Le terme de neutralité du net est apparu en 2003, mentionné par Tim Wu dans l’analyse d’une décision de la FCC de déréguler les opérateurs de câble suite à une vaste enquête réalisée en 2002 sur les pratiques des opérateurs.

Elle reclassait alors les câblo-opérateurs comme des fournisseurs de services d’information et en les faisant sortir du Title II, avec l’intention de faciliter la concurrence et le développement des services haut débit. Dans son analyse, Tim Wu explique : « Un réseau comme Internet peut être vu comme une plateforme permettant d’exprimer la concurrence entre les développeurs d’applications (email, web services, streaming de contenus, etc ..) pour attirer l’attention et l’intérêt des utilisateurs. Il est donc important que cette plateforme soit neutre pour que la concurrence reste basée sur le mérite.»

Il fait remarquer que le protocole IP qui est le cœur d’Internet, est indifférent quant aux médias de communication en dessous de lui (fibre, cuivre, Ethernet, ATM, câble coaxial, ondes radio…) et aux applications au dessus de lui (texte, audio, vidéo, musique, services divers), mais il notait un aspect qui aujourd’hui prend toute sa signification, le protocole IP désavantage les applications qui ont besoins de bande passante, de réactivité (faible latence) etc… Il traite, par exemple, de la même manière les données d’une application IoT reliée à un capteur d’hygrométrie dans une exploitation agricole que les données de l’application reliée à un capteur cardiaque dans le service de soins intensifs d’une clinique.

Un conflit entre réseaux, contenus, services publics et innovation

En  septembre 2005, la FCC prend alors la décision de déréguler le DSL  qui devient un service d’information et les opérateurs de DSL s’alignent sur le statut des opérateurs de câble en n’étant plus soumis au Title II. Cela signifie qu’ils ne sont plus obligés d’offrir leurs infrastructures aux ISP concurrents comme leur imposaient les règles du « Common Carrier ».

Une décision de la Court Suprême avait entre temps validé la dérégulation précédente des opérateurs de câble mais la décision de la FCC a clairement été prise sous la pression des opérateurs téléphoniques qui avaient fortement réduits leurs investissements dans les infrastructures haut débit… La FCC argumente que la concurrence entre les câblo-opérateurs et les opérateurs téléphonique est ainsi clarifiée. Les fournisseurs de services sur internet ont bénéficié d’un an pour négocier le renouvellement de leur accès aux réseaux avec les opérateurs de réseaux.

Mais pendant une dizaine d’années, entre 2005 et 2014, de nombreux conflits éclateront entre les opérateurs (câbles ou téléphoniques), les usagers et les fournisseurs de services sur la neutralité du Net qui s’exprime globalement  ainsi : « La neutralité du net est un principe par lequel un individu devrait être libre d’accéder à tous les contenus et toutes les applications de façon égale, quelque soit la source, sans que le fournisseur de service internet ne puisse discriminer contre un service en ligne particulier ou un site Web… ». Certains, un peu plus radicaux affirment: « La neutralité du net est le principe de base qui empêche les opérateurs fournisseurs d’accès internet comme AT&T, Comcast et Verizon d’accélérer, ralentir ou bloquer n’importe quel contenu, application ou site web que vous voulez utiliser. »

Ils argumentent que les riches sociétés internet comme Facebook ou Google peuvent payer pour obtenir des accès Internet plus stable et plus rapide que leurs concurrents potentiels plus petits et ainsi empêcher des startups de fournir des services innovants… Ainsi la FCC refuse la demande de Skype sur la possibilité pour les fournisseurs de services de s’accrocher aux réseaux mobiles de la même manière qu’aux réseaux fixes. Pendant 2 ans, une lutte opposant Comcast à BitTorrent se termine par une décision de la FCC en 2008 en faveur de BitTorrent, fournissant une base du comportement à suivre pour les opérateurs de câble et de téléphonie face aux fournisseurs de services. La FCC à cette occasion semble affirmer son pouvoir sur les accès Internet en général et sur les opérateurs qui considèrent que le fait d’être exclu du Title II les met hors de portée des règlementations et contrôles de la FCC.

Batailles juridiques et politiques

En 2010, peu après l’élection de Barack Obama, Julius Genachowski, le nouveau Chairman de la FCC lance un long et difficile  travail de réflexion, d’explication et de clarification autour de la neutralité du net. Achevé et accepté par la FCC à la fin de 2010, il se termine par ces phrases : « La Commission manque d’autorité pour adopter les règles de neutralité du Net. La FCC, comme d’autres agences fédérales, n’a littéralement aucun pouvoir pour agir… à moins que le congrès ne lui donne cette possibilité. » Il poursuit faisant référence à la première dérégulation des câblo-opérateurs en 2005:  « La Court Suprême cautionne cependant que les attentes d’une politique souhaitable de la commission ne peuvent altérer le sens du Communication Act».

Entre temps, Google et Verizon proposent conjointement un compromis d’approche  de l’Internet Ouvert qui immédiatement provoque une levée de boucliers parce qu’il crée un internet public et un internet pour les autres pour des questions de « prioritisation » des flux de données, il sépare l’Internet fixe de l’internet sans fil pour des questions de contraintes de bande passante, et enfin repose la question du rôle de régulation de la FCC avec la volonté de traiter les conflits au cas par cas.  Les 3 cœurs du problème sont posés alors que le congrès américain est devenu républicain face à un Président démocrate.

De plus, mi 2010, Comcast avait fait appel devant la Court de Washington DC dans son affaire avec BitTorrent. Celle-ci, tout en condamnant les pratiques de Comcast, conteste alors l’autorité de la FCC pour  imposer les règles de l’Internet ouvert… Après avoir tenté de trouver une troisième voie pour mettre tout le monde d’accord tout au long de l’année 2010, la FCC présente l’Open Internet Order qui prendra effet à la fin de 2011, suscitant une intense activité juridique de la part des opérateurs, dont une première tentative avortée de Verizon auprès de la même Court de Washington DC pour de nouveau contester l’autorité de la FCC sur le haut débit.