A l’occasion de la conférence Think 2020 qui s’est tenue la semaine dernière, organisée en mode virtuel, Coronavirus oblige, IBM a procédé à plusieurs annonces dans le domaine du cloud public. Jason McGee, CTO Public Cloud d’IBM, revient sur ces annonces et les replace dans la stratégie adoptée par Big Blue pour recoller au peloton de tête dans le domaine du cloud public.

InformatiqueNews : Dans la lettre aux actionnaires du rapport annuel 2019, Ginni Rometty explique que le développement du cloud jusqu’ici constitue le chapitre 1 et ne représente que les 20 % des applications les plus faciles à migrer sur le cloud public. Mais maintenant s’ouvre le chapitre 2 pour les applications critiques qui vont faire appel à des services avancés représentant les 80 % restant. Pourquoi pensez-vous qu’IBM est bien positionné pour recoller au peloton de tête ? 

Jason McGee : Une bonne partie de ces applications qui n’ont pas encore migré sur le cloud et qui représentent 80 % de la charge informatique tournent sur des systèmes IBM, utilisent du middleware IBM, sont critiques pour l’entreprise. Nous les avons conçus, nous les connaissons parfaitement et nous avons l’expertise des secteurs correspondants : services financiers, santé… Nous pensons donc que nous sommes les mieux placés pour les faire migrer vers le cloud et même vers le cloud IBM. E De surcroît il y a besoin de solutions de sécurité, d’expertise en réglementations sectorielle et conformité, autant de domaines que nos experts dans nos divisions services connaissent bien. Enfin, cette nouvelle phase du cloud est placée sous le signe du cloud hybride et du multicloud, des architectures complexes qu’IBM connaît particulièrement. D’ailleurs, dès le début de nouveau cycle technologique, nous nous sommes positionnés sur le cloud hybride, là où nos concurrents ont mis l’accent sur le cloud public. Or nous entrons maintenant dans cette phase et tous nos concurrents sont en train de définir leur stratégie en matière de cloud hybride. Mais cela nécessite une architecture complexe. Avec l’acquisition de Red Hat, nous avons les éléments pour gagner cette bataille technologique et notre partenariat avec l’éditeur remonte encore plus loin.

IN : Tous vos concurrents parlent de multicloud aujourd’hui. Microsoft supporte Openshift sur Azure, Google propose Anthos, AWS a développé Outpost. De telle sorte que le cloud va devenir beaucoup plus standardisé et permettre ainsi aux utilisateurs de passer facilement d’un cloud à un autre, voire d’en utiliser plusieurs à la fois. C’est l’avènement du multicloud. Pensez-vous que c’est un atout pour IBM ou au contraire cela va rendre la concurrence encore plus difficile ?

J.-M. : Oui c’est bien la réalité du marché aujourd’hui qui permettra aux entreprises de partager leurs applications entre leurs propres data centers, des data centers à la périphérie (Edge Computing)  et les clouds de plusieurs fournisseurs. Tous les fournisseurs affinent leur stratégie en fonction de ce nouveau paradigme. Je pense que tout ça joue en notre faveur, car nous avons, dès le début, pensé que tous ces environnements IT devaient fonctionner sur une architecture technologique commune : Linux, les conteneurs, Kubernetes avec Openshift pour ne citer que les principaux éléments. Openshift est de loin la distribution de Kubernetes leader du marché et IBM en a la plus grande expérience. Et Openshift influence fortement beaucoup d’autres domaines connexes : sécurité, réseau, administration. Lors de notre conférence Think Digital 2020 nous avons annoncé une préversion de Cloud Satellite…

IN : Effectivement, j’ai écouté la présentation d’Arvind Krishna qui a introduit cette nouveauté. Qu’en est-il exactement ?

J.-M. : le nom mis à part, Cloud Satellite est la capacité de pouvoir proposer nos services cloud – Openshift, Database as a service, Watson AI as a service – sur n’importe quelle infrastructure. La stratégie cloud d’IBM repose sur deux éléments : une plate-forme logicielle commune pouvant fonctionner dans n’importe quel environnement, mais avec IBM Cloud Satellite nous la proposons également « as a service ».

IN : C’est un peu l’équivalent d’Azure Stack ?

J.-M. : Oui c’est dans cette catégorie avec comme vous le mentionniez d’autres éléments comme Outpost d’AWS, Anthos de Google…

IN : Comment comparez-vous le cloud hybride, qui est la capacité de partager une infrastructure IT entre data center et cloud public, et le multicloud, qui ajoute non pas un seul cloud public, mais plusieurs, opérés par différents fournisseurs. Pensez-vous le second comme la généralisation du premier ?

J.-M. : En fait, je pense qu’il s’agit de déclinaison différente de la même idée et le multicloud doit plutôt compris comme une variation du cloud hybride. La réalité est que les entreprises utilisent et vont utiliser de plus en plus le multicloud parce qu’elles ont plusieurs divisions ou organisations, pour des raisons liées aux réglementations nationales ou sectorielles… Dans le secteur financier par exemple, les banques sont obligées de faire appel à plusieurs fournisseurs de cloud pour éviter le risque d’une concentration informatique sur un même fournisseur. L’objectif est donc de proposer une approche commune. L’IT a été pendant longtemps fondée sur des data centers et des backup data centers, aujourd’hui, ce sont des data centers et des clouds opérés par différents fournisseurs. Dans ce contexte, une des forces d’IBM est de proposer une même plate-forme et des outils d’administration communs pour tous ces environnements

IN : Dans le même rapport annuel, il est indiqué que l’activité cloud représentait 4 % du chiffre d’affaires d’IBM. Il en représente aujourd’hui 27 % soit environ 21 milliards de dollars. Pouvez-vous expliquer ce que recouvre ces 21 Mds$?

