La décennie s’achève marquée par des transformations majeures, des avancées retentissantes, des GAFAM surpuissants mais aussi quelques échecs technologiques cuisants. Petit retour en arrière sur ces déboires et échecs de la high tech et de l’informatique avant d’ouvrir les pages de la prochaine décennie…
Les écrans pliables
Dès le début de la décennie, l’idée de disposer d’écrans pliables s’est concrétisée dans les laboratoires. Samsung travaillait dès 2011 sur des prototypes de tablettes ou de PC avec des écrans pliables. Dès 2013, le constructeur présentait des écrans souples et pliables au CES de Las Vegas, et même un prototype de Windows Phone pliable. Samsung, LG et d’autres commençaient à prédire qu’à la fin de la décennie, les écrans pliables seraient partout et qu’ils allaient révolutionner la mobilité. Dès 2017, on pouvait découvrir au CES des prototypes de bracelets-écrans et d’écrans pliables. Mais finalement, il aura fallu attendre 2019 pour voir les premiers modèles commercialisés. Avec à la clé un superbe fiasco. Dès les premières critiques, Samsung a repoussé la sortie de son Galaxy Fold de 6 mois. Et 6 mois plus tard, les appareils commercialisés ont montré une très grande fragilité. Tous les autres constructeurs ont repoussé la sortie de leurs modèles à 2020.
Bref, la décennie s’achève sur un constat : les écrans pliables seront peut-être (probablement) omniprésents en 2029. Mais ils n’étaient pas prêts pour la décennie 2010-2019.
Le problème, c’est que l’urgence aujourd’hui n’est plus vraiment à l’écran pliable mais plutôt à l’écran écologique. Comme le souligne le dernier rapport Green IT, nous consommons beaucoup trop de matériaux rares pour la fabrication de beaucoup trop d’objets avec des écrans. Il va falloir trouver de nouvelles solutions… et vite !
La réalité virtuelle et la réalité augmentée
Popularisée par de nombreux films de science-fiction, la réalité virtuelle occupait déjà des laboratoires de recherche il y a 30 ans. Atari avait même présenté un casque « Jaguar VR » pour sa console de jeu au CES 1995. Les premiers jeux « VR » datent de cette époque bien que le casque ne soit jamais entré en production. Depuis 2016 et la sortie officielle de l’Oculus Rift, la réalité virtuelle s’est concrétisée mais le succès n’est pas franchement au rendez-vous. Les casques Windows Mixed Reality ont fait long feu. Google a rapidement abandonné Daydream. Le casque Sony Playstation VR est une curiosité que les joueurs testent un temps et rangent rapidement au placard.
Il y a bien quelques utilisations professionnelles notamment dans le domaine médical (plusieurs études évaluent les valeurs thérapeutiques d’une totale immersion virtuelle) et de la formation, mais la technologie n’a pas percé, freinée soit par les câbles qui relient le casque au PC, soit par l’autonomie restreinte et le manque de performance des casques autonomes.
La réalité augmentée non plus n’a pas percé. Nous avons commencé la décennie avec une quasi-certitude que tout le monde porterait en permanence des Google Glass. Flop ! Les lunettes de Google se sont restreintes à quelques très rares usages professionnels. Malheureusement le respect de notre vie privée n’a pas eu besoin des Google Glass pour s’évanouir, Google (mais aussi Facebook et bien d’autres) ayant trouvé d’autres subterfuges pour tout savoir de nous.
La captation des mouvements, qui complète VR et AR, a aussi quelques jolis flops à son actif. Microsoft a tenté d’imposer son Kinect de mille et une façons mais la sauce n’a pas pris. Quant au boîtier Leap Motion, qui devait révolutionner les interactions homme-machine et mettre la souris et l’écran tactile au rebut, il est rapidement tombé dans les oubliettes.
Pourtant, AR et VR en fusionnant au travers d’une réalité mixte dopée aux hologrammes pourraient bien marquer la prochaine décennie. Les Hololens 2 de Microsoft laissent entrevoir un futur très prometteur où monde physique et monde virtuel cohabitent harmonieusement et interagissent. Mais il va falloir sérieusement miniaturiser ces technologies, augmenter l’autonomie et réduire les coûts de fabrication pour que la technologie s’impose.
Les Chatbots
Les Chatbots auraient pu être l’invention de la décennie. Mais, même s’ils s’infiltrent un peu partout dans les interactions entre les entreprises et ses clients, ils restent très limités, peu conviviaux et franchement dénués d’intelligence émotionnelle.
Et puis, il y a l’échec retentissant de Tay. En 2015, Microsoft lance une expérimentation en Chine : le projet Xiaioce est un succès relatif puisque, après quelques mois, le chatbot intelligent discute avec près de 40 millions d’adolescents chinois sur toutes sortes de sujets de la vie quotidienne. L’éditeur décide alors de renouveler l’expérimentation aux USA. Le 23 mars 2016, Microsoft active une IA conversationnelle dénommée Tay et destinée à devenir le confident de prédilection des 18-24 ans sur Twitter. Tout comme Xiaoice, Tay apprend des conversations qu’elle entretient avec ses interlocuteurs. 24H après son allumage, Microsoft débranche brutalement son IA ! Sans la retenue thématique et linguistique imposée par le très surveillé Internet chinois, la twittosphère n’a mis que 24 Heures pour transformer une naïve adolescente virtuelle en un monstre misogyne, raciste, naziste et pro-Trump. Des groupes d’utilisateurs ont, dans un effort coordonné, réussi par leurs messages à pervertir l’IA en profitant de ses capacités d’apprentissage.
