Permettre aux utilisateurs métier de tirer profit des technologies de gestion de l’information (gestion des données de référence – MDM, gouvernance des données ou qualité des données) n’est pas un exercice facile mais peut s’avérer très rentable.
Amazon est un exemple dans ce domaine : au fil des ans, la société a su élaborer et appliquer des pratiques d’avant-garde. J’entends par « pratiques d’avant-garde » les méthodes novatrices, orientées données imaginées par Amazon pour alimenter ses processus. Cette approche provoque de telles perturbations dans les opérations conventionnelles qu’il faut généralement des années aux concurrents d’Amazon pour adopter ces bonnes pratiques. Pour cette raison, les procédés utilisés par Amazon sont étudiés minutieusement par ses concurrents, des consultants et les leaders du marché. Les manifestations de ces pratiques sont publiques et peuvent procurer des avantages à chaque utilisateur du site Amazon.com. Autrement dit, l’expérience d’Amazon démontre qu’une stratégie de gestion de l’information imaginative peut se traduire par des résultats mesurables.
Tout d’abord, Amazon entretient une certaine proximité avec ses clients et visiteurs et la société transforme cette proximité en information exploitable de manière à personnaliser les interactions en temps réel. Dès ses débuts, le site Amazon.com a mis l’accent sur les interactions avec des « clients identifiés », et non de simples « visiteurs en ligne ». En 1999, Amazon a breveté la commande en « 1-Click ». Comme la société était en mesure d’identifier le client dès son arrivée sur le site Amazon.com (et sans aucun processus de connexion), elle a pu définir un processus de transaction transparent, sans aucune étape intermédiaire exigeant la saisie des informations de paiement et de livraison.
Cette approche permet de fournir une meilleure expérience aux clients d’Amazon, mais elle garantit également des taux de conversion nettement plus élevés pour les transactions des clients qui ont adopté l’option 1-Click. Or ces transactions sont associées à un important pourcentage des ventes réalisées sur Amazon.com. En outre, la gestion de la fraude est beaucoup plus efficace avec les clients connus qu’avec les visiteurs anonymes ; en effet, les données de paiement et d’autres types de données sont confirmées à plusieurs reprises. Enfin, Amazon personnalise les interactions avec tous ses clients en affichant des recommandations et en essayant de prolonger leur visite en leur proposant des produits associés chaque fois qu’une transaction est terminée. Ces différentes activités pilotées par des données se traduisent en milliards de dollars de chiffre d’affaires pour Amazon et en relations commerciales durables par suite d’une meilleure fidélisation des clients et visiteurs.
Ensuite, Amazon sait mettre en valeur son portefeuille de produits. Amazon ne se contente pas d’appliquer des techniques très efficaces pour la mise en avant de ses produits ; la société complète les informations factuelles qu’elle associe aux produits par différents éléments à forte valeur ajoutée : commentaires des clients, produits similaires, listes d’envies des internautes, etc. Pour toutes ces raisons, les pages d’Amazon.com sont devenues au fil des ans un véritable catalogue de référence qui ne se contente pas d’aider les clients d’Amazon.com à faire des choix, mais qui décrit la plupart des biens de consommation du marché. Exemple personnel : bien que je n’achète presque jamais de musique (je suis abonné à un service de streaming), je visite régulièrement Amazon.com pour consulter des informations sur les sorties d’albums. Le catalogue d’Amazon.com s’est avéré être si puissant pour attirer les clients que les moteurs de recherche, comparateurs de prix et services de recommandation ont parfois du mal à s’insérer dans les catégories les plus efficaces d’Amazon, ce qui n’est pas le cas dans d’autres secteurs où Amazon est plus faible ou absent comme l’hôtellerie, les voyages et le tourisme (cf. TripAdvisor, e-bookings, Yelp, etc.).
Pour illustrer l’impact des activités d’Amazon sur certains marchés, notez que Kelkoo, un comparateur de prix a été acquis par Yahoo! pour 475 millions en 2004, puis revendu quatre ans plus tard pour moins du quart de ce prix (100 M$). Google lui-même s’inquiète de la concurrence croissante que représente Amazon pour son moteur de recherche. Cette situation amène à une forme de conflit : le site d’Amazon est devenu le « standard de facto » pour les informations relatives aux produits. En face, les concurrents d’Amazon ont les plus grandes peines du monde à attirer les visiteurs sur leur propre site et à éviter que les consommateurs utilisent leurs boutiques physiques uniquement pour examiner et tester les produits « en vrai » ou orienter les processus tels que la fixation des prix du marché. Le catalogue produit d’Amazon est ainsi devenu une redoutable arme concurrentielle qui lui permet de conquérir rapidement de nouveaux marchés avec des offres client innovantes. C’est ainsi que dans le cadre de son positionnement sur le marché des produits Frais, Amazon propose à ses clients l’Amazon Dash, un équipement connecté au réseau Wi-Fi de la maison permettant de constituer sa liste de course en scannant les codes barre des produits souhaités ou même en les nommant grâce à la reconnaissance vocale. Le Dash se charge ensuite de constituer la commande, de l’envoyer à Amazon, puis de la livrer.