J.-M. : La taxonomie du cloud en IaaS, PaaS et SaaS n’est plus vraiment pertinente aujourd’hui. Le cloud est une « full stack solution » qui couvre l’infrastructure et s’étend jusqu’au services comme les outils d’intelligence artificielle. Chez IBM, nous percevons tout ça comme un même continuum ou une collection de services que les entreprises peuvent assembler en fonction de leurs besoins. Public, privé, multicloud, tout ça fait désormais partie d’un seul et même ensemble et partage la même architecture. IBM est donc organisé pour fournir tous ces services.

IN : Oui, mais vous êtes CTO de l’activité cloud public. Est-ce que vous travaillez avec vos collègues impliqués dans l’activité cloud privé ?

J.-M. : Par exemple, il y une équipe qui est spécialisée dans l’offre du cloud public, une autre spécialisée dans l’offre logicielle. Nous travaillons ensemble et nos solutions sont fondées sur les mêmes architectures. Il y a donc une équipe qui développe et supervise les questions d’architecture et s’assure qu’elle soit utilisée partout de manière uniforme.

IN : Si vous avez un client pour lequel vous gérez son infrastructure en mode cloud privé et qu’il souhaite migrer une partie de ses applications sur le cloud public d’IBM. Je suppose que cela sera d’autant plus facilité que les deux sont basés sur la même architecture

J.-M. : Oui exactement

IN : Vous avez annoncé il y a quelques mois, ce que vous avez appelé Financial Services Ready Public Cloud, et mentionné Bank of America et BNP Paribas comme premiers clients. Quelle est la différence avec un cloud public standard ?

J.-M. : L’infrastructure que nous avons mise en place pour BNP Paribas peut être pensée comme une infrastructure IT gérée technique en mode cloud. Le Financial Services Ready Public Cloud est une approche différente qui a été développée ensuite et pour laquelle Bank of America a été le premier client. C’est en fait un cloud public spécialisé pour le secteur financier qui répond à toutes les exigences en matière de sécurité, de chiffrement, de conformité. Nous travaillons aussi avec les éditeurs de logiciels pour qu’ils puissent proposer leur solution via ce cloud spécialisé. Nous sommes donc en train de bâtir un écosystème dans le secteur financier. Il y a seulement quelques années, les banques n’avaient aucune envie de migrer leur IT vers le cloud public. Elles ont complètement changé d’optique aujourd’hui et sont très volontaristes.

IN : Cette approche de clouds spécialisés peut-elle être déclinée dans d’autres secteurs ?

J.-M. : Cela a du sens, car certaines industries ont des besoins spécifiques. Pour l’instant nous nous concentrons sur le secteur financier. Il est possible de décliner cette approche dans d’autres secteurs comme la santé, le transport aérien, mais nous n’avons rien annoncé dans ce domaine.

IN : En septembre dernier, vous aviez annoncé les clouds Paks (IBM décline les cloud Paks sur la sécurité ; IBM dévoile les AS/400 du cloud). Où en êtes-vous ?

J.-M. : Les clouds Paks sont essentiels dans notre approche pour fournir notre offre logicielle de manière simplifiée et optimisée pour fonctionner sur notre plate-forme Openshift. Les Cloud Paks ont nécessité de réécrire tous nos logiciels en mode conteneur sur Openshift et s’appuient sur une approche commune pour l’installation, la configuration, la supervision… Ces cloud packs peuvent être déployés on-premise ou sur le cloud. Avec Cloud Satellite, nous offrons une possibilité supplémentaire en automatisant l’installation d’un Cloud Paks qui pourra fonctionner n’importe où. Aujourd’hui, tous nos clouds publics et nos middlewares fonctionnent sur Openshift.

Quel est le positionnement de Red Hat au sein d’IBM ? Reste-t-il indépendant dans la mesure où Red Hat doit interagir avec l’ensemble de l’industrie IT un peu comme VMWare par rapport à Dell ?

J.-M. : Oui Red Hat doit rester indépendant pour la raison que vous invoquez à savoir fournir la plate-forme IT pour gagner la bataille sur les architectures. De son côté, IBM construit son offre à partir des technologies Red Hat. Bien sûr, notre offre cloud public est plus large et supporte Windows, d’autres distributions Linux.

IN : VMware pousse une stratégie basée sur la virtualisation et la conteneurisation. Partagez-vous cette idée ?

J.-M. : La croissance est du côté des conteneurs, il n’y a aucun doute. Mais je crois à l’idée de partager les applications entre d’un côté les machines virtuelles et de l’autre les containers. IBM a tout développé sur les containers. Toutefois, l’histoire de l’informatique nous montre qu’un vague technologique ne remplace pas complètement la précédente, mais qu’elle s’y ajoute et qu’elle doit coexister pendant un moment. On verra donc une coexistence entre les deux mondes et d’ailleurs IBM supporte les deux. Red Hat vous donne la possibilité de faire tourner des machines virtuelles sur des containers Openshift ce qui est un peu un renversement du paradigme habituel avec les containers fonctionnant au-dessus des machines virtuelles. Nos outils d’automatisation supportent les deux.

IN : Interrogé par CNBC sur les raisons qui font qu’IBM n’est pas sur le podium des acteurs du cloud public, Arvind Krihsna a répondu qu’il était plus concentré sur le futur.  Que répondriez-vous ?

J.-M. : Je pense que nous n’en sommes encore qu’aux débuts du cloud et que la majorité des dépenses IT ne sont pas encore dédiées au cloud. C’est donc une course de longue distance et nous avons aujourd’hui les moyens de devenir un acteur de tout premier plan au fur et à mesure que les applications critiques seront migrées sur le cloud.