La Commission Européenne s’apprête avant la fin de l’année à prendre des décisions pour la mise en place de sa directive ITS (Intelligent Transportation System) formulée il y a 2 ans. En d’autres terme, elle devrait se prononcer sur les choix de technologies pour les communications entre véhicules, connectés, et/ou autonomes. Deux grandes directions s’opposent sur les choix possibles :

– L’une dite C-ITS (qualifiée aussi de hybride) s’appuie sur ITS-5G, une forme adaptée de Wi-Fi sur la bande des 5,9GHz, elle est basée sur ce qui s’appelle DSRC aux Etats Unis depuis 15 ans. Elle est favorisée par la Commission Européenne et soutenue par les 2 grands constructeurs automobile européens Renault et Volkswagen ainsi que par Toyota au Japon et plusieurs fournisseurs de technologie.

– L’autre approche dite C-V2X s’appuie exclusivement sur les réseaux cellulaires (LTE et 5G), elle est portée par les opérateurs téléphoniques, plusieurs constructeurs automobiles et de nombreux sous-traitants et fournisseurs de technologies rassemblés dans un consortium appelé « 5G Automotive Association » crée il y a 2 ans et depuis très actif…

Les telcos à la manoeuvre

Probablement inquiet de l’imminence d’une décision de la CEE, il y a quelques jours en effet, le blog de Ericsson publiait un papier rédigé conjointement par Ericsson, BWM et Vodafone, repris par la presse comme un véritable cri d’alarme sur un possible manque d’infrastructures utilisant ITS-5G alors que les opérateurs, qui ont viscéralement horreur du WiFi (fréquences non licenciées), investissent dans la 5G et cherchent des débouchés financiers récurrents pour leur technologie. Le mémo, suscité par la 5GAA se présente en fait comme un plaidoyer pour l’utilisation de la 5G à travers C-V2X avec de nombreux arguments techniques bien enveloppés sur le développement rapide en Europe des transports intelligents.

Mais la vraie question, soigneusement évitée est : les opérateurs téléphoniques doivent ils prendre responsabilité et contrôle des communications Vehicle to Vehicle (V2V) et des communications Vehicle to Infrastructures (V2I), les infrastructures en question étant celles qui gouvernent la circulation (la signalisation et les centres de contrôle du trafic) mais aussi tout le monde extérieur ? On voit l’importance de cette problématique au moment où se posent de nombreuses questions sur la fiabilité, voir l’honnêteté des réseaux sociaux aujourd’hui.

La démarche C-V2X semble donc être une véritable opportunité pour les telcos, sous couvert de sécurité routière, de reprendre la main sur ces réseaux sociaux tant décriés grâce à un accès privilégié à la voiture permettant d’accumuler un véritable trésor de données et de monétiser les accès à ce réseau captif grâce à des palettes de « nouveaux » services (publicité, vidéo, news locales etc…) et de passer des accords avec des villes pour les aider dans leurs transports urbains. Faut-il s’en inquiéter alors que la tendance aujourd’hui chez les opérateurs, particulièrement aux Etats Unis, s’appuie sur un réflexe profondément héréditaire de reconstitution des monopoles d’antan ?

A noter que le GSMA qui  regroupe les opérateurs téléphoniques du monde entier a crée  dès 2012 une feuille de route pour les véhicules connectés appelée “GSMA Connected Car” qui était basé sur le LTE, puis, au fil des années, recentré sur la voiture autonome et la 5G. Lors d’une réunion en juillet dernier, le GSMA lançait une menace à peine voilée (voir un chantage) en indiquant que la démarche de la CEE en faveur de la technologie de type WiFi appelée ITS-5G allait réduire les investissements des opérateurs dans la 5G et que l’impact serait négatif sur les autres secteurs économiques.

Un vieux débat

 

En 2016, à la fin de son mandat, Barack Obama donnait un coup de pouce au DSRC qui existe depuis 15 ans aux US et relançait la compétition alors que se définissait la 5G et que se clarifiaient les vastes opportunités offertes par l’IoT (dont l’automobile connectée et la voiture autonome font partie).  C’est à partir de ce moment qu’a été mise en place l’approche basée sur le cellulaire appelé C-V2X, portée par le GSMA et la 5GAA.  C’est aussi à ce moment que la Commission Européenne a publié sa politique ITS et s’est orientée vers ITS-5G. Comme d’habitude, les deux approches sont différentes, voire diamétralement opposées.

