Bien que l’Europe accuse un retard en matière d’intelligence artificielle par rapport à ses concurrents chinois et américain, elle peut encore tirer son épingle du jeu.

Tel était le message central qui est ressorti de cette troisième édition du Forum IA organisé par le cabinet RM Conseil qui s’est tenu la semaine dernière à Paris. « Entre le marteau chinois et l’enclume américaine, l’Europe doit être un leader en IA pour 4 raisons : souveraineté, dynamisme économique, emploi et éthique », a déclaré en introduction du forum Eric Bothorel, député qui voulait souffler un vent d’optimisme sur les chances de l’Europe. « La bataille de l’IA n’est pas perdue par le Vieux Continent. Face aux investissements massifs en B2C consentis par les Chinois et les Américains, l’Europe a sa carte à jouer dans le B2B » renchérissait Yann Bonnet, ex-membre du CNNum et un des 52 experts du groupe IA de la Commission européenne.

La France a accompli des progrès significatifs et les chiffres sont là pour l’attester. La France est devant l’Allemagne pour ce qui est des investissements dans les startups spécialisées en IA et en train de combler son retard par rapport au Royaume-Uni. On dénombre quelque 600 startups spécialisées en IA sur l’Hexagone. À moyen terme, 500 étudiants par an décrocheront leur doctorat en IA.

La Stratégie française, qui doit s’inscrire dans une stratégie européenne, doit s’appuyer sur ses propres forces, notamment en matière de données. Elle doit également viser certains domaines d’applications privilégiés pour lesquels elle possède de solides atouts comme la santé, l’environnement, la sécurité ou l’agriculture.

Depuis la publication du document Strategy for IA en 2018, l’Europe a affiché une politique active en matière de financement et de création d’un cadre réglementaire et éthique, témoigne Cécile Huet. Mais une stratégie européenne ne doit pas empêcher d’amener l’IA au niveau des territoires et de l’ancrer dans les régions en vue de créer des pôles technologiques d’excellence. En France, le rapport Villani, qui semble constitue le point de référence, avait mis l’accent sur l’éthique, une approche spécifique à l’Europe et qui a été délaissé par les concurrents chinois et américain.

Le carburant de l’IA est constitué à partir des données et sur ce point l’Europe et la France possèdent de solides atouts, notamment en raison de la force de son secteur public. Dans le domaine de la santé par exemple, l’APHP n’a pas d’équivalent dans le monde. « On ne manque pas de données, mais elles sont souvent en silos et ne sont pas toujours accessibles » explique Christel Fiorina, Directrice de projet intelligence artificielle, jeu vidéo et esport à la DGE.

Au-delà des problèmes techniques, les entreprises sont souvent frileuses dans le partage de leurs données. Selon André Loesekrug-Pietri, directeur de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), « il faut privilégier une approche algorithmique permettant de laisser les données là où elles sont (Distributed IA). Ce qui évite leur centralisation toujours source de craintes et suspicions. La qualité des données est aussi une question fondamentale dont dépend la performance et la pertinence des solutions d’IA ».

L’ensemble des panélistes s’est accordé pour louer la démarche qui a conduit à la définition et à la mise en place de la RGPD. Alors qu’elle était perçue au début comme une contrainte supplémentaire, parfois inutile, cette réglementation se transforme désormais en avantage concurrentiel et a créé une incontestable dynamique. D’autant que la RGPD favorise la confiance, un facteur important qui pousse les utilisateurs à mieux coopérer. Les entreprises étrangères présentes en Europe ont bien été obligées de s’y conformer. La Californie s’apprête à passer un texte similaire.

Entre le laisser-faire américain qui a permis aux GAFA de faire à peu près ce qu’elles voulaient et de prospérer et la politique liberticide chinoise visant à contrôler les citoyens, l’Europe a réussi à trouver une troisième voie : le cadre éthique. « En cela, l’Europe a eu une bonne intuition », affirme Christel Fiorina.

