Qualcomm annonce toute une gamme de nouveaux processeurs ARM Snapdragon pensés pour les ultraportables plutôt que les smartphones ou tablettes. Mais ce marché existe-t-il ?
C’est l’histoire d’un rêve commun. Celui d’un fondeur qui aimerait bien étendre son marché au-delà de celui des smartphones qui lui a apporté gloire et prospérité. Et celui d’un éditeur qui n’a pas su imposer son système au-delà des PC et dont le trop fort attachement à l’architecture « x86 » freine sa capacité à innover dans un univers toujours plus mobile.
Depuis quelques années, Qualcomm et Microsoft cherchent conjointement à imposer les processeurs ARM dans l’univers Windows. Ensemble, ils ont même conçu une technologie d’émulation x86 pour que les logiciels Windows classiques compilés pour processeurs Intel puissent s’exécuter quand même sur des machines animées par des processeurs ARM de Qualcomm.
Un effort qui a conduit en 2018 au lancement des premiers « Always Connected PC » sous processeur mobile Qualcomm Snapdragon 835 et Windows 10S, des appareils affichant plus de 20 heures d’autonomie, mais au comportement vraiment trop poussif pour être véritablement séduisants.
Un échec qui a conduit les deux entreprises à revisiter leur stratégie. D’un côté Qualcomm a créé une nouvelle gamme de processeurs ARM spécialement conçus pour les PC ultraportables et dont le premier exemplaire est le « Snapdragon 8cx » lancé cette année. De l’autre, Microsoft a abandonné Windows 10S et ouvert le développement d’applications Windows natives ARM 64 bits.
Surface Pro X, la nouvelle tentative de Microsoft
Ce partenariat entre les deux entreprises s’est surtout traduit par le lancement de la Surface Pro X début novembre. Ce « deux en un », à la fois PC et tablette, est animé par un processeur estampillé Microsoft, mais co-conçu par les deux entreprises et qui dérive directement du « Snapdragon 8cx » : le SQ1. Le processeur est donné comme aussi puissant qu’un Core i5, mais la réalité est plus compliquée : cette puissance ne s’exprime vraiment qu’avec les applications compilées pour ARM.
Les avis sur cette « Surface Pro X » sont mitigés. Ceux qui utilisent principalement les applications du Windows Store et les quelques applications compilées en ARM 64 bits apprécient son autonomie, son agilité et son confort d’utilisation. En revanche ceux qui cherchent à retrouver toutes leurs applications PC sont déçus : l’émulation Intel impacte significativement les performances des applications Windows classiques non recompilées en ARM et cette émulation est restreinte aux seules applications 32 bits, les applications Intel x64 n’étant pas supportées.
La Surface Pro X est importante pour Microsoft. Elle permet de mettre entre les mains des développeurs un produit séduisant pour les encourager à recompiler leurs applications Intel en ARM 64 bits. Mais c’est l’éternel serpent qui se mord la queue : tant qu’il n’y a pas assez d’utilisateurs, les développeurs ne sont pas encouragés à proposer leurs applications sur ARM et tant qu’il n’y a pas assez d’applications Windows recompilées en 64 bits les utilisateurs hésitent à adopter des PC sous processeurs ARM, aussi séduisante que puisse être la Surface Pro X par ailleurs.
Qualcomm continue le forcing
Autre problème, la Surface Pro X est un produit « Premium ». Son prix élevé limite mécaniquement son audience. C’est pourquoi Qualcomm espère embarquer ses partenaires les plus fidèles – les constructeurs comme HPE, Lenovo et Samsung qui ont produit des Always Connected PC sous ARM – dans la création de nouveaux PC ARM plus accessibles.
Le fondeur vient ainsi d’annoncer deux nouveaux processeurs pour PC, les Snapdragon 8c et le Snapdragon 7c. Le premier se destine à des machines dans la fourchette 400 à 700 euros, le second aux entrées de gamme sous les 400 euros.
