Dan Cauchy, Directeur Executif de Automotive Grade Linux, explique à InformatiqueNews le rôle que jouent l’open source et la Fondation Linux dans la voiture connectée

La Fondation Linux porte depuis 4 ans un projet de plateforme collaborative Open Source pour la voiture connectée basée sur une distribution de Linux appelée AGL. Regroupant plusieurs sociétés sur un stand unique à CES, l’alliance Automotive Grade Linux présentait plusieurs nouveautés.

Informatique News :C’est la première fois que l’Automotive Grade Linux Alliance dispose d’un stand de cette importance à CES, vous regroupez là une vingtaine de sociétés partenaires de l’Alliance dont Toyota, LG et NTT, Amazon Alexa, Panasonic ou Renesas. Pouvez-vous nous expliquer ce projet plus en détail ?

Dan Cauchy : Effectivement, nous sommes une société à but non lucratif, qui a développé depuis sa création en 2015 un projet collaboratif ouvert au sein de la Fondation Linux. AGL est aujourd’hui le troisième plus important projet de la Linux Foundation en termes de participants, derrière la Cloud Native Computing Foundation et l’Hyperledger Foundation. Notre mission est de construire une plateforme logicielle pour les véhicules qui adresse toutes les fonctions importantes de la voiture connectée/autonome. Ce projet a débuté grâce à la demande de plusieurs constructeurs automobiles dont Toyota pour essayer de réduire la fragmentation qui existe entre les différents systèmes d’exploitation alors que le logiciel prend de plus en plus d’importance dans la voiture. On avait QNX, Microsoft, AppleCar, Google Auto et de nombreuses versions dérivées de Linux.

AGL a donc pour but de créer une plateforme unique qui offre une base solide pour 70 ou 80% des besoins du constructeur et lui permette de développer et d’ajouter les 20%-30% restant pour personnaliser avec du look and feel, des choix d’interfaces spécifiques, du branding, des services, des applications et ainsi différencier ses modèles et se différencier de ses concurrents. Le deuxième avantage de cette plateforme est la création d’un écosystème riche qui ouvre beaucoup de possibilités aux constructeurs pour ajouter de la valeur à la voiture. Nous accueillons un grand nombre de participants qui viennent enrichir la plateforme.

Nous agissons à l’inverse de certaines sociétés qui tuent (absorbent ou recréent) les innovations extérieures et la concurrence pour permettre à leur plateforme de s’imposer. Ainsi, si un constructeur veut faire entrer Spotify, Pandora, Amazon ou d’autres logiciels ou services dans le cockpit, c’est très facile sachant qu’ils ont déjà été portés sur AGL. Il suffit de venir se connecter sur les API, et il n’est pas nécessaire de redévelopper une implémentation comme sur un système propriétaire. Ainsi sur le stand, toutes les démos que vous voyez fonctionnent sur la même version de AGL avec des applications spécifiques. Denso montre des utilisations des données du CANbus avec un SoC Intel, LG montre le tableau de bord d’un simulateur de conduite autonome avec Baidu Apollo ou encore Igalia montre un HMI (Human-Machine Interface) faisant fonctionner des applications IVI (In Vehicle Infotainment) native ou sur le Web. Tous s’appuient sur la plateforme AGL.

IN : Comment fonctionne l’Alliance AGL ?

DC :  Notre fonctionnement est entièrement ouvert et gratuit pour participer et contribuer à la plateforme. Notre processus se déroule de bas en haut. Il n’y a pas de spécifications prédéfinies, ce sont les contributions qui enrichissent la plateforme au fur et à mesure qu’elles arrivent. La première étape est un groupe d’expert (il y en a 9) qui couvre chacun un aspect de la voiture comme la connectivité, la navigation, l’Application Framework et Sécurité, la parole, les architectures hardware de référence, la V2C (vehicle to cloud) etc.

Chacun peut y apporter du code qui est approuvé par le groupe d’expert (ils se parlent en général une fois par semaine). Ensuite, un groupe d’Architectes Système, composé de membre de l’alliance examine l’avancement des groupes d’experts, puis un Steering Committee prend des décisions sur des choix techniques importants à réaliser et enfin un Advisory Board composé de hauts responsables membres de l’alliance qui décide des grandes directions stratégiques à prendre et de la manière de les financer. Par exemple, la société Française IoT.bzh a été l’un des principaux contributeurs en matière de code auprès des groupes d’experts cette année.

Système IVI AGL sur la Toyota Rave 4

Nous offrons une très forte différenciation aux constructeurs. Par exemple, un système IVI (In Vehicle Infotainment) se développe en moyenne en 36 à 39 mois sur une voiture avec un système classique. Pendant ce temps les OS des smartphones ou d’Android connaissent à peu près 3 nouvelles releases, ce qui provoque des adaptations à faire à chaque fois. Avec AGL, nous avons réduit le temps de développement d’un système IVI à 12 mois. Nous faisons 2 releases par an du code AGL UCB (Unified Code Base), une en janvier et l’autre en milieu d’année. Par exemple, le système IVI qui est utilisé par Toyota sur la plupart de ses voitures (dont les Lexus) est sorti il y a 3 ans et a déjà connu 6 releases. Vous avez donc un calendrier de mises à jour qui est fiable, sur lequel vous pouvez en plus avoir une action en contribuant.

