La start-up mania dont on nous rebat les oreilles comme à la fin des années 90, se terminera de la même façon : quelques formidables succès et une myriade d’échecs, bien vite oubliés grâce au biais du survivant. Mais d’ici là, que de désillusions, que de souffrances ! Bien sûr, la start-up recèle des opportunités extraordinaires. Elle est porteuse de bien des espoirs pour notre société. Elle peut même être considérée comme « révolutionnaire ».
Véritable gisement d’énergie, de désir, de créativité le « phénomène » de la start-up présente pourtant également bien des aspects d’une vaste mascarade.
Les start-ups elles-mêmes sont moteurs de cette mascarade
Cette détestable « coolitude », qui n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques. Où le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés n’ont d’autre visée que de les leurrer et d’en accentuer le contrôle.
Cet hubris porté à son extrême où chaque idée – généralement une copie d’un modèle nord-américain – est présentée comme un changement du monde, si ce n’est de l’humanité.
Les Grands Groupes y participent également
Leurs Directions Générales utilisent les start-ups comme levier de communication auprès de leur actionnariat. Elles se dédouanent ainsi de réaliser les mutations structurelles qu’exige un monde devenu VUCA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu), ce qui leur feraient prendre des risques et les mettraient en danger. Quand le soufflet retombera, ces salariés cooptés seront bien loin, avec une retraite dorée.
Les politiques s’accaparent ce phénomène
Ils y voient une opportunité de communication et de résolution partielle du chômage, via la précarisation et l’exclusion de chômeurs des statistiques (« les prolétaires du digital » : 80% des patrons de start-up ne gagnent pas le smic).
Le coeur de la mascarade est de faire croire que l’entreprenariat est fait pour tout le monde
Or ce n’est pas le cas. Pas plus que tout le monde n’est fait pour être chirurgien, professeur ou plombier. Ce n’est pas honteux de ne pas avoir le tempérament, l’aptitude de l’entreprenariat. Il existe bien d’autres voies de création, tout aussi épanouissantes pour l’individu et bénéfiques pour la collectivité.
Cet aspect de la mascarade m’apparait le plus préoccupant car la plupart de ceux qui véhiculent le message de « l’entreprenariat pour tous », au travers de la sublimation de l’entreprise qu’est la start-up, ignorent la réalité de l’entrepreneuriat et, de fait, la méprisent.
Politiques, Hauts Fonctionnaires, Universitaires, clament, tel Fabrice Cavarretta, professeur à l’ESSEC « Oui, la France est un paradis pour les entrepreneurs ! ». Ils me font penser à leurs semblables envoyant à la boucherie toute une génération en 1914. La guerre « la fleur au fusil » est un mensonge. La « startup pour tous » en est un autre. L’une mène à la mort, l’autre à la précarité – une forme de mort sociale. Les deux mènent à la souffrance.
L’actualité récente fourmille d’exemples du mépris qu’a une partie de ces « élites » pour les entrepreneurs
Tenez, prenez le RGPD. Ses « guidelines », qui sont là pour aider les entreprises à interpréter un texte pour le moins vague et abscons, ne sont toujours pas publiées ! Pourtant, Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil et ancienne présidente du G29, loin de faire son mea culpa, se permet de dire que « …le G29 n’avait aucune obligation de sortir des guidelines…. Les entreprises peuvent déjà se féliciter de les avoir ». Elle affirme « Le RGPD remet les acteurs européens et internationaux à égalité de concurrence » alors qu’il s’agit, au contraire, d’un superbe cadeau pour Facebook et Google, au détriment des porteurs de projet et des jeunes entreprises.
Voyez dans le même temps Jean Bouquot, le Président de la Compagnie Générale des Commissaires aux comptes, qui accuse l’Etat d’« ignorer une caractéristique française selon laquelle on ne respecte bien la loi que si quelqu’un y veille » pour défendre les avantages de sa corporation (avec un peu de chance les Commissaires aux comptes vont disparaître si les Blockchains tiennent leurs promesses). Pour lui, le Français, surtout entrepreneur, est forcément un voleur, c’est sa nature.
Nassim Nicholas TALEB a écrit un livre, « Jouer sa peau », qui permet de comprendre ce ressort de la mascarade du « phénomène » start-up. Il y explique que dans nos sociétés modernes, bien des politiques, des dirigeants salariés cooptés, des technocrates prennent des décisions sans « jouer leur peau » mais… en jouant celle des autres. Le « phénomène » start-up en est, malheureusement, l’exemple (trop) parfait.
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Jean-Paul Crenn est fondateur de VUCA Strategy, cabinet conseil en e-commerce et transformation digitale.