Aujourd’hui, les ordinateurs classiques s’appuient sur des technologies extrêmes difficilement industrialisables. Mais la découverte d’une équipe de chercheurs de l’Université de Chicago pourrait bien changer la donne…

Réaliser en quelques minutes ou secondes, des calculs qui prendraient des centaines voire des milliers d’années sur nos super-ordinateurs HPC actuels. Prochaine grande révolution technologique avec l’IA, l’informatique quantique promet de révolutionner notre monde en changeant d’échelle. Et par la même occasion d’apporter des solutions à des problèmes météorologiques, écologiques, médicaux, chimiques, physiques, mathématiques, hors de portée de l’informatique classique.

IBM Q1 System

Mais la mise au point de cette informatique quantique, tirant profit des forces et caractéristiques qui ne s’appliquent qu’à l’échelle des particules et agissent au niveau atomique, se révèle d’une immense complexité. Les prototypes actuels font appel à la supra-conductivité, opèrent à des températures proches du zéro absolu, occupent une pièce entière pour finalement ne gérer que 50 qubits (équivalents quantiques du bit en informatique classique).

Ces technologies sont aujourd’hui difficilement industrialisables. L’IBM Q1, premier ordinateur quantique généraliste disponible commercialement est ainsi limité à 20 qubits, une performance reproductible par émulation sur un simple PC portable ! Le problème, c’est que tout ajout d’un qubit supplémentaire rend l’ensemble extrêmement plus instable. On est donc encore très loin de pouvoir atteindre les millions de bits de nos ordinateurs actuels. Cependant, nous n’avons pas besoin de millions de qubits pour largement dépasser les capacités des ordinateurs actuels. Quelques centaines de qubits suffiraient…

Une informatique déjà à l’œuvre

Cette informatique quantique complexe est récemment sortie des laboratoires de recherche pour s’exposer au monde. Elle existe et peut déjà être expérimentée, malgré ses limitations actuelles, grâce au cloud. IBM, Microsoft, Google, AWS, Rigetti proposent tous d’expérimenter des machines quantiques dans le cloud et de découvrir la programmation quantique.
Si la plupart des recherches actuelles se cantonnent à imaginer les algorithmes de base, quelques applications pratiques commencent à voir le jour. Avec D-Wave ou IBM, les agences de renseignement travaillent sur des algorithmes de découverte des clés de chiffrement. Avec Google, ProteinQure expérimente la modélisation des protéines. Ford et Microsoft élaborent un algorithme de régulation de la circulation de Seattle…

Et si les recherches actuelles faisaient fausse route ?

Il y a quelques semaines, Google se gargarisait d’avoir atteint la suprématie quantique en faisant réaliser à son prototype Sycamore un calcul très complexe (par ailleurs sans grand intérêt) en 3 minutes et 20 secondes. Selon Google, un tel calcul aurait pris plus de 10.000 années sur le plus puissant des HPC actuels, l’IBM Summit. Une affirmation contredite immédiatement par IBM qui affirmait que la même tâche ne prendrait que 2,5 jours sur cet ordinateur pour, au final, obtenir un résultat d’une plus grande fidélité que celui de Google.
Une polémique qui illustre à quel point l’informatique quantique est encore très expérimentale et démontre que les pistes suivies actuellement n’aboutiront pas nécessairement. Et si d’autres approches étaient possibles ?
En juillet 2018, un jeune mathématicien, Ewin Tang, démontrait qu’il était possible d’adapter un algorithme quantique de recommandation comme le QML de Kerenidis et Prakash et de le reformuler pour l’exécuter presque aussi rapidement sur un ordinateur classique.
En outre, pour certains chercheurs, l’informatique quantique ne se concrétisera pas avant des décennies car le problème de la décohérence qui impose de multiplier les qubits de contrôle pour s’assurer de la véracité des résultats rend l’ensemble économiquement irréaliste et inutilement complexe.

Faire du quantique avec du silicium ?

L’équipe de chercheurs de l’université de Chicago

Poursuivant de nouvelles pistes, une équipe de chercheurs de l’université de Chicago vient de démontrer que des états quantiques pouvaient être intégrés et contrôlés électriquement dans du carbure de silicium. Selon leurs études publiées début décembre dans Science et Science Advances, les chercheurs estiment que « cette découverte pourrait peut-être permettre d’utiliser des composants électroniques actuels pour construire des ordinateurs quantiques ».
Exit donc la supraconductivité, les matériaux exotiques, les atomes en lévitation, les diamants, les températures infernalement basses. Il pourrait finalement être possible de construire des machines quantiques avec nos technologies silicium actuelles. « Toutes les théories actuelles suggèrent que pour obtenir un bon contrôle quantique dans un matériau, il doit être pur et libre de champs fluctuants » explique Kevin Miao, l’un des chercheurs. « Mais nos résultats suggèrent qu’avec une conception appropriée, un dispositif électronique classique peut non seulement atténuer l’impact des impuretés, mais aussi créer des formes supplémentaires de contrôle qui n’étaient pas possibles auparavant ».
‎Au passage, les chercheurs ont ainsi découvert d’autres propriétés. Leurs états quantiques dans le carbure de silicium ont l’avantage supplémentaire d’émettre des particules de lumière uniques avec une longueur d’onde près de la bande de télécommunications. « Cela les rend bien adaptés à des transmissions sur de longues distances à travers le même réseau de fibre optique qui transporte déjà 90% des données Internet dans le monde » affirme David Awschalom, scientifique senior au ‎‎Laboratoire national d’Argonne‎‎ et directeur du ‎‎Chicago Quantum Exchange‎‎.‎ Les scientifiques ont ainsi mis au point ce qu’ils appellent « une radio FM quantique » capable de transmettre des informations quantiques de façon similaire à transmission de musiques à un autoradio.
‎« Ce travail nous rapproche un peu plus de la réalisation de systèmes capables de stocker et de distribuer des informations quantiques sur les réseaux de fibre optique du monde entier », estime David Awschalom. « De tels réseaux quantiques entraîneraient une nouvelle catégorie de technologies permettant la création de canaux de communication inattaquables, la téléportation d’états d’électron et la réalisation d’un Internet quantique ».

Évidemment tout ceci reste expérimental et quelque peu hypothétique. Les centres de recherche d’IBM, Google, Microsoft, Rigetti, D-Wave, Athos, de startups encore méconnues et d’universités, continuent d’explorer de multiples pistes différentes pour faire de l’informatique quantique et de ses promesses une réalité de demain. Difficile de prédire aujourd’hui non seulement à quoi ressembleront les ordinateurs quantiques à l’avenir ni même à quel moment apparaîtront les premières machines avec quelques centaines de Qubits qui nous permettraient de réelles avancées scientifiques. Les jours des HPC ne sont donc pas encore comptés. Mais au rythme actuel des découvertes et des avancées techniques, nul doute que nous parlerons beaucoup de « quantum computing » en 2020…
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Rappel : Un qubit est l’équivalent du bit de l’informatique classique mais ses propriétés sont différentes. Il représente la plus petite unité de stockage d’information quantique. Alors qu’un bit ne peut représenter qu’une des deux valeurs 0 ou 1, un qubit résulte de la superposition de deux états 0 et 1. Une caractéristique qui offre un formidable potentiel de calculs parallèles.