Depuis plusieurs mois, un certain nombre d’articles, « d’analyses » et quelques rapports plus ou moins complets fleurissent pour tenter de positionner les acteurs importants dans les technologies liées à la blockchain en s’appuyant sur des estimations du nombre de brevets qu’ils ont (auraient) déposées sur le sujet.

Une technologie révolutionnaire qui inquiète…

Souvent confondue avec la crypto-monnaie le Bitcoin, la blockchain est la technologie qui lui a permis de se développer. Très rapidement cependant, la portée de la technologie blockchain est apparue bien plus large que la crypto-monnaie et vite, les entreprises, les marchés, les gouvernements, les régulateurs s’y sont intéressés parce qu’elle permet de déployer à coûts fortement réduits de nouveaux niveaux modes d’échanges sécurisés en temps réel pour n’importe quel type de transaction. Marquant le début du projet Bitcoin, un document publié en 2009 par Satoshi Nakamoto (que personne n’a réussi à identifier jusqu’à maintenant) expliquait le mécanisme de création des Bitcoin. Il décrivait aussi les grands principes de fonctionnement de la blockchain qui est une base de données publique décentralisée et infalsifiable grâce à des calculs décentralisés (le mining) comportant les registres historiques des transactions enregistrées en temps réel entre des individus autour de biens, services ou n’importe quel actif. Certains y voient une deuxième génération d’Internet auquel la valeur d’échange s’ajouterait à la publication.

Du Buzz à la réalité…

Depuis cette date, la blockchain a connu un énorme buzz et un développement suscitant la création de nombreuses startups dans le monde. Passant outre les aspects négatifs de Bitcoin, les grandes entreprises ont aussi découvert dans cette technologie des opportunités pour s’étendre vers de nouvelles activités ou tout simplement pour ne pas voir leurs activités et leurs business modèles disruptés par cette technologie. Finalement, les banques ont compris la quasi obligation d’investiguer et d’investir dans la blockchain et en 2014, 22 grands organismes financiers dont Bank of America, JP Morgan, CommerzBank, UBS, Credit Suisse, Société Générale… se réunissaient autour d’un projet confié à la startup R3 pour développer des applications de la blockchain pour le monde financier.

En 2016, le secteur de l’Assurance, mené par Allianz créait R3i dans le même esprit. Aux Etats Unis, l’état du Delaware, où est immatriculée la majorité des sociétés américaines, reconnaissait la blockchain pour enregistrer les statuts des sociétés et suivre leurs obligations légales. Beaucoup de pays dans le monde reconnaissent maintenant l’importance de cette technologie dans quasiment tous les aspects de leur développement économique et aussi pour moderniser le fonctionnement interne de leurs diverses administrations.

En France, des startups (Paymium fut l’une des premières), des publications et des gourous par centaines, des symposiums, des formations, de nombreuses déclarations définitives (souvent sans suites) sur la blockchain ont masqué une assez faible réactivité de la part des entreprises, des médias qui continuent de faire l’amalgame entre blockchain et crypto-monnaies et de l’administration sous équipée en matière de talents dans la technologie. Pourtant, Renault signait un accord en 2017 avec Microsoft pour mettre en place sous Blockchain un livre de maintenance des véhicules et Microsoft le fabriquera sous son cloud Azure. Mais traditionnellement cultivant l’art du « pilote » et s’appuyant sur un principe de précaution mal placé et suranné, l’administration et les entreprises Françaises ont du mal à généraliser les expérimentations mises en place, à leur donner de l’ambition et les faire passer en production à grande échelle, à exporter un savoir-faire voué à être confidentiel.

10 ans après… quelle approche industrielle ?

