L’annonce par Intel de son nouveau système neuromorphique capable de sentir les odeurs est l’occasion d’évoquer une nouvelle forme d’informatique plus adaptée à l’IA que les systèmes actuels : l’informatique neuromorphique.

Le terme d’informatique neuromorphique est né dans les années 80 avec les travaux de Carver Mead sur des rétines artificielles. Il regroupe désormais tout un ensemble de technologies cherchant à produire des processeurs et des « machines » inspirées du cerveau humain et de ses réseaux de neurones.
IBM, Samsung, Intel, Huawei, AMD, NVidia, Google, Microsoft, bref tous les grands de l’informatique et des processeurs, cherchent à incorporer des « neuro processing unit » au cœur de leurs machines, souvent pour accélérer les inférences mais également pour accélérer les apprentissages machines en boostant l’exécution de moteurs comme TensorFlow. Toutefois ces NPU ne sont le plus souvent que de simples accélérateurs de multiplication de matrices.

De nouveaux processeurs et de nouveaux algorithmes

Chip Analog AI d’IBM

Les nouveaux processeurs neuromorphiques cherchent à réinventer la conception même des processeurs en intégrant la notion de « neurones » et en cherchant à appliquer les principes du PIM (Processing In Memory) cherchant à fusionner professeur et mémoire et exploitant les nouvelles formes de mémoires persistantes. De nombreux acteurs comme IBM (TrueNorth), Intel (Loihi), Brainchip, Nepes, Vicarious, SK Hynix, Cambricon, mais aussi des français comme STMicroelectronics, Soitec, Atos, AnotherBrain, travaillent sur des technologiques matérielles et/ou logicielles qui portent toutes des noms différents (« Analog AI » chez IBM ou « Organic AI » chez AnotherBrain par exemple) mais découlent toutes d’une même volonté de déboucher à des alternatives au Deep Learning actuel grâce à des processeurs neuromorphiques plus rapides et beaucoup plus efficients en énergie.

Selon Gartner, l’informatique neuromorphique va révolutionner le marché actuel des appareils à semiconducteurs utilisés jusqu’ici pour exécuter les algorithmes d’intelligence artificielle et devrait s’imposer d’ici 2025 sur le marché des architectures informatiques dédiées à l’IA, remplaçant au passage les GPU.

D’une manière générale, l’informatique neuromorphique cherche à entraîner les modèles d’apprentissage machine avec une fraction de l’immense volumétrie d’information aujourd’hui nécessaire aux apprentissages machine. En cela, elle n’est donc pas uniquement portée par une nouvelle génération de processeurs mais tout autant dépendante de nouveaux algorithmes et de nouveaux modèles de réseaux de neurones. À la manière des bébés et des enfants, les intelligences neuromorphiques seront capables de reconnaître un chien, un jouet ou une voiture dès la première fois qu’on leur montre et pour toujours. Ce qui est bien loin d’être le cas des réseaux de Deep Learning actuels.

Intel passe à l’expérimentation de terrain

Pohoiki Springs (Credit: Intel Corporation)

Preuve que cette informatique de demain commence à sortir des laboratoires, Intel a annoncé cette semaine un ordinateur neuromorphique, de l’encombrement de 5 serveurs standards et opérants à 500 watts. Dénommé Pohoiki Springs, s’appuie sur 24 cartes d’extension Intel Nahuku dotées chacune de 32 processeurs neuromorphiques Intel Loihi (soit 768 processeurs neuromophiques au total) permettant au total d’émuler l’équivalent de 100 millions de neurones.
Contrairement aux machines traditionnelles à base de bus de données reliant les CPU à la mémoire, dans le système Pohoiki Springs, la mémoire et les éléments de calcul sont entrelacés afin de minimiser la distance que les données ont à parcourir.

Ce système Pohoiki Springs vient d’être expérimenté par les chercheurs de l’université de de Cornell pour développer un système capable d’apprendre et de reconnaître les odeurs, plus exactement les composants chimiques présents même dans un environnement dangereux, complexe et sans visibilité.
Ce qui le différencie des systèmes actuels, c’est sa capacité à reconnaître une odeur à partir d’un seul échantillon alors qu’il en fallait au minimum 3000 sur les systèmes actuels.

Nabil Imam et un Loihi (Credit: Walden Kirsch/Intel Corporation)

Le système est même capable de détecter des odeurs comme l’ammoniaque, l’acétone ou le méthane alors que l’on cherche à en masquer les odeurs par différents parfums.
L’objectif de l’expérience est d’aboutir à un ordinateur neuromorphique capable de « sentir » les narcotiques, les explosifs, les armes chimiques, les gaz dangereux ou encore les maladies.
Selon les thermes des chercheurs, « nous avons développé sur Loihi des algorithmes IA qui miment ce qui se passe dans notre cerveau lorsque nous sentons une odeur ».

Développé par Intel depuis 2017, le processeur neuromorphique Loihi se compose de 130 000 neurones. Intel avait produit un premier système dénommé Pohoiki Beach en 2019 embarquant 64 processeurs Loihi pour obtenir 8 millions de neurones. À peine neuf mois plus tard, son Pohoiki Springs affiche donc 100 millions de neurones animés par 768 processeurs Loihi.
Mais Intel n’est pas seul sur ce marché. IBM développe aussi, depuis 2014, un processeur neuromorphique dénommé TrueNorth animant le projet SyNAPSE qui affichait, en 2019, 1 million de neurones et 256 millions de synapses artificiels. Depuis IBM semble se focaliser sur sa prochaine génération de processeurs neuromorphiques « Analog AI » à base d’« in memory computing ».
De son côté, Brainchip peaufine son SoC neuromorphique Akida hébergeant 1,2 millions de neurones et 10 milliards de synapses et dont le kit de développement a été officialisé en février dernier.

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IBM – Novel Synaptic Architecture for Brain Inspired Computing
Intel – How a Computer Chip Can Smell without a Nose