Huawei, placé sur liste noire, est donc banni du territoire américain à la suite d’un décret exécutif signé (EO) par le président Trump. Par effet de ricochet, Google va stopper la fourniture de son système Android au constructeur chinois.
Le décret du président américain intitulé « Executive Order on Securing the Information and Communications Technology and Services Supply Chain » impose aux entreprises américaines de demander l’autorisation au département du Commerce pour se fournir en technologies fournies par des pays adversaires. Le constat est sans ambiguïté : « The President of The United States of America find that foreign adversaries are increasingly creating and exploiting vulnerabilities in information and communications technology and services, which store and communicate vast amounts of sensitive information, facilitate the digital economy, and support critical infrastructure and vital emergency services, in order to commit malicious cyber-enabled actions, including economic and industrial espionage against the United States and its people[1] ».
La section 1 de l’EO régule donc l’achat de tout équipement technologique et le soumet à l’autorisation de différentes administration et agences fédérales. Sans citer Huawei ni aucune autre société chinoise, l’EO bannit donc l’acquisition de technologies chinoises par les sociétés américaines.
Mais le lendemain de la signature de cet EO, le département du commerce plaçait Huawei sur sa « entity list » citant donc explicitement l’entreprise chinoise et bannissant ainsi l’importation d’équipements provenant de cette société et de ses 70 filiales.
La puissance d’un pays s’exprimait jusqu’ici principalement par la force de ses armées. De ce point de vue, les Etats-Unis dominent largement les autres pays du Monde. Notamment avec un budget qui dépasse largement tous les autres et est à peu près l’équivalent de celui des dix pays suivants.
La technologie – dont l’intelligence artificielle et la 5G sont deux figures de proue – est plus que jamais l’instrument de puissance d’un pays. Le leadership technologique assurera le leadership mondial. Et la Chine l’a bien compris en annonçant en 2015 son programme « Made in China 2025 » visant à consolider son industrie et redynamiser son économie : les technologies numériques incluant la 5G et l’IA, les machines-outils à commande numérique et les robots, les équipements aéronautiques, les équipements d’ingénierie océanique et les navires high-tech, les équipements ferroviaires, les économies d’énergie et les véhicules à énergie nouvelle, les équipements liés à la production d’énergie, les nouveaux matériaux, la médecine biologique et les instruments médicaux, et les machines agricoles…Programme dont elle fait moins la promotion pour des raisons d’image, mais qui reste tout aussi actif.
Et de fait, la Chine a fait des progrès spectaculaires dans de nombreux domaines, grâce à des capacités propres, mais aussi au pillage technologique et de la propriété intellectuelle des entreprises occidentales. C’est le cas de la fameuse 5G, la cinquième génération de la téléphonie mobile où les Chinois, par le truchement de la société Huawei, est devenue le leader mondial.
L’interdiction de Huawei intervient dans le cadre d’un conflit commercial et de négociations dont le manque d’avancées a poussé Donald Trump à installer des droits de douane sur la plupart des importations chinoises. Au dernier Mobile World Congress de Barcelone, Huawei était l’une des incontestables vedettes.
Mais avec Huawei, il ne s’agit pas seulement d’échanges commerciaux, mais beaucoup plus de maîtrise technologique et de sécurité nationale. Car l’introduction de tels équipements dans les réseaux pourrait donner à la Chine la possibilité d’intervenir de différentes manières. L’épisode Vodafone il y une dizaine d’années avait déjà suscité l’attention. Dans les années 2010, Vodafone avait découvert des failles dans le dispositif de Huawei. Des backdoors non répertoriées auraient permis d’accéder à distance. Il y a quelques jours, les services de renseignement néerlandais auraient lancé une enquête pour déterminer si l’un des trois grands opérateurs nationaux – Vodafone, KPN et T-Mobile/Tele2 – a été victime de « portes dérobées » qui auraient permis à Huawei de mener des opérations d’espionnage.
De leurs côtés les Etats-Unis ne sont pas en reste pour ce qui concerne les programmes d’intelligence et de surveillance. On se souvient de l’épisode des écoutes téléphoniques sur le téléphone portable d’Angela Merkel.
Certes les opérateurs télécoms américains pourront se fournir auprès d’autres équipementiers pour la 5G, mais avec, pour l’instant, des équipements plus chers et moins performants. D’une certaine manière, cet épisode Huawei n’est-il la reconnaissance d’une défaite pour les Américains qui se sont fait doubler par les Chinois dans ce domaine de la téléphonie mobile ? Dans les années 80, le gouvernement américain interdisait l’exportation de certaines technologies, dont les supercalculateurs, dans certains pays. Aujourd’hui, elle interdit leur importation. C’est là un renversement brutal.
Parmi les conséquences de cette « guerre technologique » qui s’est engagée entre les Américains et les Chinois, c’est Google qui est entré en scène en indiquant qu’elle ne pourrait plus fournir de logiciels, de matériels informatiques et de services à Huawei à l’exception des logiciels en open source. Mais Android en open source c’est un peu comme si une voiture l’habitacle d’une voiture n’avait que le volant et les pédales. Car si les smartphones Huawei vendus en Chine n’intègrent pas les applications Google, c’est bien le cas dans les autres pays. Sur les quelque 200 millions de smartphones vendus par Huawei, la moitié le sont en dehors de la Chine continentale.
Selon un porte-parole, « Google ne faisait que conformer à l’ordre qui lui avait été donné et examinait les conséquences ». Dans la foulée, le Departement du Commerce a donné délai de 90 jours (jusqu’au 19 août) permettant à Huawei de s’approvisionner en produits américains afin de maintenir son activité à court terme et éventuellement de réorganiser sa supply chain.
De son côté, le fondateur de Huawei, Ren Zhengfei a déclaré dans une interview à la télévision chinoise que « The U.S. government’s actions at the moment underestimate our capabilities » et que « Huawei is capable of making the chips it buys from the United States ».
Mais les autres entreprises américaines comme Apple, Oracle, Intel, Qualcomm, Broadcom risquent d’être touchées significativement par ce conflit entre les deux pays, conflit qui n’est pas que commercial, mais touche aussi au leadership technologique. Selon le New York Times, sur les 70 milliards de dollars d’achat de composants fait par Huawei, 11 concernent des entreprises américaines. Pour ces dernières, c’est une perte d’activité, pour l’entreprise chinoise, la question est de savoir si elle pourrait racheter des composants comparables à d’autres fournisseurs.
Les Etats-Unis vont-ils tenter d’interdire aux constructeurs européens de commerce avec la Chine concernant les produits technologiques comme ils l’ont fait pour l’Iran. Pas pour l’instant, mais avec le président américain actuel, rien n’est pas impossible. Pour l’heure, Infineon dont il avait été dit qu’elle avait suspendu ses relations à démenti cette information.
[1] Le Président des États-Unis d’Amérique constate que des adversaires étrangers créent et exploitent de plus en plus de vulnérabilités dans les technologies et services de l’information et des communications, qui stockent et communiquent de grandes quantités d’informations sensibles, facilitent l’économie numérique et soutiennent les infrastructures essentielles et les services d’urgence vitaux afin de commettre des actions malveillantes activées par le cyberespace, y compris l’espionnage économique et industriel contre les États-Unis et son peuple ».