Pour qu’innovation et sécurité coexistent, il convient dès lors de mettre en place des régulations qui soient raisonnablement attractives pour les investisseurs et les entrepreneurs mais aussi suffisamment strictes pour contrôler et éliminer les usages frauduleux, protéger l’ordre public et le consommateur-épargnant.

Tel est le défi à surmonter pour la technologie blockchain tienne toutes ses promesses selon France Stratégie qui publie un rapport intitulé Les enjeux des Blockchains qui aborde les questions économiques, juridiques et sociétales et propose sept recommandations pour définir les grands axes d’une stratégie visant à « réglementer de façon coordonnée sur un certain nombre de sujets critiques de façon à contrôler les usages délictueux et à favoriser l’innovation et les développements souhaités ».

La technologie des « chaines de blocs » ou blockchain, c’est une nouvelle façon de stocker l’information, de la préserver sans modification, d’y accéder et d’intégrer de nouvelles informations qui deviennent infalsifiables. Elles sont inscrites sur un registre « distribué » sur les ordinateurs de tous les membres du réseau, un système qui permet transparence et auditabilité. Telle est décrite simplement le fonctionnement de cette technologie dont les champs d’application sont très larges.

Potentalités et risques

Mais comme pour de nombreuses technologies à fort potentiel, l’utilisation est une véritable ligne de crête. « Certains y voient l’innovation disruptive qui va bouleverser la plupart des secteurs économiques, les plus optimistes allant jusqu’à annoncer l’entrée dans une ère de l’efficacité et de la confiance partagée, rappelle Joëlle Toledano, professeur émérite d’économie (chaire Gouvernance et régulation, université Paris-Dauphine) et présidente du groupe de travail. D’autres au contraire s’inquiètent d’une technologie à la réputation sulfureuse, présentant autant de lacunes que de risques : à leurs yeux, ces « chaînes de blocs » seraient à la fois l’objet d’une fascination spéculative – à l’image de la bulle internet du début des années 2000 – et le cheval de Troie de la criminalité ».

Techniquement, cette technologie pourrait offrir une solution aux fragilités des systèmes centralisés, considère le rapport. Économiquement, elle devrait permettre d’augmenter la productivité en limitant les intermédiaires et en automatisant les transactions. Institutionnellement, elle est une réponse à la défiance dont souffrent les institutions politiques et économiques, avec à la clé une fluidification des relations économiques et sociales. Les applications potentielles sont nombreuses : de la traçabilité des médicaments ou des produits alimentaires, à la sécurisation de votes en ligne, en passant par la gestion des contrats qui seraient exécutés de façon automatique.

Technologie à la base du bitcoin et ultérieurement des autres cryptomonnaies, la blockchain en a été distinguée pour ne pas souffrir de leur mauvaise réputation : les cas de fraudes et de piratages sont nombreux ; elles font l’objet de spéculation et sont le support d’activités illicites.

Deux principaux champs d’applications

Le champ des applications des blockchains est vaste mais on note encore peu d’usages commerciaux aujourd’hui. Le rapport identifie deux champs d’applications : les projets notariaux liés à la tenue d’un registre partagé et les projets couplant dimension transactionnelle et monde physique : « l’internet de la valeur ».

En tant que registre à la fois partagé et infalsifiable, la blockchain a vocation à bouleverser les modalités de contrôle des transactions, les transferts de biens et tout échange entre personnes, et au-delà encore la certification de processus industriels ou financiers. On pressent ainsi son utilisation prochaine dans la traçabilité des médicaments ou des produits alimentaires, ou dans des systèmes sécurisés de vote en ligne. Ces applications visent à instaurer de la confiance là où elle fait défaut ou à se substituer à des mécanismes de confiance centralisés.

Ce deuxième champ d’application a un potentiel de transformation de l’économie très puissant. La disparition progressive de l’argent liquide (déjà en cours en Suède) et la généralisation des paiements mobiles (WeChat ou Alipay en Chine, ApplePay aux États-Unis) sont des mouvements à l’œuvre dans un certain nombre de pays. Des solutions de type blockchain sont ici des candidates toutes désignées, même si d’autres technologies sont envisagées.

Surtout, l’apport de la blockchain aux questions du paiement sous condition de réalisation de tel ou tel événement, ce qu’on appelle les smart contracts, est au cœur de ce champ d’application. Rappelons que ces « contrats intelligents » sont des programmes informatiques exécutés de façon autonome par un réseau reposant sur les technologies blockchain. De nombreux protocoles en ont fait leur spécialité, au premier rang desquels Ethereum. L’internet des objets est par exemple très concerné, lui qui doit opérer sur les principes de l’autonomisation et de l’infaillibilité.

Aussi riches soient-elles, les promesses de la blockchain continuent de se heurter à un certain nombre de failles de sécurité, dont on trouve la trace dans les multiples piratages et arnaques observés. C’est là un écueil paradoxal pour une technologie dont une des qualités premières revendiquées est la fiabilité et l’inviolabilité. En réalité, la sécurité du protocole Bitcoin lui-même n’a pas été mise en défaut à ce jour. Les attaques informatiques se reportent en revanche sur les interfaces de toutes sortes avec les autres systèmes – typiquement les places de marché, sujettes aux fragilités traditionnelles des systèmes centralisés.

Entre potentialités et sécurité attendre que la technologie soit mature pour s’en préoccuper serait une erreur. Les pouvoirs publics, considèrent les auteurs du rapport, ont un rôle à jouer pour sortir la blockchain de sa phase expérimentale et mettre en place une véritable stratégie nationale, entre régulation et innovation.

 


Les sept recommandations du rapport de France Stratégie

1. Promouvoir des travaux de recherche et développement, en veillant à favoriser l’interdisciplinarité.

2. Inciter au développement des formations approfondies et aider à l’appropriation du sujet.

3. Établir les régulations de base permettant de contrôler les usages frauduleux des cryptomonnaies et développer les usages des blockchains en s’appuyant sur un groupe à compétences transversales, à l’intérieur de l’État. Il faut disposer de l’appui technique nécessaire à la définition de solutions efficaces et rapidement apporter des réponses aux différentes questions réglementaires soulevées en matière de fiscalité, de droit au compte, de lutte anti-blanchiment et de traitement comptable.

4. Contribuer au financement des projets « d’infrastructure logicielle ». Il est nécessaire de construire les infrastructures blockchains publiques de demain. Deux scénarios sont envisageables : ou bien encadrer suffisamment les blockchains existantes ; ou bien favoriser le développement de nouvelles infrastructures plus sécurisées. À ce jour, il est difficile de trancher le dilemme : le rapport recommande donc de mener de front les deux stratégies de « maîtrise » des blockchains existantes et d’accompagnement de l’émergence de nouvelles solutions.

5. Soutenir des secteurs correspondant à des domaines d’excellence ou d’intérêt stratégique en France : logistique, lutte contre la contrefaçon, traçabilité, banque et assurance et santé, en rendant possible la sortie du bac à sable.

6. Tester, expertiser, former et s’équiper au sein des pouvoirs publics ; analyser l’évolution des blockchains publiques ; diffuser l’information, développer et utiliser des applications non critiques.

7. Répondre aux défis auxquels se heurte l’internet de la valeur, ce qui suppose une monnaie numérique suffisamment stable pour servir de contrepartie de transactions.