L’empreinte environnementale du numérique ne cesse d’augmenter. Pour Fabrice Rigolot, Directeur RSE de CGI, il y a urgence à sensibiliser les entreprises afin d’adopter des comportements plus responsables dans la conception des services informatiques.

Dans sa dernière étude sortie fin octobre, GreenIT.fr pointait du doigt le nombre d’équipements des utilisateurs qui, à eux seuls, totaliseraient de 59 % à 84 % de l’empreinte environnementale du numérique à l’échelle mondiale. En pratique, l’étude estime que le monde compte actuellement 34 milliards d’équipements utilisateur allant du smartphone aux écrans de TV et ce nombre risque de considérablement augmenter avec l’essor de l’IOT. Pour GreenIT.fr, il ne fait aucun doute : contrairement aux idées reçues, les datacenters ne sont pas les principaux pollueurs de la planète. Ce sont les utilisateurs, c’est-à-dire nous avec nos usages inconsidérés des mails, applications et autres sites « obèses », nos renouvellements automatiques de téléphones ou de PC…sans oublier nos écrans gigantesques de télévision (bête noire des responsables de l’étude qui a eux seuls concentreraient 9% à 26% des impacts en 2025) qui consumons les ressources de la planète à petit feu.

Réduire l’empreinte numérique via l’éco-conception

« Il y a urgence à réagir », estime Frédéric Bordage, co-auteur de l’étude et fondateur de GreenIT.fr en rappelant que « les réserves de minerais ne sont pas inépuisables ». Selon différentes études, si la consommation continue au niveau actuel, l’épuisement des minerais indispensables à l’industrie IT pourrait commencer dès 2025 : indium (écrans), antimoine (processeurs, isolation des câbles), étain (soudures, revêtements), or (connectivité)… Pour faire face, les auteurs de l’étude préconisent la réduction des objets connectés, et notamment des écrans plats ainsi que l’augmentation de la durée de vie des équipements existants.

Fabrice Rigolot (Photo : Aude Boissaye)

L’éco-conception n’arrive qu’en quatrième position, ce qui pour Fabrice Rigolot, Directeur RSE chez CGI est clairement une aberration : « Adopter des pratiques responsables comme éteindre son ordinateur, effacer les emails inutiles, réduire son utilisation du cloud… a un impact sur notre environnement, mais ce n’est qu’une partie des efforts nécessaires ! En nous concentrant uniquement sur les habitudes des utilisateurs, nous ne parviendrons pas à diminuer l’empreinte environnementale du numérique de manière suffisante. Il est désormais essentiel d’adopter des pratiques éco-responsables dès la conception afin que les logiciels et leurs architectures soient le moins énergivores possible tout en répondant au mieux aux besoins des utilisateurs ». En tant qu’entreprise qui conçoit des applications pour ses clients, CGI estime avoir une double responsabilité dans ce domaine : « Notre comportement a des impacts à notre niveau, mais aussi chez nos clients. Bien entendu, notre rôle n’est pas de leur imposer une vision des choses, mais de les sensibiliser au sujet en les faisant bénéficier des réflexions, des expérimentations et plus globalement de la maturité que nous avons acquise sur le sujet », ajoute le Directeur RSE.

Une maturité des entreprises très variable

Photo : Shutterstock

« Certaines entreprises sont déjà bien avancées et intègrent dans leurs appels d’offres une demande de prise en compte de leur responsabilité environnementale, précise Fabrice Rigolot. Mais globalement, elles ne représentent que 10% des entreprises. Pour les autres, il faut prêcher la bonne parole ».
De fait, l’éco-conception est loin d’être une pratique répandue dans le milieu IT. Sorte de chasse au gaspi numérique, elle suppose de repenser la façon dont les services IT sont conçus en identifiant tous les leviers d’optimisation pour réduire l’empreinte environnementale. Dit autrement, l’éco-conception ne se résume pas à l’optimisation du code. « Les appels d’offres que nous recevons sont toujours conçus en fonction d’un model business, de la demande des utilisateurs ou encore pensés en fonction du marché. En tant qu’ESN bénéficiant d’une maturité sur le sujet, nous sommes alors bien placés pour rediscuter avec le client de son expression de besoin et la recadrer avec lui afin d’être dans une logique visant à être « plus svelte », c’est-à-dire arriver à faire quelque chose qui aura le même rendu fonctionnel, mais avec une architecture peut-être différente : moins de poids dans les échanges client/serveur, moins de ressources sur la partie cliente ou encore moins de « goodies » graphiques à télécharger, tout ceci afin de limiter la consommation de ressource et éviter des renouvellements de périphériques. L’occasion est idéale pour passer en revue tous les aspects qui ont un impact et décider où mettre le curseur afin de parvenir au meilleur compromis. Nous avons la connaissance des impacts, nous sommes donc le bon interlocuteur pour challenger le client et le responsabiliser sur ses choix », estime Fabrice Rigolot.

Une nécessité qui dépasse les enjeux de la rentabilité

Le principe de sobriété IT faisant partie intégrante de l’éco-conception, le risque de perdre des clients avec des services beaucoup moins « graphiques » ou riches n’est pas exclu. « L’idée n’est pas de faire des services plus ou moins « sexy », mais de bien faire comprendre à nos clients qu’ils font des choix qui, au-delà des aspects éthiques et moraux, vont peser sur leur empreinte carbone, souligne Fabrice Rigolot. De la même façon, l’éco-conception peut être une démarche rentable dès lors qu’on se pose les bonnes questions. Est-ce que faire une application plus robuste est rentable ? Est-ce que ça coûte plus cher de faire un logiciel qui au niveau sécurité est moins permissif ? Globalement oui, mais où se trouvent les coûts et où se trouvent les gains ? Peut-on se permettre de faire l’impasse et mettre un logiciel non sécurisé sur le marché ? Non. Et bien, le problème de l’éco-conception doit aujourd’hui être abordé exactement de la même façon ».