Watson, Cloud, Blockchain, Informatique quantique… Nicolas Sekkaki présente les projets d’avenir qui doivent permettre à Big Blue de transformer les entreprises et de renouer avec la croissance.

Lors des derniers résultats trimestriels, IBM a publié un chiffre d’affaires en baisse pour le 18 trimestre consécutif. Pour la première fois, le chiffre d’affaires de Microsoft a dépassé celui d’IBM. Quand IBM annoncera-t-elle la fin de ce cycle récessif ?

Nicolas Sekkaki : La comparaison avec Microsoft ne me semble pas pertinente car IBM se concentre le marché des entreprises. Pour ce qui est de la baisse du chiffre d’affaires, il faut d’abord préciser que la dernière baisse était minime (-0,3%) et avait plus à voir avec les fluctuations monétaires. Comme peu d’entreprises, IBM s’est complètement réinventé en quelques années en misant sur des nouvelles activités baptisées « initiatives stratégiques » tout en prenant en compte la décroissance des autres activités. Ces activités vont représenter plus de 40 % du chiffre d’affaires en 2016.

Chaque grand acteur de notre secteur est à la recherche de son nouveau modèle et il n’y a plus de modèle unique comme c’était le cas il y a dix ans. De notre côté, nous ne faisons pas plus la course au chiffre d’affaires. IBM est encore en période d’investissement et de transformation et en cours de constitution d’une offre totalement renouvelée à la recherche de nouvelles applications et de nouveaux clients. Cette évolution s’appuie bien sûr sur des acquisitions. L’année dernière, nous avons dépensé 14 milliards de dollars en achat d’entreprises.

Depuis la médiatisation suite à la victoire au jeu Jeopardy en 2011, Watson a trouvé de nombreuses applications dans des domaines divers, en particulier le domaine médical. Il y a beaucoup de références aux Etats-Unis. Et en France ? IBM gagne-t-il de l’argent avec Watson ?

20-ibm-1N.-S. : Comme vous le rappelez Watson n’a que 5 années d’existence, c’est encore très nouveau. Avec des réalisations sans égales. Premier fait à mentionner, Watson est désormais dirigé par une personne venant de l’extérieur, David Kenny ancien CEO de The Weather Company racheté par IBM et d’Akamai. Il a également les activités cloud sous sa responsabilité. C’est assez rare pour IBM de confier des activités stratégiques à quelqu’un de l’extérieur. L’idée est de faire de l’hybridation et de croiser des expériences différentes. Cette démarche s’applique aussi à la France. Par ailleurs, l’ensemble des services Watson sont disponibles sur le cloud. Aujourd’hui, Watson est utilisé indirectement, via des plates-formes ou des services, par un milliard de personnes dans le monde.

Les entreprises utilisent Watson pour se transformer en profondeur. Par exemple, le Crédit Mutuel, ayant constaté que les clients ont changé leur mode de consommation des services bancaires, est venu nous voir il y a 16 mois. Entre temps, Watson s’est mis à parler français. Aujourd’hui, l’application, qui a conduit à la définition d’un nouveau parcours client, est en production.

Nous avons une dizaine de projets en développement dans les domaines de la banque et assurance pour la relation client, le big data… Watson permet de faire le lien entre l’expérience client, les données et les processus. Et plutôt que de créer trois informatiques parallèles, nous pouvons désormais faire en sorte que ces trois domaines – clients, données, processus – fonctionnent en synergie afin de donner une seule et même vue pour mieux transformer l’entreprise. Watson n’a pas été proposé comme une technologie ou des services isolés mais en complément du système d’information existant.

En France, nous avons une cinquantaine de consultants qui travaillent sur une dizaine de projets et développent des cas d’usage. Nous avons réalisé plusieurs pilotes et sommes en phase de généralisation et d’extension. Ces projets que l’on appelle scale out et qui représentent quelques centaines de milliers d’euros peuvent ensuite passer rapidement en production.

