Faudra-t-il attendre la 5G pour que la communication unifiée tienne ses promesses ?
Au début des années 2000, Henning Schulzrinne, co-inventeur du protocole SIP défini par l’IETF pour les communications multimédias temps réels, prévoyait que dans les trois années qui suivraient les numéros de téléphones fixe, mobile et fax des cartes de visite seraient remplacés par une seule information : l’adresse SIP. Celle-ci aurait dû jouer le rôle d’un identifiant universel pour gérer toutes les communications, aussi bien pour les appels téléphoniques que pour les autres communications interpersonnelles : messages courts et vidéo. Aujourd’hui, presque 15 ans après, nous n’y sommes pas encore, et de nouvelles adresses sont apparues : adresse Skype, Facebook, Tweeter… Cependant, la réalisation de cette promesse approche.
En termes de communication unifiée, malgré les avancées de ces dernières années, nous en sommes encore à ce qui ressemble aux réseaux téléphoniques de la fin du XIXe siècle : des réseaux de téléphones métropolitains, pas encore interconnectés par des liaisons longues distances. Aujourd’hui, les communications voix, messagerie, partage de fichiers ou médias circulent exclusivement sur une application, et ne peuvent pas être reçues sur une autre application, ou un autre réseau. Les utilisateurs ne disposent toujours pas d’une seule application et d’une adresse pour appeler, chatter, échanger avec n’importe qui… Alors que les opérateurs téléphoniques depuis plus d’un siècle ont opté pour des standards et normes garantissant l’interfonctionnement.
Avons-nous une chance de sortir de ce dilemme ?
Premier constat, les géants du Net, fournisseurs des services placés au-dessus des réseaux, « over the top » selon la terminologie anglo-saxonne (OTT), véhiculent la majorité des flux d’informations : texte, images, vidéo… En 2017, on compte plus de 2,5 milliards d’utilisateurs de ces applications OTT. Mais ce chiffre doit être relativisé avec l’existant, c’est-à-dire le réseau téléphonique fixe et surtout, le réseau téléphonique mobile avec 6,7 milliards d’utilisateurs. Ces cartes SIM, et leur n° de téléphone, accessibles de façon quasi permanente et depuis tous les réseaux téléphoniques, sont des identités beaucoup plus « fortes » que celles des applications OTT. Elles ont, par conséquent, un avantage à se maintenir comme l’information de contact privilégiée à afficher sur une carte de visite.
Un espoir se dessine …
En 2017, la VoLTE (standard définissant la manière de déployer un service voix, mais aussi vidéo sur les réseaux 4G/LTE) commence à bénéficier de la rapidité et de la qualité des réseaux 4G. C’est l’IMS (IP Multimedia Subsystem), l’architecture standardisée de référence pour les réseaux SIP qui a fourni le cœur de la VoLTE. Ainsi, les opérateurs mobiles qui ont lancé ou lanceront la VoLTE vont être parmi les premiers à déployer de véritables réseaux IMS massivement. De cette architecture découle nativement l’interopérabilité des réseaux et de leurs composants, y compris pour les applications et terminaux des utilisateurs finaux.
Certes, on a longtemps reproché à l’IMS sa complexité. C’est pourtant le prix à payer pour garantir cette interopérabilité. Pour désenclaver les réseaux Skype, Facebook Messenger, Tweeter, et les SMS/MMS, où l’utilisateur ne peut transmettre et retransmettre une communication d’un réseau à un autre, l’IMS fournit les protocoles et leurs règles d’utilisation.
La quête du Graal pour les opérateurs ?
Au-delà de l’interopérabilité entre l’utilisateur final et son réseau, on peut entrevoir que les opérateurs mobiles vont ouvrir leurs services à l’interconnexion. Les services IMS couvriront les abonnés VoLTE pour commencer. Comme la valeur du service rendu par le réseau est directement lié au nombre d’utilisateurs potentiellement en contact, les opérateurs VoLTE, mais aussi fixes, seront naturellement enclins à nouer des accords d’interopérabilité. L’IMS leur permettra dans un premier temps de bénéficier de l’interconnexion des services voix et messaging. Les autres, tels que la vidéo et la présence viendront peu après, ce qui impliquera des évolutions architecturales mineures.
Comment les acteurs OTT vont réagir ?
Les acteurs majeurs de l’internet (pures players) reconnaissent volontiers qu’un numéro de téléphone est une identité « forte ». De leur côté, les opérateurs traditionnels ont tendance à considérer les acteurs OTT comme des opportunistes, pour ne pas dire parasites. Pourtant, une sorte de symbiose pourrait s’opérer entre les deux. Déjà, les abonnements internet sont contractés principalement pour accéder à des services Internet, OTT, qui ne sont donc pas fournis par ces opérateurs.
Mais la généralisation de l’IMS peut transformer cette coexistence plus ou moins bien vécue, en une nouvelle forme qu’on pourrait qualifier de mutualisation. L’opérateur, qui dispose d’un réseau et d’abonnés et qui sait gérer au mieux le lien entre les deux, peut en effet trouver utile d’offrir à ses clients l’accès contrôlé à des services OTT pour enrichir son offre.
Aussi, récupérer l’information de présence d’un contact chez un autre opérateur ou chez un fournisseur de services OTT constitue un enrichissement mutuel d’un service initialement fermé. Inversement, ces mêmes fournisseurs de services OTT devraient aussi vouloir exploiter l’information bientôt disponible via le standard IMS chez les réseaux VoLTE, pour améliorer leur propre service. La récente alliance de Google avec le RCS et de nombreux opérateurs mobiles préfigure cette tendance.
En somme, pour les opérateurs comme pour les services OTT, un futur se dessine aujourd’hui. Il va dépendre de leurs choix en termes de déploiement de VoLTE, d’IMS et de l’ouverture qui en découle. La 4G/LTE sera probablement le déclencheur d’un mouvement sans précédent de normalisation des communications unifiées. Avec comme bénéfice des communications unifiées universelles et des identifiants uniques pour toutes les communications. La promesse pourrait alors être tenue d’avoir un unique contact par carte de visite.
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Alban Couturier est chef de produit chez Cirpack