Invisibles mais vitaux, les câbles sous-marins transportent plus de 99 % du trafic mondial. Ils façonnent la résilience du numérique et redessinent les rapports de force internationaux. Décryptage…
Dans un monde où la connectivité est devenue une ressource vitale, les câbles sous-marins ne sont plus de simples infrastructures techniques. Autrefois considérées comme secondaires, Ils sont devenus des leviers de pouvoir, des vecteurs d’indépendance numérique et des instruments de souveraineté.
Alors que plus de 99 % du trafic intercontinental transite par ces artères, leur contrôle conditionne désormais l’accès à l’information, la sécurité des communications et la résilience des économies numériques. Dans ce contexte, les états qui maîtrisent ces infrastructures stratégiques affirment leur autonomie technologique et leur influence dans l’ordre géopolitique mondial.
Des infrastructures physiques pour une puissance numérique
Contrairement à l’image d’un Internet immatériel, le réseau mondial repose sur des fondations bien concrètes : un maillage de près de 550 câbles sous-marins qui s’étend sur plus de 1,4 million de kilomètres, soit l’équivalent de 35 fois le tour de la Terre. Ce nombre a été multiplié par 2 en 10 ans. Ces infrastructures, dont le déploiement a débuté il y a plus de 150 ans, sont aujourd’hui une merveille de l’ingénierie moderne. Elles acheminent des volumes de données colossaux à des vitesses fulgurantes, permettant ainsi au monde de communiquer, d’échanger et de commercer.
Ces artères numériques sont le moteur silencieux de notre économie et de notre société : de la transaction boursière instantanée au service de Cloud computing mondial, en passant par les plateformes de streaming vidéo et les communications militaires. Un exemple frappant est le câble 2Africa, un projet gigantesque de 45 000 kilomètres qui reliera 33 pays, dont 16 en Afrique, pour un coût estimé à 1 milliard de dollars. Ce type de projet illustre la vision stratégique à long terme de leurs promoteurs, qui visent à connecter des régions entières et à y assoir leur influence. Le rôle de ces câbles est donc bien plus que technique ; il est fondamentalement géopolitique.
Enjeux technologiques et sécuritaires
L’installation et la maintenance d’un câble sous-marin est un exploit d’ingénierie, combinant des études géologiques précises, la prévention des menaces naturelles (séismes, éruptions volcaniques) et humaines (ancres de navires, chalutiers), ainsi que l’évaluation de l’impact environnemental. Cette robustesse technique est conçue pour garantir une continuité numérique mondiale sans rupture.
Cependant, dans un climat international de plus en plus tendu et incertain, ces infrastructures deviennent des cibles. L’espionnage, les sabotages ou encore les pressions diplomatiques sont des menaces croissantes. La sécurité de ces câbles est désormais un enjeu de sécurité nationale. En novembre 2024, La coupure de câbles de fibre optique en mer Baltique a mis en lumière l’importance de la vulnérabilité de ces infrastructures. Protéger l’intégrité de ces câbles, c’est préserver la confidentialité des échanges, la stabilité des services critiques et la souveraineté des données.
Une infrastructure au cœur de la souveraineté européenne
Le contrôle des câbles sous-marins offre un avantage stratégique multidimensionnel : souveraineté sur les flux d’information, attractivité économique (par l’accueil de datacenters ou d’entreprises technologiques), influence dans la gouvernance mondiale du numérique et sécurité nationale. Pour des pays comme la France, dotés d’un vaste espace maritime et d’une position géographique centrale entre les continents, l’enjeu est aussi une opportunité.
L’Europe doit désormais considérer ces câbles non plus comme de simples tuyaux de données, mais comme des actifs géopolitiques à protéger, renforcer et gouverner. Dans un monde où l’indépendance numérique devient un facteur de stabilité et de puissance, contrôler son infrastructure de connectivité est une condition essentielle de souveraineté.
La maîtrise des câbles sous‑marins n’est plus une simple question d’infrastructure. C’est un choix stratégique. Ce choix détermine la capacité d’un état à protéger ses intérêts, à garantir sa sécurité numérique et à exercer son influence dans un ordre mondial en pleine mutation. Dans un contexte où le numérique sous‑tend toutes les interactions humaines, économiques et militaires, ces artères invisibles deviennent les garantes de l’indépendance d’aujourd’hui et de demain.
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Par Hervé Jost, Director, Infrastructure Business Development and Eurotunnel Concession chez Colt Technology Services
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