En tête au petit matin, le trimaran Macif de François Gabart accompagné de son coéquipier Pascal Bidégorry, est lancé à fond dans la transat Jacques Vabre. L’équipage va devoir gérer deux paramètres essentiels, la météo et le sommeil.

Même si cette course est moins exténuante en tandem, Gabart court avec Pascal Bidégorry, la perspective d’affronter un sévère coup de vent et des vagues énormes dés cette semaine avec un bateau tout neuf, équipé des dernières technologies électroniques et mécaniques, a de quoi inquiéter ses sponsors, Macif et Intel, entre autres.

Ce sont les dérives, des « foils », en forme de L,  pour réduire le maître couple, aptes à faire déjauger et faire « voler » le bateau, qui sont les éléments les plus fragiles. Un seul des flotteurs d’ailleurs en est équipé. François Gabart, l’ex-vainqueur de la course autour du monde, avait lors de la dernière course Jacques Vabre, été interrompu par une avarie, moins de 48 heures après le départ. Du coup, il devrait être très prudent, même si l’envie d’être en tête doit le tarauder.

La météo au cœur des voiles

Il peut compter sur différentes sources pour la météo et éviter les grains et les vagues déferlantes, meurtrières pour les trimarans. Le trimaran Macif s’appuie déjà sur son « routeur », un spécialiste météo qui, par communications radio, depuis le continent lui prépare les options de trajectoires les plus intéressantes. Ces options sont envoyées sur l’ordinateur de bord de Gabart ( voir image ci-contre) situé dans la cabine, tout à l’arrière du bateau.Capture d’écran 2015-10-26 à 05.02.22 Ce PC dispose aussi d’un programme de navigation détaillé avec ses propres fichiers Grib, proposés par Méteo France. Le tout est de savoir choisir les bonnes options à terme. Pour l’instant, cap plein ouest vent de face puis plongée vers le sud en direction du Golfe de Gascogne pour profiter des vents portants de l’anticyclone des Açores. Pour les premières heures, la vitesse du bateau de 30 mètres de long et de 21 mètres de large, qui ressemble à un hydravion, n’a pas dépassé les 20 nœuds faute de vent. Mais à la moindre brise, et c’était déjà le cas cette nuit, le trimaran Macif monte à plus de 30 nœuds, soit près de 55 kilomètres-heure, aussi vite qu’une vedette de 250 chevaux lancée à pleine puissance.

Une forêt de capteurs pour tout enregistrer

Son mat de 35 mètres de haut qui vibre et bouge en permanence, ne repose que sur une petite rotule en acier de 11 centimètres de diamètre. Si le bateau ne pèse que 14 tonnes alors qu’il couvre la surface de deux terrains de tennis, cela tient à une économie de poids dans tous les domaines.

L’informatique embarquée, en particulier, ne pèse presque plus rien, deux kilos au plus alors qu’elle concentre des millions d’infos. Pour cela, Intel a fourni deux micros ordinateurs NUC avec des processeurs Intel Core I7 de 5e génération. Ils ont été rendus étanches par l’intégrateur Akasa et ses partenaires qui fournissent aussi des équipements plus classiques comme le pilote automatique et une foultitude de capteurs. Pour les mêmes usages, les programmes annexes nécessitent toujours plus de puissance de calcul, le tout ne devant consommer qu’un minimum d’énergie. Des capteurs de tous types collectent les différents éléments de gîte, de tensions, de pressions, de températures. Les informations sont stockées à des fins de traitement. À court terme, pour François Gabart, elles entreront dans la gestion immédiate du bateau, mais les fonctions d’asservissements sont encore en cours d’élaboration.

La traque aux bruits suspects

Une des nouveautés originales du bateau est la détection de panne par « déduction acoustique ». Cette technologie est issue du laboratoire niçois d’Intel qui travaille en collaboration avec l’université d’Aix-la-Chapelle. Appelée analyse de son binaurale, elle permet de capter un son en haute définition et d’offrir une restitution spatiale exceptionnelle. François Gabart, grâce à un casque audio innovant, peut plus facilement identifier tout bruit anormal, une forme de réalité augmentée pour le son. S’il ne peut localiser immédiatement la source, il peut enregistrer les bruits suspects puis l’envoyer à l’assistance à terre, qui essayera d’en trouver la cause. Cette qualité sonore sera également utilisée pour des diffusions de communications destinées au grand public, car généralement les discussions sont inaudibles, le vacarme à bord étant permanent, ce qui peut être épuisant et empêche de dormir profondément.

Le sommeil, cet autre moteur

Du côté sommeil, les deux pilotes disposent d’une montre Peak, développée par la firme américaine Basis (firme récemment rachetée par Intel), qui permet un monitoring physique de François Gabart qui lui se fera entièrement par un lien radio avec un chercheur sur terre. Selon l’évolution cardiaque, sa température et la tension, le docteur en charge de la surveillance des navigateurs pourra leur conseiller d’aller se coucher au moment opportun. Le sommeil est certainement l’élément décisif pour garder l’esprit vif car les cycles du sommeil sont très fractionnés dans les courses transatlantiques. Pour Gabart, il faut être capable dans le cas de course au tour du monde, de faire régulièrement des microsiestes de 15 minutes en permanence durant des semaines. Quatre à cinq heures de sommeil représentent, en course, une vraie grasse matinée. Au bout d’une semaine, on peut penser que pour toute course au large, c’est  une horde de zombies qui mènent leurs bateaux de course tambour battant avec l’aide de leurs équipements électroniques. La collecte et l’analyse des données issues des montres et de leurs capteurs vont permettre de progresser dans l’analyse des besoins de sommeil et d’améliorer les performances des skippers. Le marathon de la mer ne fait que débuter et pour le trimaran Macif, l’objectif est d’abord de terminer. L’aventure au large, qui rassemble sport mécanique, recherche scientifique et sportifs et ingénieurs de haut niveau s’annonce passionnante.

( Nota à 8 heures ce matin, le trimaran Sodebo était en tête menant de 8000 mètres devant Macif. Les quatre premiers sont dans un mouchoir de poche, à l’échelle de l’Atlantique.)