Alors que le président de l’Arcep tire le signal d’alarme quant à la domination des sociétés américaines sur les smartphones, qui régissent désormais nos vies, le cabinet CB Insight pointe les ambitions de la Chine dans le domaine de l’Intelligence artificielle. Face à ces enjeux, l’Europe semble peu réactive.

« Quand Google défie l’Europe ! » Jean-Noël Jeanneney lançait en 2005 un cri d’alarme sur la domination américaine sur les contenus. Jacques Chirac, président de la République, avait demandé alors au président de la TGB « d’analyser les conditions dans lesquelles les fonds des grandes bibliothèques en France et en Europe pourraient être rendus plus largement et plus rapidement accessibles sur Internet ». Alors qu’elle était encore qu’une startup mais déjà numéro un de la recherche sur Internet, Google travaillait à la numérisation de quelque 15 millions d’ouvrages provenant de sept bibliothèques, dont celles de l’université de Michigan, de Harvard et la New York Public Library.

Près de 15 ans plus tard, la situation ne s’est pas vraiment améliorée et l’Europe semble encore plus démunie face à ses deux grandes concurrentes, les GAFA d’un côté et la Chine de l’autre. Sébastien Soriano, président de l’Arcep vient à son tour de signer un nouveau signal d’alarme dans une tribune intitulée « Les GAFA règnent sur nos smartphones, reprenons le contrôle ! ».

« Les smartphones sont devenus la porte d’entrée d’un environnement contrôlé, non pas par nous, mais par une poignée de grandes firmes qui, chacune à sa manière, impose sa loi, explique-t-il d’emblée. Elles portent un nom : Apple, Google ou encore Amazon.  Or ces smartphones sont devenus les compagnons assidus de notre vie quotidienne dont ils semblent vouloir assurer le contrôle. « En choisissant notre téléphone, nous choisissons en réalité notre montre, nos enceintes, un service de musique et, au bout du compte, la playlist qui accompagnera notre dîner entre amis, poursuit-il. Demain, c’est à l’assistant vocal de notre voiture que nous demanderons « mets-moi les informations ». Et de fait, l’enjeu deviendra démocratique s’il ne l’était pas déjà ».

L’Arcep a engagé un cycle de réflexion pour évaluer l’influence des terminaux sur l’accès à internet et cartographier les limites à l’ouverture d’internet et proposer des mesures qui pourraient être mises en œuvre à l’échelle nationale ou européenne pour remédier aux éventuelles défaillances identifiées. En mai dernier, l’Arcep a publié un premier diagnostic sur l’influence que peuvent avoir les équipements sur la capacité des utilisateurs à accéder à internet et à ses différents contenus.  L’Arcep complètera cette analyse à l’occasion de la publication d’un deuxième rapport visant à servir de point de départ à la définition de mesures de régulation au niveau national ou européen. Sera-ce là un rapport de plus sans lendemain ?

La Chine en tête sur l’IA

De son côté, l’Intelligence artificielle s’immisce de plus en plus dans le fonctionnement de ces smartphones tout en bouleversant la structure fondamentale de toutes les industries dans des domaines allant de l’agriculture à la cybersécurité au commerce aux soins de santé, et plus encore.

Les gouvernements sont en concurrence pour établir une recherche supérieure sur l’IA, voir l’IA comme un levier pour une plus grande influence économique et le pouvoir. En juillet 2017, le gouvernement chinois a annoncé qu’il atteindrait la parité avec les États-Unis sur l’intelligence artificielle en 2020 et pour prendre le leadership en 2030.

Le cabinet CB Insight, qui vient de publier l’édition 2018 de son rapport annuel Top AI Trends To Watch, tire un constat clair et sans appel : La Chine est passée en tête dans le financement de startups spécialisées dans l’IA.

Malgré une part de seulement 9% des transactions de startups d’IA, la Chine exécute un plan très ambitieux et a dépassé les Etats-Unis en montant alloué dans ces transactions. Dans certaines disciplines de l’IA, la Chine est largement plus avancée que les États-Unis.

Les efforts de R & D des entreprises chinoises se reflètent dans activité de publication de brevets. Elles semblent dépasser leurs homologues américains dans les demandes de brevet en IA. Dans l’apprentissage en profondeur (Deep Learning), par exemple, le nombre des brevets publiés en Chine est six fois supérieur à ce qu’ils sont aux États-Unis.

Deux technologies de premier plan nourrissent la croissance de l’IA en Chine : la reconnaissance faciale et les puces spécialisées en intelligence artificielle. Avec le premier, la Chine a défini un plan de surveillance ambitieux à l’échelle du pays alors qu’avec le second, elle entend concurrencer directement les Etats-Unis. Trois acteurs clés ici sont les licornes basées en Chine Megvii (dba Face ++) et SenseTime, et la startup CloudWalk qui vient de recevoir une subvention de 301 M $ du Gouvernement local de Guangzhou.

En 2017, 55 villes chinoises faisaient partie d’un plan appelé Xue Liang ou « yeux pointus ». Les images de caméras de surveillance dans les propriétés publiques et privées seront traitées de manière centralisée et permettront ainsi surveiller les personnes et les événements. Big Brother en marche !  Megvii a déjà accès à 1,3 milliard de données de visage dossiers sur les citoyens chinois et est financée par la société d’assurance chinoise Sunshine Insurance Group), des institutions gouvernementales et des entreprises privées (Foxconn, Ant Financial).

Espoirs et inquiétudes

L’IA génère une certaine crainte dans le grand public mais suscite un certain d’espoir. A mesure que les entreprises continuent d’investir dans les nouvelles technologies et cherchent à renforcer l’impact de ces dernières au sein du monde professionnel, elles doivent examiner attentivement comment les nouvelles technologies peuvent reproduire le comportement humain, dans la logique de l’intelligence artificielle. Selon le cabinet d’étude international Research+Data Insights (RDI) pour Axway, les nouvelles technologies représentent une source d’inquiétude pour 85 % des consommateurs interrogés, leurs principales préoccupations étant :

– Pour 34 % d’entre eux, l’invasion de leur vie privée par des machines.
– Pour 29 %, la possibilité que des machines puissent faire disparaître leur emploi.
– Pour 21 %, soit un consommateur sur cinq, le risque que des machines puissent contrôler le monde.

L’IA est-elle une menace sur l’emploi ou au contraire permettra-t-elle d’en créer tout en améliorant les conditions de travail et la productivité ? Pour CyberValue, start-up fondée sur l’IA, il ne fait aucun doute que la France peut réussir ce virage technologique. Selon l’étude menée par Accenture, les entreprises pourraient augmenter leur chiffre d’affaires de 38% et leurs effectifs de 10%, d’ici 2022 : 63% des dirigeants pensent que l’IA permettra une création nette d’emplois dans leur entreprise d’ici 3 ans et 62% des salariés pensent que l’IA aura un impact positif sur leur travail.

« L’IA est souvent présentée comme une menace. C’est au contraire une chance énorme pour un pays comme la France de revenir dans la course de l’innovation digitale. En formant davantage de bonnes ressources qualifiées, il n’y a aucun doute que la France puisse faire preuve d’audace technologique ! Le chemin est long mais le champ des possibles est incroyable » considère  Guillaume Leboucher, fondateur de CyberValue.