American Airlines a annoncé il y a quelques jours qu’elle allait migrer son infrastructure IT sur le cloud et a fait appel à IBM pour l’aider dans cette délicate opération sans exclure d’utiliser des services cloud concurrent, en particulier Azure ou AWS. Y a-t-il des exemples en France comparables ?

N.-S. : Boursorama, qui est la première banque en ligne en France avec près de 1 million de clients – a mis toute son informatique sur le cloud IBM. Le top 5 des eCommerçants français ont fait de même. Une décision majeure quand on pense à la dimension stratégique de leur informatique qui ne tolère pas de pannes et doit parfaitement épouser l’activité.

La Blockchain, dont beaucoup n’avaient pas entendu parlé il y seulement quelques années est devenu un sujet majeur. Est-ce une mode ou une révolution à venir ?

N.-S. : C’est une tendance de fond et nos clients regardent attentivement ces technologies.  De notre côté, nous sommes très actifs sur le sujet. Nous participons au consortium Bchain avec la Caisse des dépots et plusieurs banques. Nous avons finalisé un projet sous la forme d’un prototype opérationnel avec le Crédit Mutuel Arkea en vue d’améliorer la capacité de la banque à vérifier l’identité de ses clients (voir encadré). Nous développons les cas d’usage en tenant des questions liées à la réglementation. Les cas d’application possibles sont nombreux et concernent tous les secteurs économiques ainsi que le secteur public. IBM France va créer la Practice Blockchain au sein de la division Global Business Services. Tous nos services liés à la Blockchain sont désormais disponibles sur notre cloud Bluemix.

IBM fabrique toujours des ordinateurs, ce qui parfois certains oublient un peu vite ? Son offre serveur s’appuie désormais sur deux jambes : les mainframes d’un côté et de l’autre les systèmes Power de l’autre. Quelle est la stratégie à long terme ?

20-ibm-2N.-S. : Concernant les mainframes, un petit retour en arrière n’est pas inutile pour comprendre la situation actuelle. Dans les années 97/98, IBM a décidé de changer complètement de technologies en passant du bipolaire au CMOS et en construisant des machines refroidies à air et non à eau. Pendant ce temps, les concurrents historiques d’IBM, entre autres Hitachi et Amdahl, ont continué avec les mêmes technologies ce qui les a amenés à une impasse. Nous avons alors fait ce pari sur une technologie à l’époque moins performante et nous engrangeons les bénéfices encore aujourd’hui.

Le mainframe n’est pas seulement dans une stratégie de remplacement des systèmes existants par des systèmes plus performants. Il est historiquement au cœur de la gestion de process mais il intervient désormais sur de nouvelles applications liées aux données et à l’engagement client.

Concernant les systèmes Power, notre stratégie définie il y plusieurs années se déroule comme planifiée. Nous avons d’abord installé Linux en mode natif et tous les outils complémentaires comme l’hyperviseur KVM. Nous avons créé le consortium OpenPower permettant de démultiplier le développement de l’écosystème. Nous visons à la fois le marché des data center – les entreprises sont très intéressés par un double sourcing – et des nœuds capables de traiter des volumes importants de données. Notre partenariat avec Nvidia autour d’OpenCAPI ouvre les perspectives nouvelles avec des architectures combinant des CPU et des GPU capables de partager la mémoire et donc de contourner le goulet d’étranglement lié au transport des données. Avec Power et OpenCAPI, nous dépassons la loi de Moore à laquelle est directement confronté Intel avec ses processeurs x86. Fort d’une telle architecture, nous allons revenir en force sur le marché du HPC. Trois des plus grands laboratoires de recherche américains dont celui du Lawrence Livermore nous font confiance. Il faut comprendre que nous sommes sur ces cycles de 10 à 15 ans.

IBM est un des rares fournisseurs qui travaille actuellement au développement de l’ordinateur quantique pour lequel les attentes sont très élevées. A quelle échéance verra-t-on le premier système sur cette technologie ?