L’une portée par le GSMA et le 5GAA (gouvernés par quelques leaders) fonctionne en laissant les acteurs du marché les plus influents et actifs (les opérateurs et les fournisseurs de technologie) proposer et développer une ou plusieurs solutions techniques et commerciales qui couvrent plus ou moins bien toutes les problématiques de la voiture autonome et la totalité de la chaine de valeur, jusqu’à la mise en œuvre complète d’un marché (dont on laisse ouvertes les caractéristiques). Une fois un marché mis en place, on regarde ce qu’il se passe et éventuellement on corrige ce qui ne va pas, si c’est encore possible…

La deuxième approche provient d’une organisation gouvernementale ou étatique, appuyée sur une troupe d’experts (pas moins de 120 dont certains participent aussi à l’autre approche) qui organise la mise en place un cadre définissant le marché, ses caractéristiques principales (libre accès aux données, interopérabilité, sécurité, ouverture aux acteurs) et la vision de son fonctionnement et il demande aux acteurs de la chaine de valeur d’y participer en développant une « enabling platform » à plusieurs étages… Certains diront donc que d’un côté, c’est le capitalisme sauvage, et de l’autre l’étatisation semi-bureaucratique… Aucune des deux approches ne semble vraiment satisfaisante… et de plus pour convaincre, chaque bord emprunte du vocabulaire à l’autre bord ce qui accroit la confusion. Il faut aussi garder en mémoire que nous sommes dans le domaine des télécommunications, hautement régulé, partout dans le monde.

C-IST vs C-V2X, le débat technique cache les vrais enjeux

Du côté Européen, la CEE travaillait sur une plateforme appelée C-ITS (Cooperative Intelligent Transport System) depuis novembre 2014. Cette plateforme délivrait un premier document en janvier 2016 définissant les principales caractéristiques technologiques et les objectifs à atteindre. « Les objectifs de la plateforme C-IST est d’identifier et de se mettre d’accord sur la manière d’assurer l’interopérabilité à travers les frontières tout le long de la chaine de valeur et identifier les scenarios de déploiement. Ceci porte sur le déploiement du V2V et du V2I à travers l’Europe sur les zones les plus sensibles (grandes villes, corridors et routes secondaires). La plateforme C-ITS couvre tous les aspects techniques, la sécurité des données, la privauté et les aspects légaux. Elle couvre aussi la standardisation, les business modèles, l’accueil par les usagers, etc.»

La première conclusion est que ni les systèmes cellulaires en place, ni la technologie ITS-5G ne peuvent servir seuls l’ensemble des services attendus (envisagés) pour la voiture connectée ou autonome (les transports intelligents). Il est donc nécessaire de prévoir une solution hybride prenant appuis sur des technologies complémentaires. Ainsi pour les communications courte distance, elle recommande l’utilisation de 802.11p sur les bandes de fréquences 5,8 et 5,9 GHz (20 MHz de spectre réservé pour chacune) avec possible extension sur le réseau cellulaire pour accroitre la portée et aussi définition d’une réserve sur les fréquences 63-64 GHz pour répondre à des augmentations futures de trafic. Le DSRC, ou 802.11P ou encore ITS-5G est considéré aujourd’hui comme une technologie d’accès mature et la plus proche du déploiement, déjà adoptée par plusieurs constructeurs automobiles aux Etats Unis et en Europe, mais cette affirmation est battue en brèche par les milieux proches des telcos. Ils fonctionnent comme un lobby intégré et affirment que la 5G sera disponible dès la fin 2019 et fournira une latence suffisante pour le V2I notamment et que la téléphonie mobile est connue et acceptée par tout le monde…Les opérateurs téléphoniques veulent la totalité du gâteau en indiquant que le réseau, une fois installé, couvrira tout le territoire. Mais la 5G reste encore pour l’instant un animal de foire.