Ces dernières années, Apple a été à l’origine d’innovations majeures (les i produits : iPod, iPhone, iPad et plus récemment l’Apple Watch), a enregistré des résultats spectaculaires et des bénéfices qui le sont tout autant. Mais l’entreprise est aussi sur la sellette pour des pratiques d’obsolescence programmée, de délocalisation à outrance et d’évasion fiscale à grande échelle.

Pour le premier trimestre de l’exercice fiscal 2018, Apple a réalisé le chiffre d’affaires le plus grand de son histoire : 88 milliards de dollars pour un bénéfice net de 20 milliards de dollars. Sur le trimestre, la firme à la pomme a vendu 77 millions d’iPhone contre 78 millions un an plus tôt, mais a pu augmenter de 12 % les recettes liées à son smartphone grâce à une augmentation significative du prix moyen. On se souvient que l’iPhone X, dernier-né de la gamme, a dépassé le seuil des 1000 dollars. Le succès de l’iPhone est absolument phénoménal et Apple fait état d’un parc installé de 1,3 milliard d’unités dans le monde. Sur ce trimestre, l’iPhone a représenté près de 70 % du chiffre d’affaires total de la compagnie. Un réel succès. C’est aussi une faiblesse, car on peut se demander quel nouveau produit prendra la relève. Ce ne sera pas l’Apple Watch même si celle-ci connait une belle réussite.

C’est cette faiblesse que pointe le magazine Computerworld (Apple is not as good as its bottom line). D’abord l’iPhone X n’ont sans doute pas été à la hauteur des espérances de la firme à la pomme. Selon Ming-Chi Kuo, analyste de KGI Securities, « Apple devrait tuer son téléphone à 1000 dollars en raison de ventes plus faibles que prévu ». Pourquoi ? La plupart des analystes donnent deux raisons. Tout d’abord, le marché chinois n’aime pas l’iPhone X parce que l’encoche du capteur réduit la taille apparente de l’écran. L’autre raison est que cette nouvelle merveille est trop cher et que les Chinois ne sont pas prêts à débourser 1000 dollars pour un smartphone, fut-il un iPhone.

On se souvient de la firme de pâte dentifrice qui souhaitait augmenter ses ventes eut l’idée d’élargir la dimension du goulot du tube, Apple a trouvé l’idée d’augmenter le prix moyen de ses iPhone au fil des ans. En 2013, le prix moyen d’un iPhone était de 641 dollars (calculé avec les chiffres fournis par Apple). Cinq ans plus tard, il est passé à 793 dollars, soit une augmentation de 24 % en 5 ans. Une évolution qui va à l’encontre de la tendance générale de la baisse des prix des produits technologiques. Tendance vérifiée sur les deux grandes familles de produits. De 2013 à 2018, le prix moyen de l’iPad est passé de 466 à 445 dollars, celui du Mac de 1359 à 1348 dollars.


Parmi les autres raisons citées par le journaliste de Computerworld qui pourraient assombrir l’avenir de la firme, l’image d’Apple a été quelque peu ternie : ralentissement voulu des anciens modèles, la médiocrité des récentes versions d’iOS. Apple a d’ailleurs admis en interne que iOS et ses plans de développement sont un gâchis et a promis de « nettoyer le code ». Il semblerait qu’Apple livre les nouvelles fonctionnalités alors qu’elles n’ont pas été vraiment stabilisées et que tous les tests n’ont pas été effectués.

Parmi les autres problèmes auxquels Apple est confronté, les concurrents de la firme à la pomme, le leader mondial Samsung mais aussi les fabricants chinois Xiaomi, Huawei et Oppo sont de plus en plus incisifs. Enfin, le taux de renouvellement des appareils s’est clairement ralenti. Là où les fabricants, dont Apple, visait un renouvellement tous les deux, les utilisateurs, eux, n’ont plus la même appétence pour acheter les derniers matériels, même s’ils embarquent des fonctionnalités soi-disant indispensables.

Rapatriement des bénéfices, expatriation des emplois

Le 17 janvier, 3 semaines après la réforme fiscale, Apple s’est fendu d’un communiqué intitulé Apple accelerates US investment and job creation dans lequel la firme tord le cou à la réalité pour se donner une belle image et se donner le rôle de la firme citoyenne. Et présente les effets de la réforme fiscale de manière très positive comme si l’entreprise voulait s’attirer les bonnes grâces du président. Apple sera sans doute le plus grand bénéficiaire de la réforme fiscale.

Une analyse détaillée de James Henry, économiste et expert en questions fiscales (Article de DCReport.org : Apple’s Sweetheart Tax Deal et analyse détaillée de James Henry : Apple’s Tax Scam) montre que

– primo que les annonces faites par la firme de Cupertino sont dans la poursuite des années précédentes et ne sont en aucun cas la conséquence de la réforme fiscale votée par le Congrès en décembre ;
– et secundo les conditions faites à Apple par le gouvernement américain vont encore au-delà de la simple baisse du niveau d’imposition de 35 % à 21 % sur le bénéfice.

Quelques chiffres donnés par Apple

– Une contribution de 350 milliards de dollars à l’économie américaine par le biais d’achats à des fournisseurs nationaux sur les 5 ans à venir ;
– Un investissement en capital de 30 milliards de dollars sur les 5 ans à venir ;
– Création de 20 000 emplois directs dans les 5 ans à venir ;
– 38 milliards en contribution fiscale suite au rapatriement des 250 milliards de bénéfices accumulés offshore en conséquence de la réforme fiscale ;
– l’augmentation de son fonds d’investissement baptisé Advanced Manufacturing Fund à 5 milliards de dollars.

Concernant le rapatriement des 250 milliards de dollars indûment enregistrés dans les paradis fiscaux, entre autres l’Irlande, Les Bermudes, les Pays-Bas et l’île de Jersey, Apple va donc payer 38 milliards représentant un taux de 15 %. Mais non content d’offrir une telle aubaine, l’administration fiscale donne la possibilité d’étaler ce rapatriement sur 8 ans sans intérêt : 8% pendant 5 ans, 15% la 6e année, 20% la 7e et le solde de 25% la dernière et 8e année. Des conditions pour le moins avantageuses.

Avec la réforme fiscale, le taux d’imposition sur les bénéfices est passé de 35% à 21%, mais quasiment aucune grande entreprise ne s’y soumettait. Grâce à des armées de juristes et d’experts-comptables, les grandes entreprises (les entreprises numériques comme les GAFA sont passés maîtres dans l’art de l’optimisation fiscale) arrivaient à réduire ce taux assez largement. Le taux effectif c’est-à-dire celui que les entreprises payent après toutes sortes de déductions et d’arrangements plus ou moins tordus est d’environ 18 %. Le magazine Politico (Trump wants to slash America’s corporate tax rate, but that rate is a myth) a publié une liste de 100 entreprises n’ayant pas payé d’impôts sur les bénéfices entre 2008 et 2015 au moins une année (ci-dessous les 5 premiers de la liste).

Dans cette démarche qui s’apparente à de la propagande, Apple essaie donc de se donner le beau rôle et de jouer la firme civique et patriotique alors que son intention peut se résumer simplement en : « maximiser les profits, minimiser les taxes ». James Henry, qui se présente comme un aficionado d’Apple, finit son texte sur une note assez sombre où l’Apple de Steve Jobs, société orientée sur l’innovation et la disruption est devenu l’Apple de Tim Cook, une société principalement orientée sur le marketing et la finance et préoccupée plutôt par ses actionnaires – sous forme de dividendes et de rachats d’actions – que par ses clients.