L’ARCEP vient d’annoncer avoir été saisie par la Secrétaire d’État chargée du numérique, Axelle Lemaire ( photo d’ouverture), pour réaliser un état des lieux sur le déploiement IPv6 en France. Axelle Lemaire estime que le retard accusé par la France dans la transition vers ce protocole pourrait à terme freiner la capacité du secteur à répondre aux nouveaux enjeux du numérique tels que l’avènement de l’internet des objets. Dans sa saisine, Axelle Lemaire souligne en particulier que la proportion des utilisateurs connectés à Internet via une adresse IPV6 était estimée à seulement à 6 % en France, contre plus de 20 % aux Etats-Unis et en Allemagne.
La tâche confiée à l’Arcep va consister à dresser l’état des lieux du déploiement du protocole IPv6 en France et à identifier les causes du retard constaté dans cette migration ainsi que ses conséquences sur le secteur. Il lui est également demandé de proposer un plan d’actions de nature à encourager et accompagner la migration des utilisateurs et des entreprises et, en dernier lieu, de mettre en place un observatoire pour le suivi de cette transition.
L’Arcep, comme le conseille la ministre, entend solliciter l’expertise de l’Association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC) dans le cadre de ce projet. Un cycle d’auditions sera également organisé afin de consulter les entreprises et acteurs du numérique concernés par le sujet.
Les conclusions de cette étude doivent être remises au gouvernement d’ici au 1er mai 2016. Philippe Distler (photo ci-dessus) et Jacques Stern animeront ces travaux.
Premier débrousssaillage du contexte concurrentiel
On peut se demander ce que pourra conseiller exactement l’ARCEP car la situation est à la fois simple en facade mais sous tend des mises à jour complexes. Free et SFR proposent l’IPv6 sur toutes leurs box depuis respectivement 2011 et 2012. Seul Orange et Bouygues sont dans l’attentisme. Pour Bouygues, tout doit passer en IPv6 en 2017… s’il n’est pas racheté par Orange. Une expérimentation sur 100 000 utilisateurs chez Orange à déjà eu lieu mais cela avait déjà commencé en 2008 !
Dans l’un de ses communiqués de novembre dernier, Orange précisait que : » l’ensemble des clients disposant d’une Livebox Play avec une ligne VDSL2 ou fibre optique (FTTH) pourraient profiter d’IPv6 au cours de l’année 2016″. Pour les autres et ils sont majoritaires, passer à IPv6 voudrait dire changer de DHCP ( le service qui délivre des adresses IP aux ordinateurs qui se connectent sur le réseau) et surtout mettre à la poubelle le protocole PPPOE, sur leurs box ou leur routeurs, lui qui conditionne les échanges entre la box et les pc sur Ethernet en aval, et les DSLAM en amont. Ces derniers « centraux » de l’Adsl, eux aussi, devront supporter la mutation.
Une opération trés couteuse qui est impossible rapidement
L’opération va rendre, à terme, caduque des millions de box, chez les particuliers et les entreprises et il faut donc procéder par étapes. Pas question de bloquer du jour au lendemain, les accés à Internet. D’autre part, le travail de mises à jour sur les DSLAM et les commutateurs en amont représentent des milliers d’heures de travail et des millions d’euros. Comme ceux-ci vont servir aussi aux autres opérateurs , le partage de la charge de l’opérateur historique s’avère logique mais complexe à établir, au vu des débits et du nombre de connexions, trés variables .
Cette répartition sera au coeur des débats menés par Philippe Distler et Jacques Stern (photo ci-dessus). Tout comme la part à faire payer, tôt ou tard, à ceux qui se nourrissent « sur la bête » ( Google, Netflix, Amazon and Co) .
Pour Orange, le bras de fer avec « les américains », sans « l’autorité », risquerait de dégénérer en pugilat. Mieux vaut dans un sens que l’affaire soit menée directement par l’ARCEP dont c’est d’ailleurs le rôle. Du côté des entreprises, les vendeurs de routeurs et de boîtiers de gestion commencent à se frottter les mains, car IPv6 est synonymes de nouvelles boîtes.
Une manne pour les fournisseurs
Tom Coffeen, évangéliste IPv6 chez Infoblox (spécialiste du DNS et des services IP) commentait récemment l’épuisement des adresses IPv4 :
« Le manque d’adresse IPv4 est une réalité dont l’urgence varie d’un pays à l’autre, mais les entreprises qui préfèrent remettre à demain leur adoption à l’IPv6 ne font que reculer l’inévitable. Le futur du Cloud, de l’Internet mobile, et de l’Internet des objets ne peut exister qu’avec le protocole IPv6 et les entreprises qui souhaitent profiter des bénéfices offerts par cette technologie doivent commencer par l’apprivoiser et la déployer aujourd’hui, ou elles risquent de passer à côté des évolutions de l’informatique et d’Internet. »
Selon les données récoltées par Google, la France était à la pointe de l’adoption d’IPv6 en 2012, mais elle a depuis pris du retard (avec un taux d’adoption de 5,67 %, contre 21,15 % en Allemagne par exemple). Pour Tom Coffeen: » Les opérateurs télécoms travaillent activement à faire accélérer l’utilisation d’IPv6 car ils ont conscience que les entreprises qui tardent à sauter le pas devront faire face à des problèmes de performances de leurs sites et services en ligne. Pour la réputation des entreprises qui utilisent le Web comme une vitrine, c’est un rappel qu’elles doivent dès maintenant se préparer à demain. » Au delà d’IPv6 , c’est bien la répartition des coût d’exploitation des réseaux télécoms qui est en cause. 18 ans après l’ouverture du marché, les anciennes « autoroutes de l’information » méritent de nouveaux revêtements pour éviter les embouteillages. Philippe Distler et Jacques Stern auront la délicate tâche de démêler un écheveau déjà ancien et dont plusieurs fils mènent à Bruxelles.