Il y a un an, le Cigref tirait le signal d’alarme. Aujourd’hui, le constat reste le même : les DSI des grandes entreprises ne sont pas satisfaits des pratiques, notamment commerciales, des éditeurs de logiciels, en particulier dans leur évolution vers le cloud.

Le Cigref, comme de nombreuses associations d’utilisateurs de services numériques, dénoncent régulièrement les pratiques illégitimes de certains grands fournisseurs. Ces derniers font peser de manière disproportionnée sur leurs clients le coût de leur conversion dans le cloud. Ce faisant, les entreprises clientes déplorent que la force commerciale des fournisseurs adopte des comportements de « chasseur de prime », favorisés par un modèle de rémunération qui valorise davantage le « vendre plus » que le « vendre mieux », c’est-à-dire que le conseil et la valeur ajoutée pour le client.  Parmi les fournisseurs concernés : AWS, Google, Microsoft, Oracle, Salesforce et SAP.

Pour maintenir une croissance à deux chiffres sur un marché mature, avec un niveau de services jugé en baisse, des fournisseurs s’assurent des revenus récurrents au travers de leur modèle de contractualisation (contrats de licences, de souscription, et de support) et de leur modèle de tarification.

Le modèle économique du contrat de support (recalculé, en cas de baisse du nombre de licences, pour rester à coût constant), les bouquets d’offres, l’application de majorations en cas de réduction du volume de souscription ou de licences… ne sont que quelques exemples de ces pratiques tarifaires contestées par les clients. Le manque de clarté de certaines clauses contractuelles et de certaines métriques, interprétées à l’avantage des fournisseurs, contribuent à accentuer cet effet cliquet.

Enfin, la pratique des fournisseurs, qui consiste à approcher directement les directions métiers et à contourner les équipes de la DSI, malgré la gouvernance de la relation client/fournisseur mise en place dans les grands groupes, a plusieurs conséquences : le développement du shadow IT, une complexification de l’urbanisme et des architectures IT, ainsi qu’une inflation des budgets IT. Cette pratique représente par ailleurs un risque pour l’intégrité des systèmes, dont la DSI est garante.

Des pratiques régulièrement dénoncées, qui n’ont pas changé.

Dans ces conditions, les entreprises seraient à la recherche d’alternatives, open source notamment. A Oracle JDK, Office 365 et Google Suite dans le domaine de la bureautique, Adobe pour la création… Le Cigref salue aussi la démarche de Cheops Technology qui promeut PostGreSQL et propose un automate de migration.

De plus en plus de groupes affichent publiquement leur rupture avec leurs fournisseurs historiques ainsi que leur choix de services de support prestés par des fournisseurs tiers, comme RiminiStreet et Spinaker, afin de réduire leurs coûts de maintenance Oracle et SAP. Un choix qui constitue souvent une première étape vers la sortie.

Sans oublier la troisième voie liée à un regain de développement en interne.

Le RGPD a contribué à élever sensiblement le niveau de vigilance, d’exigence et d’expertise des entreprises dans le domaine de la protection et de la sécurité des données, qu’elles soient personnelles ou business. Nombre de fournisseurs ne satisfont toujours pas aux exigences légitimes des grands groupes sur le plan contractuel et opérationnel.

Le Cigref n’est pas n’ont plus convaincues des réponses faites par les grands éditeurs sur le Cloud Act[1] (« Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act »).

Obsolescence programmée ?

Un an après le premier constat et constatant que les pratiques dénoncées n’évoluent guère, le Cigref alerte le secteur sur les problématiques de distorsion de concurrence liées à certaines pratiques contractuelles et ou commerciales comme les bundles qui s’apparentent à de la vente liée, ou le « droit de bouchon » appliqué par certains grands fournisseurs pour interconnecter les services de fournisseurs tiers et permettre aux clients d’accéder à leurs données.

Le licensing inventif des fournisseurs et certains modes de souscription (KPI sur le taux d’attrition, retour au prix catalogue en cas de baisse de volume) sont des outils de verrouillage du marché : le client est fidélisé de force et les compétiteurs sont maintenus à distance. C’est pourquoi les questions relatives à l’interopérabilité des services, la réversibilité et la transférabilité des données d’un cloud à un autre, occupent toujours une place majeure dans les discussions clients/fournisseurs. Le modèle d’affaires des grands éditeurs est au service d’une stratégie court-termiste de rentabilité pour rémunérer les actionnaires.

Ces modèles d’affaires s’appuient en effet sur la reconnaissance de revenu et des stratégies d’obsolescence logicielle programmée, d’achats non souhaités, de double fonctionnement… au détriment de la valeur du service (par exemple, SAP ECC vs S4/HANA et sur Microsoft Windows et Office. Les grands éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud, majoritairement américains, réalisent une ponction sur la création de richesse en France et en Europe, non compensée par une création de valeur pour le business de leurs clients. Cette ponction se fait au détriment de la capacité d’innovation et d’investissement de nos acteurs économiques, et donc de la croissance, de la création d’emploi et de la fiscalité nationale.

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[1]
Le CLOUD Act est une loi fédérale des États-Unis adoptée en 2018 sur la surveillance des données personnelles, notamment dans le Cloud. Elle modifie principalement le Stored Communications Act de 1986 en permettant aux forces de l’ordre (fédérales ou locales, y compris municipales) de contraindre les fournisseurs de services américains, par mandat ou assignation, à fournir les données demandées stockées sur des serveurs, qu’ils soient situés aux États-Unis ou dans des pays étrangers (source Wikipedia).