Ce jour-là, toute la communauté informatique a compris que le rêve des chatbots intelligents ne se concrétiserait pas sur cette décennie. Mais les intelligences conversationnelles joueront un rôle majeur dans la prochaine décennie, c’est une évidence. Toutefois, Siri, Alexa et OK Google nous rappellent chaque jour les progrès immenses qui restent encore à réaliser avant d’entretenir des conversations avec des machines…
Google +
C’est l’un des plus gros échecs de Google. Lancé en 2011, le réseau devait concurrencer à la fois Facebook et LinkedIn. Il a été officiellement fermé le 2 avril 2019 par Google. Il n’en subsiste plus que le mécanisme d’identification aux services Google.
Windows 8 et Windows RT
Après l’échec monumental de Windows Vista et le succès retentissant de son successeur Windows 7, on pensait que Microsoft avait retenu la leçon. Que nenni ! L’aberration Windows 8 va marquer profondément l’univers Windows. Lancé en 2012, le système se focalise sur les expériences tactiles alors qu’il n’existe aucun appareil tactile. Et le système tente également d’imposer aux développeurs un tout nouveau jeu d’API sans aucun rapport ni aucune passerelle avec l’univers Win32 qui régit jusque là tous les développements Windows. L’échec de Windows 8, mais plus encore les orientations prises par la plateforme Windows, vont jeter un trouble dans la communauté de développeurs Microsoft qui perdure encore avec Windows 10.
Microsoft cherche désormais avec Windows 10X, Windows CoreOS et ses futures technologies en open source « .NET 5 / WinUI 3 » à permettre à Windows de rester pertinent dans la prochaine décennie. Le challenge n’est pas gagné d’avance, loin de là…
D’autant que pour le gagner, Microsoft va très probablement devoir aussi imposer Windows sur processeurs ARM. Un effort jusqu’ici couronné d’échecs. En lançant Windows 8 en octobre 2012, Microsoft lançait parallèlement Windows RT (version ARM de Windows 8) et sa première génération de tablettes Surface RT (sous processeurs ARM). Mais l’incompatibilité totale de Windows RT avec les applications Windows existantes a ruiné les efforts de l’éditeur. Il faudra attendre 2018 pour voir Windows 10 ARM renaître avec les Always Connected PC et les processeurs Snapdragon 835 de Qualcomm. Cette fois, un certain niveau de compatibilité x86 (limité au 32 bits) est bien proposé mais les performances sont trop poussives pour convaincre. Microsoft a également lancé sa Surface Pro X avec son propre processeur Microsoft SQ1 (en collaboration avec Qualcomm) cet hiver. L’appareil est plutôt réussi mais reste handicapé par les limitations de l’émulation x86. Reste à savoir si Surface Pro X séduira suffisamment les développeurs Windows pour les encourager à porter en code natif ARM 64 bits leurs logiciels existants. Sans un tel effort, l’avenir de Windows sur ARM paraît bien compromis.
Windows Phones
C’est le plus gros échec de Microsoft et peut-être le plus gros échec de la décennie. Windows Phone est lancé en octobre 2010 avec une interface utilisateur très originale, une convivialité indéniable et le support de Nokia dès 2011. L’objectif était d’imposer Windows comme un concurrent majeur d’iOS et Android sur les smartphones. Le système est plutôt réussi. Mais les développeurs ne vont pas suivre. Maintenir des logiciels à la fois pour iOS et Android est déjà coûteux et complexe. Un troisième OS est simplement un OS de trop. Toutes les apps innovantes se font sur iOS et Android, l’écosystème Windows Phone est à la traîne et n’arrive pas à décoller. Microsoft tente un baroud d’honneur en rachetant Nokia. Mais il est bien trop tard. Les dés sont joués. Satya Nadella, nouvellement nommé CEO, stoppe l’hémorragie et met fin aux efforts de la marque dans la téléphonie. La présence de Microsoft sur les smartphones se fera désormais via les apps. Avec Office 365, SwiftKey, Skype, OneDrive, Microsoft Launcher, l’éditeur figure parmi les acteurs les plus téléchargés sur Android et iOS.
En 2020, Microsoft devrait tenter un retour dans l’univers des smartphones avec son Surface Duo, sous Android !
Amazon Fire Phone
Il n’y a pas que Microsoft à s’être « vautré » en beauté pour tenter de se faire une place sur le marché des smartphones bien verrouillé par Google et Apple. Facebook s’y est essayé mais sans trop y croire et a rapidement laissé tomber. Amazon en revanche a cherché à imposer un Android maison avec un store propre à Amazon. Un investissement lourd suivi d’un lancement en juillet 2014 qui se concrétisera par un considérable échec commercial. Amazon jettera l’éponge un an plus tard.