Autre message délivré pendant ce forum, les entreprises doivent passer la vitesse supérieure. « Les COMEX ne sont pas assez avancés dans leur réflexion et leur maîtrise du sujet », prévient Aurélie Jean. Par ailleurs, « un projet d’IA n’est pas un projet classique et surtout pas seulement technique, met en garde Laurent Stéfani, directeur exécutif – intelligence artificielle d’Accenture. Il doit être porté par une équipe multidisciplinaire regroupant des data scientists, des architectes data, des spécialistes en méthode agile, des experts métiers… »

Pour passer du POC (Proof of Concept) à la phase industrielle, trois facteurs permettront aux entreprises d’accélérer, insiste Laurent Cervoni, directeur intelligence artificielle chez Talan : « l’intelligence collective, la formation de tous les niveaux hiérarchiques et le fait que si un projet d’IA dépasse largement la dimension d’un projet informatique, c’est aussi un projet informatique dont la réussite dépend de règles bien connues ».

Parmi les facteurs à prendre en compte pour une stratégie IA globale, la dimension est essentielle. « Il faut associer les salariés dans les entreprises dans la démarche faisait remarquer un représentant des organisations syndicales. Parle-t-on d’emploi augmenté ou d’emploi supprimé ». Aussi, la RGPD, qui génère de coûts supplémentaires, n’est-elle pas une barrière à l’entrée pour les startups. Enfin, comme réduire les freins au partage des données que l’on constate au sein des entreprises, expliquait une représentante du MEDEF.

« Celui qui gagnera la course de l’espace aura la maîtrise du monde » avait déclaré le président des Etats-Unis Lyndon Johnson. Vladimir Poutine a fait une déclaration similaire pour l’Intelligence artificielle. On est prévenus


Ils ont dit

  • « L’adoption de l’IA par tous et partout est essentielle. Il n’est pas question de comprendre les détails mais les mécanismes de base (…) Dans les entreprises, les COMEX ne sont pas assez avancés ».
    Aurélie Jean, docteur en sciences et entrepreneur
  • « Plus de 1 milliard d’euros seront investis en 2019 dans les startups spécialisées en IA »
    Christel Fiorina, Directrice de projet intelligence artificielle, jeu vidéo et esport à la DGE
  • « Pourquoi Intel a-t-elle intérêt à ce que l’Europe ne décroche pas en matière de technologies : par simple intérêt économique (…) Intel a noué des partenariats avec l’institut Gustave Roussy, GENCI… »
    Rémi El-Ouazane, VP et COO de l’Artificial Intelligence Products Group chez Intel
  • « On arrive à une convergence des trois piliers de recherche de l’IA : texte, voix, image (…) Les grands groupes savent qu’ils doivent utiliser l’IA mais ne savent pas trop comment passer à l’échelle »
    Laurent Stéfanie, directeur exécutif – intelligence artificielle d’Accenture
  • « Il faut favoriser le travail de recherche et de mise en œuvre à partir de consortiums (…) L’algorithme lit les images mieux que les radiologues, il faut donc repositionner le travail des radiologues »
    Laure de la Raubière, députée d’Eure-et-Loir
  • « L’IA est une nouvelle technologie qui a 50 ans. La gestion des hauts fourneaux d’Usinor était faite avec de l’IA. Mais maintenant, il faut passer du POC à la phase industrielle ».
    Laurent Cervoni, directeur intelligence artificielle chez Talan
  • « Les Grandes Ecoles et les Universités doivent progresser et il faut commencer à parler d’IA plus tôt dans les cursus (…) on va vers l’hybridation des disciplines ce qui va donner un avantage important aux multi compétences »
    Nikos Paragios, responsable des formations en sciences des données et intelligence artificielle à CentraleSupélec
  • « L’IA est une technologie qui transforme l’économie tout entière, elle impacte tous les secteurs et tous les métiers »
    Raphaël Didier, directeur du développement et innovation de Bpifrance
  • « Nous somme heureux de la nomination de Thierry Breton en tant que commissaire européen en charge des technologies »
    Christine Hennion, députée des Hauts-de-Seine