennent en plus. »

Le syndrome des opérateurs mobiles

Et c’est justement là que le bât blesse. Si elles ratent le coche, faute d’avoir su proposer une expérience utilisateur à la hauteur, les services financiers B2C vont passer entre les mains des géants du web (paiements on et offline, monnaies virtuelles type Bitcoins ou Facebook Credits, crédits participatifs, échanges d’argent entres particuliers comme le fait PayPal depuis le début). Les banques risquent de se retrouver totalement coupées du consommateur final. Une fois « désintermédiées », elles deviendront alors de simples grossistes de crédits auxquels Google, Apple, Facebook etc. achèteront des contrats bancaires en gros.

La concurrence sera féroce, internationale et leur rentabilité s’effondrera. C’est ce qui s’est passé avec les opérateurs mobiles. Avant, on choisissait son opérateur puis le téléphone. Aujourd’hui, celui qui a la relation avec le client est celui qui possède le téléphone ou l’OS : Apple, Android, Samsung etc. Les opérateurs téléphoniques ne sont plus que des tuyaux à qui l’on achète un forfait Data. Plus rien ne rattache les consommateurs aux opérateurs mis à part le prix de l’abonnement. Bref, si les banques ne parviennent pas à maintenir le contact avec le consommateur, notamment grâce aux plateformes digitales, certes elles ne disparaîtront pas, mais connaîtront la disette et perdront une grande partie de leur valeur : le client.

 

 

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Par Richard Hooft,
Directeur de Business Unit chez Ysance

 

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