À l’occasion de son événement Intel Lab Days 2020, le fondeur américain a entrouvert les portes sur ses recherches autour de l’informatique de la prochaine décennie.

Sur le thème de « à la poursuite du x1000 », les chercheurs des Intel Labs ont levé le voile sur les technologies sur lesquelles ils travaillent et qui devraient forger le visage de l’informatique d’ici dix ans.
Intel a ainsi défini cinq axes de recherche prioritaires : la photonique intégrée, l’informatique neuromorphique, l’informatique quantique, l’informatique confidentielle et les machines programmantes.

L’ÈRE DU DATA CENTER PHOTONIQUE…

Pour changer d’échelle, l’informatique va devoir passer de l’électricité à la lumière. Autrement dit, elle devra intégrer des bus à base d’optiques et de photons voire embarquer des bus photoniques au cœur même des processeurs. Transférer des informations par les photons est un champ de recherche qui a déjà abouti à la fibre optique et à divers composants employés en informatique quantique. Toute la difficulté consiste aujourd’hui à réduire la taille physique et le coût de fabrication des modules photoniques utilisée pour gérer des entrées/sorties et des flux de données. L’idée demain est d’interconnecter tout système grâce à des photons. Les ingénieurs d’Intel travaillent sur différentes pistes et optimisations pour intégrer technologies optiques et technologies à base de silicium (CMOS).

Différentes pistes sont explorées :

* Les photodétecteurs en silicium : autrement dit des détecteurs de photons que l’on pourrait incorporer aux processeurs. Jusqu’ici les scientifiques pensaient que le silicium n’avait aucune capacité de détection de la lumière dans la gamme de longueurs d’onde 1,3 à 1,6 micromètre (autrement dit dans le proche infrarouge). Les chercheurs d’Intel ont démontré que cette croyance était fausse ce qui ouvre des perspectives pour des composants photosensibles à bas coût au cœur des processeurs.

* Les modulateurs à micro-anneau :  les modulateurs conventionnels sont trop encombrants pour être intégrés dans les processeurs. Intel a développé des modulateurs à micro-anneau

qui sont mille fois plus petits. Une miniaturisation qui change la donne pour l’intégration de la photonique au cœur de nos ordinateurs.

* Les lasers multilongueurs d’onde intégrés : En utilisant une technique appelée multiplexage par division de longueur d’onde, un unique laser peut transmettre de multiples flux de données ce qui permet d’augmenter densité de la bande passante.

Ces pistes doivent permettre l’intégration des technologies photoniques dans les technologies actuelles d’informatique. Non seulement pour accélérer les flux de données mais également pour imaginer de nouvelles architectures informatiques « désagrégées » avec de multiples unités de calcul et de mémoire réparties au sein d’un réseau et interconnectées en optique. Intel dispose déjà de prototypes opérationnels.

L’INFORMATIQUE NEUROMORPHIQUE

Inspirée à la fois par les récents progrès en neuroscience et en deep learning, l’informatique neuromorphique utilise des processeurs neuronaux (NPU) qui fonctionnent davantage comme le cerveau humain répliquant la façon dont les neurones sont organisés, interconnectés et « apprennent ».
Intel n’a pas annoncé de nouvelle version de son processeur plus ou moins expérimental Loihi. Développé depuis 2017, il se compose de « seulement » 130 000 neurones mais permet de créer des architectures complexes multipliant les processeurs. Intel a ainsi développé en début d’année une machine dénommée Pohoiki Springs dotée de 768 processeurs Loihi pour animer plus de 100 millions de neurones artificiels.

Une carte Intel Nahuku pouvant contenir de 8 à 32 processeurs neuromorphiques Loihi.

Le constructeur s’évertue pour l’instant à évaluer la performance de ces nouvelles architectures comparées aux architectures informatiques classiques (à base de CPU et GPU) et à imaginer de nouvelles couches logicielles et de nouveaux algorithmes de Deep Learning. Il travaille notamment avec Accenture sur ce sujet. Sur un benchmark de reconnaissance vocale en temps réel, un processeur Loihi se montre 1000 fois plus efficient qu’un GPU en matière de consommation énergétique et répond 200 millisecondes plus rapidement tout en offrant les mêmes taux de reconnaissance. Car tout l’intérêt des processeurs neuromorphiques comme Loihi, c’est leur faible consommation énergétique. Tout comme un cerveau humain ne consomme qu’à peine 20 Watts, Loihi se montre de 140 à 1000 fois moins consommateur d’énergie qu’un GPU.

L’INFORMATIQUE CONFIDENTIELLE

Difficile de parler de futur sans parler de cybersécurité et de la nécessité de créer une « informatique de confiance » imaginée par Bill Gates dès 2002 dans un mémo resté célèbre mais qui semble toujours bien loin de se concrétiser. Intel a un nouveau terme pour décrire cette informatique en laquelle on peut avoir confiance : « confidential computing ».

Intel explique que si l’on sait aujourd’hui protéger la donnée pendant qu’on la stocke ou qu’on la transfère, celle-ci reste vulnérable pendant qu’on l’utilise. Avec ses instructions SGX, Intel a intégré dans ses processeurs des mécanismes pour créer des environnements de confiance et notamment bien isoler les exécutions sur des machines multi-tenant. Mais il faut aller plus loin.

Deux nouvelles approches d’informatique confidentielle sont explorées par les chercheurs : l’apprentissage fédéré et le chiffrement homomorphique.

