Les directions informatiques traditionnelles ou DSI, telles que nous les connaissons sont appelées à changer de modèle, en adoptant un nouveau rôle, une nouvelle structure et une culture radicalement différente. Ces changements sont en voie d’être accomplis mais prendront plusieurs années, avant de porter tous leurs effets.

Quel modèle pour la transformation numérique ?

Mes différentes expériences ont modifié ma vision des choses. Mon parcours professionnel chez Microsoft (pour la création de la XBox), puis HBO (pour le lancement de son service de streaming vidéo) et enfin CA Technologies (pour l’incubation de startups), m’a permis d’agir directement pour la transformation digitale de ces entreprises. J’ai ainsi vécu en direct la relation entre les départements métiers et la technologie, décrite dans mon dernier ouvrage « Digitally Remastered ». Ma vision de cette relation et de son fonctionnement me conduisent ainsi à modéliser l’orientation que devraient prendre les responsables technologiques afin d’être plus efficace et de sortir d’une logique de coût et vis-à-vis des directions générales ou financières.

Le digital ne se suffit pas à lui-même

Pour prendre l’ascendant sur la concurrence, les organisations de tous les secteurs doivent redéfinir leurs processus, leur organisation et leur culture, en s’appuyant sur le digital. Les innovations rendues possibles par une connectivité omniprésente, l’augmentation constante de la puissance de calcul des machines et l’apparition de nouveaux business models tirant parti des nouvelles technologies sont fascinantes. Mais bien que la tentation soit grande de ne compter que sur la technologie pour innover et se différencier, cette stratégie se révèle trop limitée.

Dans l’entreprise traditionnelle, le département informatique est au service des métiers tandis que les clients et leurs problématiques occupent rarement une place centrale dans la stratégie de l’entreprise. La technologie y est considérée pour sa fonction de support, plutôt qu’un moteur d’innovation. Ce modèle est malheureusement encore très fréquent dans de nombreuses entreprises à travers le monde.

Un contrôle jusqu’ici assuré par les « gardiens du temple » informatique

Dans ce modèle, on constate que la DSI est chargée de contrôler à la fois l’offre et la demande de technologies. Pourquoi ? Parce qu’auparavant, la technologie était une ressource rare (comme l’expertise associée) qui devait non seulement être gérée, mais aussi conservée. Un problème classique de maximisation sous contraintes – comment proposer un maximum de ressources technologiques aussi efficacement que possible. La réponse ? D’énormes applications, cloisonnées par fonction et contrôlées par les « gardiens du temple informatique ». Le département informatique traditionnel était donc le centre de contrôle de l’entreprise, centralisant la supervision de la production technologique.

L’agilité comme antidote à la lenteur

Aujourd’hui, le coût des technologies a dégringolé, et la tendance est à la recherche d’une interaction 24/7 et bilatérale avec les clients. Mais un fossé se creuse entre d’un côté, un modèle d’engagement moderne et de l’autre, un modèle organisationnel et culturel obsolète, incapable de proposer la qualité d’expérience exigée par les clients.  Les premières fissures de ce modèle sont apparues avec le Bring Your Own Device (BYOD) et le « Shadow IT[1] ». Et l’Agilité est née d’un sentiment de révolte contre la lenteur et le manque d’efficacité qui caractérisaient les tentatives des organisations pour intégrer la technologie à leurs modèles économiques et leurs décisions d’investissement.

Y’a-t-il un DSI dans l’avion ?

Mais aujourd’hui, le fossé créé par le modèle classique semble encore plus troublant à l’heure où des plateformes permettent à des utilisateurs métiers – quel que soit leur niveau technique – de se servir des technologies comme d’un levier pour créer des applications et générer de la valeur, sans programmation ou presque. Les départements informatiques traditionnels et leurs cultures de support resteront-elles pertinentes lorsque la technologie deviendra encore plus largement accessible ? A priori, non. Mais que faire alors ? Et à quoi ressembleront les missions des CDO, CIO et CTO dans le futur ? Aurons-nous seulement besoin d’eux ?

Repenser le modèle de création de valeur

Dans le modèle traditionnel, contrôler les technologies signifie aussi contrôler les coûts. À cause de cette vision de centre de coûts et de la budgétisation annuelle qu’elle implique, il est désormais presque impossible de mesurer le ROI.

Les véritables pionniers du digital ont adopté une vision opposée : pour eux, les nouvelles technologies permettent de créer des flux de valeur. Quand le processus traditionnel reposait sur la succession des étapes « financement, technologie, livraison, client », le nouveau modèle s’oriente plutôt dans le sens « client, valeur, technologie, financement ».  En examinant ces flux et séquences d’investissement, les différences mettent en lumière non seulement le changement de processus, mais aussi les nouvelles fonctions nécessaires aux entreprises pour tirer parti de la technologie, en la considérant comme un vecteur de création de valeur plutôt que comme un centre inévitable de coûts.

L’approche technologique adoptée par les entreprises ces vingt dernières années va totalement à l’encontre du nouveau rôle de catalyseur joué par la technologie. À s’entêter sur cette voie, les entreprises s’exposent à un risque de sous-investissement qui peut les empêcher de saisir des opportunités, telles que celles offertes par les big data, l’analytique et l’intelligence artificielle. Si l’Agilité a apporté une amélioration encourageante des processus, elle n’a pas atteint son objectif principal : celui de renverser l’ordre établi en entreprise et de faire de la technologie une machine créatrice de valeur.

 

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Otto Berkes est Chief Technology Officer de CA Technologies

[1] Shadow IT : informatique de l’ombre (décrit des outils technologiques non supportés par la DSI)