Certes ces PC devraient afficher des designs ultrafins et ultrasilencieux. Ils devraient aussi afficher des autonomies intéressantes au-delà des 13 heures. Mais leur performance forcément inférieure à celle du Microsoft SQ1 pose bien des questions. Tant que l’écosystème des logiciels Windows sous ARM ne prend pas corps, ces processeurs n’ont aucune chance de s’imposer… À moins que les constructeurs ne finissent par les préférer pour animer les ChromeBooks de Google en lieu et place des actuels Intel qui équipent les appareils ChromeOS les plus agiles. Un scénario qui ne fait pas du tout les affaires de Microsoft, mais qui interpelle aussi Intel.
Intel ne reste pas sans réagir
Le fondeur de Santa Clara a déjà la réplique aux attaques ARM menées par Qualcomm : sa 10ème génération d’Intel Core « Comet Lake » et le projet Athena qui les accompagne. Avec Athena, Intel travaille en partenariat avancé avec chaque constructeur pour proposer des ultrabooks au démarrage vraiment instantané et à l’autonomie très étendue avec en plus une charge rapide (4H d’autonomie pour 30 minutes de charge). Et les premiers modèles commencent à voir le jour. À l’instar des nouveaux « HP Spectre x360 13 » et « HP Elite Dragonfly », les premières machines « Athena » affichent des autonomies qui avoisinent voire dépassent les 20 heures ! Et des appareils comme Surface Pro 7 prouvent qu’un démarrage instantané n’est plus du tout le privilège des processeurs ARM !
Seul bémol, les processeurs Intel « Comet Lake » démarrent trop haut dans les échelles de prix. Au prix d’un Snapdragon 7c, Intel aligne des processeurs poussifs comme les Pentium Gold qui équipent la peu puissante, mais plutôt fun Surface Go qui a désormais plus d’un an d’existence.
Question pour l’instant sans réponse : Microsoft osera-t-elle une Surface Go 2.0, et si oui optera-t-elle une nouvelle fois pour un processeur Intel ou pour un processeur Qualcomm Snapdragon 7c ? Si une Surface Go 2.0 voit vraiment le jour, son choix de processeur lancera forcément un signal fort à la communauté de développeurs.
Par ailleurs, on notera que pour animer sa future mini tablette double-écran « Surface Neo », Microsoft n’a pas opté pour un processeur ARM, mais pour le futur processeur « Lakefield » d’Intel, basée sur la nouvelle microarchitecture à faible consommation « Tremont ».
Windows 10X peut-il changer la donne ?
Un autre élément pourrait toutefois venir changer les équilibres actuels : Windows 10X. On en sait encore très peu sur ce nouveau système autrefois désigné sous l’appellation « Windows Lite ». Officiellement, ce système se veut très allégé et pensé pour les appareils « dual screen ». C’est ce système qui équipera la future tablette double écran « Surface Neo » attendue fin 2020.
Officieusement, on sait que Windows 10X est aussi envisagé pour des petits PC portables, à même de concurrencer les chromebooks. On sait aussi que Windows 10X privilégiera des applications Web et des applications Store (à la fois compilées ARM et Intel).
Lors du dernier Qualcomm Tech Event, l’association « Snapdragon 7c / Windows 10X » était sur toutes les lèvres comme un scénario plus que probable.
Reste que le projet Windows 10X est encore loin d’être là et que personne ne s’attend à des annonces le concernant avant la conférence Build 2020 en mai prochain.
Bref, si Qualcomm et Microsoft mettent effectivement les bouchées doubles pour tenter d’ouvrir l’univers du PC Windows aux processeurs ARM, la victoire est très loin d’être acquise. Les deux entreprises ont un vrai parcours du combattant à franchir pour entraîner les développeurs dans cette quête avant de pouvoir convaincre un large public. Et entre temps, Google pousse de plus en plus fort les Chromebooks auprès des entreprises et Intel prépare ses prochaines armes tout en faisant des progrès significatifs sur l’autonomie. L’année 2020 s’annonce donc déjà riche en rebondissements…