Favoriser la liberté et l’autonomie des employés pour développer la performance de l’entreprise et la qualité de vie au travail : la promesse de l’holacratie[1] a fait flores. Son mot d’ordre ? Déconstruire l’entreprise pyramidale et substituer aux rapports hiérarchiques des équipes auto-organisées. Depuis sa formalisation en 2007 par Brian J. Robertson après son expérience à la tête de HolacracyOne, le concept ne s’est pourtant pas démocratisé.

Hormis quelques exemples canoniques, comme celui de Danone, Castorama ou de la biscuiterie Poult, la plupart des expérimentations concrètes restent cantonnées à de petites organisations. Pis, les cas emblématiques de Zappos ou de Medium, fortement médiatisés, sont revenus récemment sur ce modèle, semblant donner le coup de grâce à un nouveau mode d’organisation coincé entre les ambiguïtés du concept « d’entreprise libérée » et de la nouvelle dictature du « bonheur au travail ». Utopie ou difficulté du passage à l’échelle ?

Pourtant, au-delà des querelles théoriques sur la structure idéale des entreprises, une révolution collaborative, plus modeste, est bel et bien à l’œuvre au travail, redéfinissant la notion d’autorité, en phase avec les nouvelles aspirations des collaborateurs en matière d’autonomie et de sens.

Les limites de l’utopie holacratique

La nouvelle avait fait grand bruit : en avril 2015, Tony Hsieh, le PDG de Zappos destituait tous les managers de leur poste pour faire disparaître la hiérarchie de son entreprise florissante de e-commerce. En quelques mois l’entreprise devient l’exemple emblématique de l’holacratie, à la pointe de la modernité, favorisant l’épanouissement et la créativité de ses employés. L’expérience a pourtant tournée court. Du moins, elle a montré ses limites : entre 14% et 30% des effectifs auraient quittés l’entreprise à la suite de cette décision, et l’ambition de stimuler l’innovation en luttant contre la bureaucratie traditionnelle a créé une certaine « confusion » parmi les employés. Les process mis en place ont fini par renforcer paradoxalement le pouvoir de la direction et uniformiser les pratiques au détriment de l’individu.

Loin de l’autonomie escomptée, les employés libérés des titres et des hiérarchies traditionnelles, voient néanmoins leurs décisions et comportements dictés par un système.

Structure vs. organisation des entreprises

Pour le sociologue François Dupuy, la confusion régnant entre les notions de structure et d’organisation représente un handicap majeur dès qu’apparait la nécessité de « changer ». Dans La faillite de la pensée managériale, il démontre qu’il ne suffit pas de modifier ou de vouloir abolir la structure d’une entreprise, c’est-à-dire son organigramme et ses différentes procédures, pour en changer l’organisation.

Il semblerait donc, que le vrai pouvoir ne résiderait pas tant dans la hiérarchie, dans la structure, que dans l’organisation dont elle a favorisé l’émergence d’un état d’esprit ouverte et collaborative, sans toujours pouvoir anticiper la forme qu’elle prendrait. Ce sont par exemple, des comportements ou stratégies d’acteurs reliés par un projet donné ou une vision définie, bien plus que par un lien hiérarchique formel.

La révolution de velours pour favoriser la collaboration

Favoriser la culture collaborative d’une organisation serait donc un moyen de dépasser l’holacratie pour parvenir au même but : ne plus déduire les autorisations d’accès à l’information selon les hiérarchies traditionnelles, mais selon le pouvoir réel des individus, leurs interactions effectives. Cette révolution est d’ores-et-déjà en cours via une multitude de nouveaux outils numériques :

– Des réseaux sociaux d’entreprises proposant de mesurer le degré d’influence d’un salarié sont utilisés pour calculer le niveau d’interaction entre collègues selon le nombre de messages envoyés et les réactions qu’ils suscitent.
– Les outils collaboratifs de partage de fichiers dans le cloud sont autant d’invitations à briser les silos pour mobiliser, autour de projets spécifiques, les énergies d’équipes éphémères.
– De même la nouvelle génération de solutions de gestion de projets dans le cloud, calqués sur l’agilité des startups…

En combattant l’autoritarisme rigide de l’entreprise pyramidale, l’holacratie a fait l’impasse sur la légitimité de l’autorité plébiscitée par la nouvelle génération : des managers empathiques qui sachent les accompagner dans ces nouveaux usages et reconnaître leur mérite, véritables coachs de leur épanouissement professionnel et personnel.

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Thibaut Champey, Directeur général France chez Dropbox

[1] Holacratie : un système d’organisation de la gouvernance, fondé sur la mise en œuvre formalisée de