N.-S. : L’informatique quantique sera une véritable révolution et apportera une augmentation de performances de plusieurs ordres de grandeur. Les premiers prototypes devraient voir le jour d’ici cinq ans mais l’ordinateur quantique généraliste – une sorte d’IBM 360 quantique – disponible pour les entreprises devrait être disponible d’ici une dizaine d’années. Depuis quelques mois, nous proposons aux chercheurs et aux développeurs d’accéder à un ordinateur quantique de 5 qubits via le cloud. Cela leur permet de se « faire la main » sur des technologies totalement nouvelles pour lequel il y a tout à construire, notamment la plate-forme logicielle, à commencer par le système d’exploitation. Car la programmation des ordinateurs quantiques est complètement différente. La combinaison de l’informatique quantique et de l’intelligence artificielle nous donnera à terme un avantage concurrentiel incomparable.

Côté nouvelles technologies, nous avons également présenté notre processeur neuromorphique True North basé sur une architecture synaptique comprenant 1 million de neurones et 256 synapses.

Dans un domaine très différent, le tribunal de Cergy-Pontoise a invalidé la décision de Plan de Sauvegarde de l’Emploi visant à la suppression de 360 emplois dont 60 licenciements secs. Quelle suite allez-vous donner ?

N.-S. : Dans le contexte de transformation en profondeur que nous menons depuis plusieurs années, nous devons faire appel à de nouvelles compétences et nous séparer d’autres. Dans le cadre du PSE que vous mentionnez, nous étions arrivés à limiter le nombre de licenciements à 51 sur les 7500 salariés – dont 700 chercheurs – que compte IBM France. Nous étudions la réponse à apporter sachant qu’elle s’inscrira bien sûr dans le droit du travail. Des emplois apparaissent, d’autres disparaissent. A IBM Services Center de Lille par exemple, nous avons créé quelque 500 emplois depuis sa création.

Tout récemment, Ginny Rometty a annoncé qu’IBM allait créer 25 000 emplois en quatre ans dont 7000 dès 2017. Quelle est la logique après avoir réduit significativement IBM aux Etats-Unis et s’est largement développé offshore, en Inde notamment.

N.-S. : Tout d’abord cette annonce est indépendante du contexte politique que vous connaissez aux Etats-Unis. Dans une phase où il s’agissait d’automatisation des processus et d’industrialisation de l’IT, nous avons développé des emplois en offshore. Aujourd’hui, nous sommes dans un cycle de transformation d’entreprise et d’innovation. D’où la nécessité de compétences totalement nouvelles qui soient proches des clients et peuvent discuter directement avec eux.

 


Arkéa veut mieux connaitre ses clients avec la Blockchain

Avec 3,6 millions de clients, le Crédit Mutuel Arkéa compte utiliser la technologie Blockchain pour améliorer l’expérience des clients et des conseillers. Arkéa et IBM travaillent à fédérer les différents silos de données clients en créant une plateforme KYC unique pour l’ensemble des domaines d’activité. La Blockchain identifie et utilise toutes les preuves existantes valables déjà stockées dans les multiples référentiels du système d’information de la banque telles que celles issues des demandes de crédit, des souscriptions à une assurance-vie et des ouvertures de comptes bancaires.

IBM a apporté son expertise dans les domaines suivants :
– La méthodologie IBM Design Thinking et l’IBM Studio de Paris pour définir les impératifs stratégiques du projet, creuser les idées initiales et co-créer le cas d’usage en prenant le point de vue de l’utilisateur final.
– Bluemix, la plateforme Cloud d’IBM, pour accélérer le développement du projet en utilisant une gamme complète de composants as-a-services, dont Blockchain-as-a-Service et DevOps.
– L’expertise métier de la ligne de service banque de l’entité IBM Global Business Services pour orienter le projet et identifier les axes de transformation de l’entreprise.