Toutefois, son OS perdure à travers les lecteurs multimédias Fire TV et les tablettes Fire 7 et HD8.
Windows Update
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » est sans doute l’adage qui résume le mieux l’échec de Microsoft quant aux mises à jour de Windows. Depuis sa création, les DSI se sont toujours méfiés du mécanisme de mise à jour automatique de Windows. Et l’histoire leur a donné raison avec de multiples loupés qui se sont multipliés encore avec Windows 10 et son approche « as a Service ». Par au moins deux fois dans la décennie écoulée, Microsoft a publié des billets de blog pour expliquer comment Windows Update allait être fiabilisé, dont une fois juste après la débâcle de l’update « 1809 ». Mais chaque mise à jour, qu’elle soit mineure via les patchs mensuels ou majeure (deux fois par an), s’accompagne de problèmes et ceci malgré la vaste communauté de testeurs « Windows Insiders ». La bonne nouvelle pour les entreprises, c’est que le processus leur permet désormais d’attendre que le grand public ait largement éprouvé les affres de chaque update avant de les accepter sur leurs postes…
Le smartphone modulaire
Dès le début de la décennie, plusieurs constructeurs ont cherché à inventer des smartphones modulaires et évolutifs de sorte à ne pas avoir à changer tout l’appareil à chaque évolution technologique ou évolution des besoins mais seulement certains composants. Le projet le plus important fut celui de Google, Ara. Le projet n’a jamais abouti. Un projet open source similaire, dénommé PhoneBloks existe encore mais n’a jamais percé. LG avec son G5 a tenté une approche basée sur des extensions amovibles tout comme Motorola et son Moto Z (avec ses MotoMods). Sans grand succès.
Fairphone est un peu le dernier défenseur de cette idée. Leurs smartphones sont plus aisément réparables mais pour autant les modules d’une génération ne sont pas compatibles avec ceux des autres.
En attendant, même les batteries ne sont plus amovibles sur les smartphones qui cartonnent au box-office des ventes.
Produire des smartphones plus écologiques sera le grand défi de la prochaine décennie.
La dégringolade de BlackBerry
BlackBerry brillait au firmament de la galaxie mobile au début de la décennie. L’entreprise était indétrônable dans l’univers des entreprises. Alors que la décennie s’achève, il ne reste plus grand-chose de cette marque qui a pourtant largement contribué à imposer les nouveaux usages mobiles.
L’entreprise a raté le virage du tactile. iOS et Android ont déboulé trop vite, trop fort.
À partir de 2015, l’entreprise abandonne peu à peu la fabrication de matériels à TCL pour se recentrer sur le marché des logiciels d’entreprise de sécurisation de la mobilité et des données.
Le fiasco du Galaxy Note 7
C’est l’histoire d’un énorme échec industriel. Le smartphone avait tout pour réussir. Il était le fleuron de Samsung, la démonstration de tout son savoir-faire. Lancé en septembre 2016, il est considéré par tous les critiques comme le smartphone de l’année. Mais à l’usage l’appareil surchauffe. Plusieurs cas d’explosion sont recensés. L’appareil est interdit par les compagnies aériennes. Et le 11 octobre 2016, Samsung abandonne officiellement sa fabrication et orchestre une vaste opération de rappel. À l’origine, un problème de conception des batteries. L’échec coûtera près de 9 milliards de dollars à Samsung.
La TV 3D
Les années 2010 démarrent alors que le film Avatar bat tous les records au box-office. Pas de doute, la 3D va révolutionner le cinéma et la TV. Les constructeurs de téléviseurs s’engouffrent dans le créneau. Certains y voient même des applications professionnelles dans les salles de réunion par exemple ou à des fins marketing. En 2014, presque tous les téléviseurs sont « 3D » compatibles… 4 ans plus tard, plus aucun téléviseur n’est commercialisé avec une telle option. Le public veut de l’ultra haute définition, pas de 3D qui fait mal aux yeux.
Les drames du Boeing 737 MAX
Et puisque l’on est dans les fiascos industriels, il est difficile de passer à côté de ce qui restera dans les livres d’histoire comme le plus gros désastre technologique de cette décennie : le Boeing 737 MAX. Deux accidents dramatiques (346 morts) ont conduit Boeing à maintenir au sol ses 737 MAX. 10 mois plus tard, les avions restent cloués au sol. L’avionneur a déjà perdu plus de 10 milliards de dollars dans cette affaire. Et les ventes se sont effondrées au profit de son concurrent Airbus. En cause, le logiciel destiné à éviter les décrochages de l’avion. Depuis l’interdiction de vol des avions, les délais de remise en opération ne cessent de s’allonger. Et chaque jour l’enquête des autorités américaines souligne les graves manquements non seulement de Boeing mais aussi de la Federal Aviation Administration (FAA). L’autorisation de vol de la FAA pourrait survenir en janvier 2020 mais plusieurs compagnies ont déjà annoncé que leurs vols sur 737 Max ne reprendraient pas avant plusieurs mois même si l’autorisation tombait début 2020.