Vous avez aimé Chorus, vous vous êtes enflammé pour Louvois, vous allez adorer le « programme ONP », abandonné par une réunion interministérielle en 2014 après avoir coûté 346 M€. La publication du rapport de la Cour des comptes est toujours l’occasion de mesurer les dysfonctionnements ou les gabegies possibles par les Pouvoirs publics. Dans ce qui est souvent une liste à la Prévert des manquements et des faiblesses de l’Administration, l’informatique tient souvent une place de choix. Cette année n’a pas fait exception avec le programme ONP auquel l’institution publique consacre un chapitre entier (La refonte du circuit de paie des agents de l’État : un échec coûteux). L’affaire avait déjà largement défrayé la chronique mais elle fait l’objet d’une analyse détaillé de la Cour.

Baptisé « programme ONP[1] », ce projet visait à établir automatiquement la rémunération de 2,7 millions d’agents publics à l’aide d’un nouveau calculateur, le SIPaye, qui devait être directement alimenté par les SIRH des ministères. Parmi les bénéfices attendus et relativement classiques, la Cour mentionne « l’amélioration du service rendu aux agents des économies d’effectif à hauteur de 3 800 postes, la rationalisation des structures en charge de la paie, un renforcement du contrôle interne et de l’auditabilité des processus ainsi qu’un meilleur suivi de l’effectif et de la masse salariale de l’État ».

Le résultat est simple : alors qu’il est qualifié par la Cour des comptes de l’un des projets informatiques les plus ambitieux et les plus coûteux (évalué à un minimum de 346 M€) lancés par l’administration dans la période récente, il a tout simplement été abandonné. « Ses conséquences sont graves pour l’État, les fragiles gains qualitatifs obtenus ne couvrant pas l’investissement massif inutilement consenti (346 M€), sans même évoquer les dépenses que l’État devra nécessairement continuer à l’avenir à engager pour moderniser le circuit de paie de ses agents » poursuit le rapport. En clair, il faut tout recommencer à zéro. On se demande au passage ce qu’il en est des responsables de la maîtrise d’œuvre de ce projet et des sociétés de services impliquées. Pour ce qui le concerne, l’opérateur national de paie a été dissous en juin 2014 et les missions afférentes à la paie devraient être transférées à la DGFiP[2] tandis que les autres échoiraient à un nouveau service. Ironie de l’histoire, ce projet qui visait à la création d’un super-calculateur permettant de réaliser 190 M€ d’économies par an a été lancé sous la présidence de Nicolas Sarkozy également initiateur du programme de révision générale des politiques publiques (RGPP) dont l’un des objectifs majeurs était la baisse des dépenses publiques.

Qui trop embrasse, étreint pas du tout !

Selon la Cour de comptes, l’échec de ce projet est pour une large part imputable à son ambition excessive ainsi qu’à sa gouvernance défaillante. Sur le premier point, la rapport ponte sur « des objectifs trop nombreux et des exigences trop élevées ont conduit l’État à s’orienter vers une architecture technique comportant des risques et une planification très optimiste, qui ont ultérieurement pesé sur le déroulement du programme ». Ce projet poursuivait trop objectifs différents et représentait un « pari technique à haut risque ». Le rapport en fait une liste suffisamment longue dont on se demande comment il a été possible malgré ses difficultés de poursuivre le projet. Parmi celles-ci :
– aucun système d’information comparable à la cible du programme n’était en production à la date de son lancement ;
– alors que de grandes entreprises gèrent une centaine de règles de paie, l’État rémunère ses agents sur la base d’environ 1
500 éléments de paie distincts ;
– alors que les entités privées raccordent généralement leur système de paie à un SIRH unique, l’État avait pour ambition de raccorder son SI-Paye à huit SIRH différents, mobilisant des technologies différentes dont toutes n’étaient pas standardisées ;
– à supposer que l’architecture technique du programme ait pu être mise en œuvre, son exploitation aurait requis qu’une dizaine de services informatiques se coordonnent en permanence pour maintenir la synchronisation des référentiels communs permettant aux systèmes d’information de dialoguer entre eux.

ONP 1La seconde raison de cet échec est attribuée à une gouvernance défaillante liée notamment à une maîtrise d’ouvrage éclatée, partagée entre, d’une part, les ministères responsables de leur SIRH, y compris de leur raccordement au circuit de paie rénové, et l’ONP, service à compétence ONP 4nationale conjointement rattaché à la DGAFP[3] et à la DGFiP, chargé de concevoir et d’exploiter le SI-Paye et ses systèmes complémentaires ? Des maîtrises d’ouvrages qui de surcroit non pas bénéficiées d’un pilotage interministériel. Le suivi du financement de ce projet a également fait largement défaut. Les ressources budgétaires dont disposait l’opérateur national de paie ont été gérées jusqu’en octobre 2012 par le ONP 3directeur général de la modernisation de l’État (DGME), qui bien que membre de droit du comité stratégique de l’opérateur, ce dernier n’y siégeait pas. Les ministres en prennent aussi pour leur grade, notamment les ministres chargés du budget et de la fonction publique qui « auraient dû faire preuve d’une vigilance particulière ».

Savoir arrêter les frais

Le résultat d’un tel échec est calamiteux : « les fragiles gains qualitatifs obtenus ne couvrant pas l’investissement massif inutilement consenti (346 M€), sans même évoquer les dépenses que l’État devra nécessairement continuer à l’avenir à engager pour moderniser le circuit de paie de ses agents ». Heureusement que ce projet a été arrêté, même tardivement. Les projections établies sur la base du dernier calendrier prévisionnel du programme avant son abandon montrent que l’enveloppe prévue n’aurait très vraisemblablement pas permis de financer les raccordements. Selon l’équipe de refondation du programme, 422 M€ supplémentaires auraient en effet été nécessaires pour raccorder les SIRH ministériels au SI-Paye, sans compter 290 M€ de frais additionnels afin d’accompagner la mise en service de ce dernier.

ONP 5

Et l’avenir ?

ONP 2Depuis 2011, l’État a renforcé les procédures d’encadrement de ses grands programmes informatiques, indique le rapport. Ainsi, la création de la DISIC a vu la mise en place d’une procédure d’examen systématique de la viabilité des projets d’ampleur significative. Plus récemment, les systèmes d’information relatifs à des fonctions transversales de l’État ont été placés sous l’autorité formelle des services du Premier ministre et une procédure de revue systématique de la valeur et de la rentabilité des investissements informatiques de l’État a été instituée. Par ailleurs, la responsabilité de la politique de développement des systèmes d’information transverses a été confiée aux secrétaires généraux ministériels. Ces divers garde-fous ne sauraient, à eux seuls, pallier les difficultés que rencontre l’État dans la définition et la mise en œuvre de sa stratégie en matière de SI. Si le Premier ministre a fait une réponse à cette critique, l’ancienne présidente de l’opérateur national de paye et le vice-président de Capgemini, SSII impliquée dans le projet de paie des agents de l’Etat.

___________
[1]
Du nom de l’opérateur national de paie (ONP), chargé de bâtir et d’exploiter le nouveau calculateur de paie et divers systèmes complémentaires.
[2] Direction générale des Finances publiques
[3] Direction générale de l’administration et de la fonction publique