Presque 10 ans donc après ses premiers pas, la Blockchain est aujourd’hui plus ou moins bien reconnue et encore redoutée, beaucoup d’entreprises y ont cependant déjà affecté des équipes de développement, mais les mises en œuvre à grande échelle sont toujours attendues alors que beaucoup d’investissements ont déjà été réalisés dans le monde, aussi bien dans la création de startups que dans la constitution d’équipes de développement. Au début 2018, après avoir lancé les premiers pilotes pour Marco Polo, un réseau d’échanges financiers open source interopérable autour de la blockchain éliminant totalement l’utilisation du papier, R3 s’écartait des applications purement bancaires et mettait en place une plateforme open source appelée Corda (dont l’architecture est basée sur celle de Marco Polo) pouvant s’adressant à n’importe quel type d’activité, dont en premier lieu l’industrie des boissons, pour faciliter le partage  et la synchronisation des données et les échanges en direct avec des clients et des fournisseurs réguliers ou occasionnels.

Des applications dans de nombreux domaines ont surgi mais leur utilisation reste encore plutôt limitée. Les communautés open source commencent à s’établir (Hyperledger, Ethereum Alliance etc..), et faire leur preuve autour de la blockchain comme elles l’ont fait dans le logiciel système (Linux) et les réseaux (OpenStack). Mais aujourd’hui, comme le constate le cabinet Deloitte dans son rapport de tendances 2018 publié en début d’année, dans la partie dédiée au développement des applications Blockchain dans l’industrie, « Il n’existe aujourd’hui aucun standard technique qui s’impose pour la blockchain et il serait un peu trop optimiste de penser qu’un standard puisse émerger rapidement. » Il poursuit l’analyse en demandant aux chefs d’entreprises : « Voulez-vous qu’un standard émerge, construit par vos concurrents ou bien mettez-vous en route vos équipes pour en développer un ? » Refrain bien connu en France où l’on se tourne plutôt en général vers l’Etat qui agira comme il sait le faire : experts, rapports, commissions, discussions, colloques, choix de quelques porteurs… trop tard et en général à côté de la plaque. Pourtant plusieurs grandes entreprises Françaises (Airbus, BNP Paribas) sont déjà impliquées dans la Blockchain au sein de Hyperledger et si plusieurs startups existent depuis longtemps, leurs activités dans le dépôt de brevets semblent faibles.

Bank of America : leader des brevets dans la blockchain

En février dernier lors du Forum de Davos, haut lieu mondial de l’hyper communication, Brian Moynihan, CEO de la Bank of America, lançait un pavé dans la mare en indiquant que sa société (l’une des plus grandes banques américaines) disposait « probablement » du plus grand nombre de brevets en matière de blockchain. Alors qu’un porte-parole de la banque confirmait 48 brevets sur la blockchain, une analyse sur Google montrait que BofA a 27 brevets liées au mot blockchain, 36 liées au Bitcoin et 39 liées à d’autres crypto-monnaies. Les analyses des patentes liées à la blockchain sont difficiles à utiliser parce qu’elles ne parlent pas toujours de la même chose, souvent liant brevets déposés et brevets acceptés (18 à 24 mois de délais entre les deux en général) et brevets publiés, car certains brevets restent non publiés après avoir été acceptés…

L’utilisation du mot « blockchain » est aussi mal définie, chacun y apportant sa propre interprétation. Les recherches publiées ont aussi été effectuées à différentes dates, ce qui crée une confusion supplémentaire et elles ne prennent pas en compte tous les organismes d’enregistrement de brevets. Enfin elles ne déterminent pas avec précision l’objet principal du brevet, sachant qu’un brevet peut être déposé avec plusieurs mots clé. Il faut être un véritable spécialiste des brevets, disposer d’un outil de recherche puissant et global pour accéder aux bases de données, et en même temps être capable de de comprendre les technologies brevetées dans le détail et l’étendue de leurs développements pour fournir une analyse sérieuse.

Aux Etats Unis, un comptage mené sur l’USPTO (US Patent and Trademark Office) en début d’année donne les résultats suivants sur les brevets déposés contenant l’un ou l’autre des 6 mots clé.