L’apprentissage fédéré (Federated Learning) est une technique qui consiste par exemple à permettre à chaque entreprise d’exécuter une version locale (avec leur propre jeu de données) d’un même modèle IA et de retourner les apprentissages et enrichissements réalisés avec leurs jeux de données vers un agrégateur central qui va combiner les modèles de chaque entreprise en un modèle unique, sans que chacune des entreprises ait à partager ses propres données, un modèle enrichi qui pourra de nouveau être ensuite redéployé à chaque entreprise pour créer un cercle vertueux. Typiquement, cette technique est utilisée en imagerie médicale : chaque hôpital entraîne ses IA avec les données confidentielles de ses patientes, les modèles entraînés sont ensuite combinés/agrégés sans avoir besoin de centraliser les données (qui sont confidentielles) pour obtenir un modèle plus riche et plus efficient.

Le chiffrement homomorphique est une nouvelle approche du chiffrement qui permet aux applications d’effectuer des calculs et manipulations directement sur des données chiffrées. De tels systèmes permettraient par exemple aux entreprises de réaliser des traitements dans le cloud sans jamais exposer les données sous leur forme déchiffrées et donc lisibles.

DES MACHINES QUI PROGRAMMENT

Les développeurs passent 50% de leur temps à débuguer. Si des machines programmaient les machines, leur code ne serait-il pas à la fois de meilleure qualité et plus sécurisé ?

Intel travaille sur ce sujet mais ne limite pas son approche à la programmation des machines réalisées par des machines.
L’entreprise explore également le potentiel des machines pour assister les développeurs, les « citizen developers » et même les utilisateurs sans connaissance de la programmation à être plus productif et à créer du code plus sécurisé et plus fiable.

Intel a ainsi dévoilé « Control Flag », un outil capable de détecter des erreurs dans le code. « Nous pensons que ControlFlag est un nouvel outil puissant qui pourrait réduire considérablement le temps et l’argent nécessaires à l’évaluation et au débogage du code » explique Justin Gottschlich, scientifique principal et directeur de la recherche sur la programmation de machines chez Intel Labs. « J’imagine un monde où les programmeurs passent beaucoup moins de temps à déboguer et plus de temps à faire ce que les programmeurs humains font le mieux : exprimer des idées créatives et nouvelles aux machines ».

Les capacités de détection de bugs de ControlFlag reposent sur la programmation machine autrement dit sur la fusion de technologies d’apprentissage machine, de méthodes formelles, de langages de programmation, de compilateurs et de systèmes informatiques. ControlFlag fonctionne par détection d’anomalies. ControlFlag tire les leçons d’exemples vérifiés pour détecter des modèles de programmation normaux et identifier des anomalies dans le code qui sont susceptibles de causer un bogue. Contrairement à d’autres outils similaires comme AWS Code Guru ou le français Ponicode, ControlFlag peut détecter ces anomalies, quel que soit le langage de programmation utilisé.
L’un des principaux avantages de l’approche non supervisée de ControlFlag en matière de reconnaissance des motifs est qu’elle peut intrinsèquement apprendre à s’adapter au style d’un développeur. L’outil apprend en effet à identifier et à étiqueter les choix stylistiques et peut personnaliser l’identification des erreurs et les recommandations de solution en fonction de ses idées, ce qui minimise les fausses alertes simplement fruits d’une déviation stylistique entre deux équipes de développeurs.

L’INFORMATIQUE QUANTIQUE

Bien évidemment, il est presque impossible de parler d’informatique du futur sans évoquer l’informatique quantique. Comme d’autres, Intel poursuit sa propre voie et son propre agenda. Sa recherche se focalise principalement sur les ordinateurs à base de quantum dots dont les qubits sont intégrés dans des circuits CMOS à base de Silicium. Mais Intel travaille aussi sur l’électronique permettant de contrôler et lire l’état des qubits et cherche à la rapprocher de ces derniers en l’intégrant dans le cryostat.

Intel a ainsi présenté son Horse Ridge II, son processeur de contrôle fonctionnant à températures cryogéniques. « Nous pensons qu’augmenter le nombre de qubits sans s’attaquer aux complexités du câblage qui en résulte est semblable à posséder une voiture de sport, mais être constamment coincé dans la circulation. Horse Ridge II rationalise les commandes des circuits quantiques, et nous nous attendons à ce que les progrès réalisés par cette seconde génération procurent une fidélité accrue tout en nécessitant une puissance réduite. Un pas de plus vers le développement d’un circuit quantique intégré » explique Jim Clarke, directeur Quantum Hardware chez Intel. L’objectif poursuivi par Horse Ridge est non seulement d’intégrer la partie contrôle des Qubits dans le cryostat mais également de simplifier tout équipement actuellement utilisé pour contrôler et lire l’état des qubits, un équipement volumineux et « bruyant » qui fragilise et perturbe les qubits.

Au final, cet Intel Labs Day a permis de découvrir des recherches intéressantes qui dessinent certains contours de l’informatique de demain mais ne suffisent cependant pas à masquer les actuelles difficultés d’Intel sur son cœur de métier, les processeurs.
La marque continue de rencontrer bien des déboires pour passer à une finesse de gravure de 10 nm alors que la concurrence ARM est déjà en 5 nm. Et les puces M1 d’Apple se sont révélés un vrai camouflet pour les générations actuelles de processeurs mobiles Intel qui va devoir muscler son offre et serrer les prix pour rester concurrentiel.
Le fondeur a sans conteste les compétences et les moyens de relever ces défis mais il va falloir réagir bien plus vite qu’il ne l’a fait jusqu’ici. Sa suprématie d’autrefois est désormais menacée sur les serveurs, sur les HPC et même sur les PC. En l’absence d’une vraie réponse technologique sur les CPU d’aujourd’hui, c’est tout son département de recherche sur le futur qui pourrait en pâtir à moyen terme.