Enfin, Amazon renforce la confiance par l’information. Ce dernier point est au cœur de la réussite de la « Marketplace » d’Amazon, et plus généralement, de son approche « longue traîne» : lorsqu’un visiteur trouve un produit sur le site Amazon.com, il très peu probable qu’il soit confronté à une rupture de stock. Mais de toute évidence, Amazon ne pourrait pas supporter seul les coûts d’un inventaire de plusieurs millions de produits, et c’est pour cette raison que la société a ouvert son catalogue à des tiers. En 2013, plus d’un milliard de produits dans le monde ont été commandés sur Amazon à des vendeurs Amazon Marketplace, et les analystes estiment que le marché Amazon Marketplace représente désormais plus d’un tiers des ventes globales d’Amazon.
Il est clair que la Marketplace apporte de la valeur aux clients, mais cette formule s’accompagne d’un défi : comment les clients peuvent-ils faire confiance à un marchand dont ils n’ont jamais entendu parler et vis-à-vis duquel ils n’ont aucune expérience en matière de fiabilité ? Cette confiance peut être établie à la lecture des évaluations du vendeur, qui sont mises en évidence sur la page du produit lorsque vous êtes sur le point d’acheter celui-ci. Chaque fois que vous achetez sur Amazon Marketplace, Amazon vous contacte pour solliciter votre évaluation du fournisseur du produit une fois que celui-ci vous a été livré. Grâce à cette importante étape du processus, Amazon poursuit le dialogue avec vous et par conséquent vous amène à penser que les évaluations précédentes du vendeur sont dignes de confiance. Là encore, l’information a un impact positif sur la réputation, les résultats et la croissance d’Amazon. A noter que ce principe de confiance est celui qui a permis à de nombreux acteurs de l’Internet de s’intercaler entre acheteurs et fournisseur d’un bien ou d’un service. Blablacar a ainsi permis de populariser le co-voiturage, mais aussi de le rendre plus sûr au yeux du consommateur, au point désormais de représenter une alternative à d’autres moyens de transport tels que le train. Dans cette même lignée, Trip Advisor, Uber, ou Airbnb sont autant d’exemples de services basés sur ces mêmes principes de mise en relation.
Que pouvons-nous apprendre de tout cela ? Tout d’abord, cela montre toute la valeur et les bénéfices d’une gestion de l’information poussée, partageable et digne de confiance sur vos principales ressources – dans cet exemple, les clients, produits et fournisseurs – et l’intérêt qui existe à lier étroitement cette information à vos processus – dans cet exemple, les processus côté client. Ces processus pilotés par les données paraissent essentiels et incontournables et pourtant, alors qu’Amazon gère l’identité de ses clients dans l’ensemble de ses processus depuis les années 1990, la plupart des entreprises sont toujours incapables de l’imiter vingt ans plus tard, et il existe encore peu de solutions logicielles prêtes à l’emploi pour les mettre en place. Considérez par exemple la personnalisation individualisée : aujourd’hui, la plupart des entreprises gèrent leurs interactions en ligne à partir des flux de clics ou du comportement des « visiteurs inconnus », plutôt que par l’analyse des parcours complets et répétés des clients connus ou des clients sur le point d’être identifiés. Ironie du sort, comme ces acteurs savent qu’ils ne peuvent pas ignorer les visiteurs inconnus s’ils veulent disposer d’un processus marketing/vente efficace, ils s’efforcent de « découvrir ce qui est inconnu », mais avec des méthodes qui soulèvent généralement des inquiétudes en matière de confidentialité de la part de leurs clients qui se sentent suivis par ces marchands sans l’avoir demandé. Les solutions adoptées par Amazon pour exploiter l’identité de ses clients et les données collectées lors des interactions et transactions en ligne semblent constituer une approche beaucoup plus transparente et de type gagnant-gagnant.
Une question demeure : comment faire pour que ces pratiques d’avant-garde que seuls quelques pionniers ont appris à maitriser deviennent des bonnes pratiques, c’est-à-dire la meilleure façon de procéder que tout un chacun se doit d’adopter ? Si les pionniers ont pu atteindre une différenciation concurrentielle en les adoptant, ils ont pour la plupart contraint tous leur secteur d’activité à engager leur transformation numérique. Dans le secteur des médias, de l’hôtellerie, des voyages, du tourisme ou de la distribution, adopter ce type approche devient un facteur de survie : l’enjeu n’est plus le pourquoi, mais le comment. D’où le fait que ces secteurs soient parmi les premiers à adopter en masse les technologies de gestion de l’information qui permettent d’y parvenir, telles le Big Data ou le Master Data Management.
______________
Jean-Michel Franco est Directeur Marketing Produit de Talend