Plusieurs recherches et analyses (Netscribes, Nowall) des sociétés de conseil et d’analyse de marchés, montrent que le nombre de brevets déposés depuis 2 ans a progressé de façon significative, mais ils restent essentiellement centrés sur le secteur financier.

Une analyse coréenne indiquait que dans le monde, c’est plus de 1200 brevets qui auraient été déposés en 2017. Plusieurs autres recherches réalisées depuis le début de l’année avec différents outils montrent qu’il existe probablement autour de 2000 brevets déposés dans le monde dont environ 500 auraient été accordés et seulement près de 400 auraient été publiées…

Qui possède les brevets ?

Des listes de sociétés qui possèdent les brevets autour de la blockchain circulent un peu partout et se ressemblent plus ou moins. Y figurent bien sur un grand nombre de banques (BofA, Mastercard, Amex, Goldman Sacks, JP Morgan, Visa, Wells Fargo…) des assurances (Security First Corp), un assez grand nombre de géants de la technologie (Microsoft, IBM, Cisco, Qualcomm, Broadcom, HP, Ebay, Red Hat, Amazon, Google, Apple, PayPal…) ou encore Walmart et bien sur plusieurs startups comme Scality, CoinBase etc…

Netscribes affirme que ce sont les Etats Unis qui disposent du plus grand nombre de brevets, suivis de près par la Chine où figurent des sociétés comme Huawei ou Alibaba. Les entreprises Françaises qui auraient déposé une dizaine de brevets n’apparaissent dans aucun tableau. Cependant dans la plupart des listes apparait une société appelée EITC Holdings avec une bonne quarantaine de brevets, qui ont été déposés au British Patent Office.

Un récent article dans Bitcoin Patent Record laisse entendre que cette société est en fait un prête nom pour NChain, une société qui figure aussi en bonne position pour le nombre de ses brevets. A elles 2, elles en auraient déposé plus d’une centaine. NChain qui s’est centrée sur la R&D et le développement des Blockchain a été construite autour du nom de Craig Wright qui a prétendu être Satoshi Nakamoto. Mais NChain aurait été récemment vendue à un fond privé basé à Malte, avec plusieurs autres sociétés… ! Dans un communiqué, NChain indiquait vouloir « Rendre disponible certaines de ses propriétés intellectuelles dans la blockchain dans un processus de licence gratuite Open Source » A noter que les racines de la technologie blockchain sont déjà du domaine public suite à la publication du document de Satoshi Nakamoto.

La Chine et les Universités chinoises suivent les Etat Unis de très près

Il faut mentionner la place de la Chine dans ces listes (ou classements).  De l’avis de tous, elle est de très près le deuxième pays le plus actif dans le dépôt de brevets autour de la blockchain. Plusieurs sociétés chinoises se trouvent dans la plupart des listes des top 10 et un plus grand nombre apparait dans les 50 ou 100 premiers contributeurs dans le monde. Il est estimé que plus de 50% des brevets déposés dans ce secteur sont d’origine chinoise, ce qui mettrait, de fait, la Chine en première position dans cette course. La Bank of China, détenue par le gouvernement, est la 4ème Banque du Pays, a par exemple signé un accord avec Tencent (wechat) pour développer et breveter un système de compression des données qui sont incluses dans de nouveaux blocks afin de réduire la quantité globale d’information stockée.

Le magazine CoinDesk, mentionne l’important support (ou plus incitation) offert par l’administration Chinoise (qui par ailleurs interdit sur son territoire l’utilisation des crypto-monnaies) aux Universités pour développer des technologies de blockchain et déposer des brevets. Une note publiée en février dernier par le SIPO (China State Intellectual Property Office) précise qu’une cinquantaine de brevets ont déjà été déposés par l’ensemble des universités Chinoises dont sont mentionnées les 5 plus importantes : University of Electronic Science & Technology of China ; Guangdong University of Technology ; Jinan University ; Sun Yat Sen University et Tsinghua University.