On demande souvent la différence entre Open Innovation et Open Source. Nombreux sont ceux qui confondent les deux. Essayons de tirer au clair les liens entre ces notions avec des éclairages sur l’Open Hardware, l’Open Data, l’Open Access…

L’Open Source

Commençons par le mouvement Open Source, puisqu’il est antérieur à l’Open Innovation. Ce mouvement voit le jour dans les années 80 autour du MIT aux Etats-Unis. Il constitue une réaction face à l’essor des éditeurs de logiciel qui ont vu le jour au cours de la décennie précédente. Ceux-ci développent les logiciels indépendamment des constructeurs de matériel et les vendent contre des licences. Ils protègent donc leurs produits et il devient souvent impossible de modifier les logiciels ainsi créés. Richard Stallman, alors chercheur au MIT, réagit contre une tendance contraire à la philosophie d’entraide et de partage de la communauté de développeurs et crée un projet appelé GNU et ayant pour but de créer un système d’exploitation « libre ». Il crée une fondation (Free Software Foundation) et écrit un manifeste pour encourager d’autres développeurs à le rejoindre. Le premier succès visible de cette initiative sera le système d’exploitation Linux qui est par exemple aujourd’hui utilisé dans tous les Smartphones reposant sur Androïd.

Quelques années plus tard, en 1998, l’Open Source Initiative (OSI) voit le jour en Californie. Cette initiative a en particulier pour but de lever l’ambiguïté du terme anglais « free », qui signifie « libre » mais aussi « gratuit ». Les promoteurs de l’Open Source ne nient pas l’économie autour de ces logiciels. En revanche, celle-ci reposera sur des services payants (maintenance, améliorations, utilisation,…) proposés autour de logiciels dont les licences sont gratuites. L’OSI clarifie la définition de l’Open Source et codifie les conditions nécessaires pour qu’une licence soit considérée comme compatible. Par exemple, celle-ci doit autoriser les modifications et les applications dérivées, et elle doit permettre leur distribution sous les mêmes termes que ceux de la licence du logiciel original.

L’Open Innovation

Le terme Open Innovation est apparu en 2003 dans un livre publié par Henry Chesbrough. L’Open Innovation regroupe des pratiques de l’innovation s’appuyant délibérément sur l’extérieur de l’entreprise, pour en améliorer l’efficacité ou pour mieux valoriser les efforts d’innovation fournis en interne. Chesbrough effectue dans son livre une synthèse de pratiques qui ne sont pas nouvelles. Par exemple, le recours à la connaissance extérieure via des « gatekeepers » est déjà identifié par Thomas Allen dans les années 60. Von Hippel dans les années 80 identifie le recours à des utilisateurs avancés (« lead-users ») pour développer des innovations de rupture. Globalement, l’Open Innovation promeut le développement de flux de connaissances et d’idées lors du processus d’innovation :

– entre l’entreprise et son environnement, afin de permettre un meilleur partage des risques et des gains avec des partenaires extérieurs;

– à l’intérieur même de l’entreprise, afin de permettre une plus grande mobilisation de tous les collaborateurs de l’entreprise.

Selon nous, les vraies nouveautés liées à l’Open Innovation n’étaient pas encore pleinement en action lorsque le terme a été inventé : il faut plutôt chercher dans le développement des technologies de l’information et de la communication, qui facilitent les flux d’information, pour trouver des outils et pratiques nouvelles. Ils s’appuient sur les réseaux sociaux, les outils du e-commerce, les technologies du web sémantique, les données mises en libre accès (Open Access, Open Data), etc.

Différences

Des introductions précédentes, il est évident qu’Open Source et Open Innovation sont des notions très différentes. Citons quatre différences importantes.

  1. Tout d’abord quant aux objets concernés : le logiciel pour l’OS; tout type de produit ou service pour l’Open Innovation. Cette différence pourrait partiellement s’estomper dans les années à venir puisque la production d’objets physiques est à présent représentée au travers par exemple des Open Source Appropriate Technologies (OSAT), ou, plus récemment, de l’Open Source Hardware
  2. Ensuite sur le cadre économique et légal proposé. L’Open Source définit un cadre d’échange économique ainsi qu’une politique de propriété intellectuelle. L’Open Innovation laisse ces questions totalement ouvertes. Rien par exemple ne définit les conditions de participation, dans un challenge d’Open Innovation, d’un « lead-user » ou d’un expert apportant leur contribution.
  3. Le poids des acteurs. Les conditions d’échange précédentes sont donc souvent définies par une grande entreprise ou par un intermédiaire spécialisé dans l’Open Innovation. Ces intermédiaires n’existent pas vraiment dans l’Open Source puisque la production et la mise à disposition du code peut se faire via des serveurs informatiques (forges, repositories).
  4. Enfin la diversité des contextes de l’Open Innovation est immense, là où l’Open Source traite de développement ou d’amélioration de logiciels. Les entreprises utilisent l’Open Innovation aussi bien pour des projets très amont (idéation, concours d’idées), la résolution de problèmes, l’amélioration de produits existants, le montage de projets de recherche, etc.

Points communs

Mais il existe aussi des points communs forts entre les deux notions. Nous en citerons 4.

  1. Le déplacement des frontières de l’entreprise. Les deux approches remettent en cause le périmètre de l’entreprise traditionnelle, privilégiant la collaboration, le partage, la décentralisation. Ils abaissent les barrières de langue et de géographie (bien qu’il y ait une forte domination de l’anglais et des Etats-Unis), permettent une circulation mondiale des idées et de l’information;
  2. L’Open Innovation et l’Open Source valorisent ce qu’on appelle aujourd’hui l’intelligence collective, reconnaissent que « le tout est plus que la somme des parties », que la diversité, l’indépendance et la décentralisation des opinions et des idées permises par internet donnent accès à une richesse qui était difficile à mettre en œuvre auparavant;
  3. Un élément de motivation important est le souci d’œuvrer pour le bien commun. Ce souci est sans doute plus fort dans le mouvement Open Source (et surtout dans le Free Software), mais on retrouve souvent cette motivation chez les participants aux process d’Open Innovation, qu’ils soient experts, collaborateurs d’entreprises ou individus ;
  4. Les technologies de l’information et de la communication jouent un rôle clé, tant dans l’accès à l’information et à la connaissance, dans la production et la prolifération des données ou dans la circulation des idées. L’Open Access promeut la libre mise à disposition de contenus numériques et en particulier dans le domaine des publications issues de la recherche. Ceci permet une plus vaste diffusion et critique des idées scientifiques et, partant, un progrès plus efficace de celles-ci.

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Jean-Louis Liévin est Président et co-fondateur à ideXlab