IN : Quels sont les principaux membres de l’Alliance ?

DC : Il y a aujourd’hui près de 150 sociétés membres, dont une douzaine de constructeurs automobiles comme Honda, Toyota, Mazda, Mitsubishi, Mercedes-Benz, Subaru… Beaucoup sont japonais mais nous devrions annoncer un gros constructeur Européen dans les semaines qui viennent. Il y a des fabricants de semi-conducteurs (ARM, Texas Intel, Qualcomm, Nvidia, NXP…) des opérateurs téléphoniques (NTT, China Mobile) des équipementiers (Continental, Denso…) des fournisseurs d’équipements audio-visuel (Panasonic, Alps, Pioneer NEC, Samsung, Sony…) etc… Tous contribuent à la plateforme. Par exemple, nous avons formé un groupe d’experts avec Amazon sur la reconnaissance de la parole qui a défini un « speech recognition service binder » qui est un container spécialisé contenant une application, des fonctions de sécurité et de liaisons asynchrone avec une librairie d’API.

Cela permet à quiconque voulant développer un service vocal sur AGL d’intégrer facilement de la reconnaissance de la parole sans se soucier de quel système de reconnaissance il va utiliser, Alexa, Nuance, ou autre…. Amazon encore, a réalisé un Framework IoT Cloud dédié à AGL.  A partir d’un lien sur le site Web d’Amazon, en moins d’une journée, vous pouvez ouvrir un compte dans le cloud AWS intégré avec votre système AGL. Vous disposez ensuite d’une infrastructure de cloud pour obtenir du stockage et des applications diverses. Ceci permet par exemple à des flottes de véhicules de mettre en place un cloud privé directement relié aux véhicules de la flotte, tout est prêt avec AGL.

IN : Quels sont vos concurrents et comment vous différenciez-vous ?

DC : Notre principal concurrent est Android. C’est un bon système. Cependant notre avantage vient de notre business modèle. En effet, un constructeur automobile qui adopte Android abandonne une bonne partie du contrôle de son système à Google. Une grande partie des données et des services que peut éventuellement développer le constructeur sont sous le contrôle de Google qui à tout instant peut en modifier les conditions d’accès et intervenir dans la diffusion et la monétisation…

IN : Quel seront les prochains développements de AGL pour l’année à venir ?

DC : Au cours de ces 6 derniers mois, nous avons sorti un cluster d’instruments qui permet de réunir tous les instruments de la voiture sur le tableau de bord, d’en personnaliser la disposition et l’apparence et même de les déplacer avec le doigt. Il va chercher les données directement sur le CANbus. Nous avons aussi un système d’affichage des voyants sur le pare-brise, un système de telematics et même un système qui permet de recréer l’interface d’une radio classique… On peut personnaliser pratiquement tous les affichages avec ou sans graphiques selon les préférences. En utilisant Yocto, qui est un projet Open Source de la Foundation Linux, on peut créer des modules et des process grâce à des « metalayers » de middleware qui permettent de développer des distributions Linux embarquées à la manière d’un Lego, en ajoutant ou en otant des modules fonctionnels. Ainsi notre extension telematics est un Lego très simple alors que notre extension IVI est la plus sophistiquée qui dispose de tous les modules existants.

Cette année, nous allons travailler sur l’intégration des ADAS (Advanced drivers-assistance systems) et la voiture autonome qui doivent maintenant être approuvés par le conseil d’administration d’ici la fin du premier trimestre. Mais ils ne seront pas basés sur l’UCB parce qu’ils demandent certaines capacités spécifiques. Nous travaillerons sur une plateforme Linux RT (Real Time), le temps réel existe depuis 15 ans avec Linux, mais il sera intégré par la Linux Foundation dans le Kernel, par défaut. Elle permettra de supporter les radars, les Lidars, les caméras et les capteurs. Nous allons aussi ajouter un package appelé Open Source CV pour la visualisation qui prendra les données des capteurs et des caméras et donnera à l’IA les informations sur les objet extérieurs la voiture, et enfin nous ajouterons une forme d’Intelligence Artificielle Open Source qui servira essentiellement pour faire des démos et entrainer la plateforme parce que les constructeurs vont ajouter leurs propres modules AI. Enfon nous prendrons tout ceci et nous le porterons dans un organisme de certification de sécurité comme l’ISO ou autre.

Mais il y a un autre projet dans la Linux Foundation qui s’appelle Elysa Project qui développe la sécurité fonctionnelle pour Linux en général, pas simplement pour les voitures. Il est dirigé par des compagnies industrielles qui font des centrale électriques, les centrales nucléaires, des systèmes de contrôle de trains et ils ont besoins d’avoir un Linux certifié. AGL s’accrochera donc simplement à ce projet parce que nous allons prendre ce qu’ils font et l’adapter aux voitures. Nous serons donc probablement l’une des premières plateformes de conduite autonome à être certifié pour la sécurité. Notre rôle donc est d’apporter un peu d’ordre dans tout ce chaos lié à l’émergence de la conduite autonome et d’aider les constructeurs automobiles à comprendre et saisir les avantages de l’Open Source tout en apportant leur contribution à l’écosystème.