Les entreprises vivent la révolution du numérique. Les DSI en seront-ils les premiers artisans ou faudra-t-il créer de nouveaux postes ?
En avril dernier, Syntec Numérique officialisait le changement de non des SSII en Entreprise de services numérique. Cette modification n’est pas un simple changement d’appellation mais traduit une évolution de fond. Le numérique a conquis progressivement des pans entiers de la vie économique, et les entreprises de services associées ont profondément modifié leurs structures, leurs business models…
De même, le Cigref a changé de fond en comble son cadre de réflexion pour l’organiser complètement autour du numérique. D’ailleurs, la base line du réseau des grandes entreprises n’est-elle pas de « Promouvoir la culture numérique comme source d’innovation et de performance ». La politique, elle aussi, a pris la mesure du changement en ajoutant le vocable Economie Numérique au descriptif du ministère des PME et de l’innovation. Car le flux des données nés va s’abattre sur les entreprises et celles qui sauront en tirer parti prendront un avantage concurrentiel sur les autres. Selon le cabinet IDC, le volume des données disponibles va être multiplié d’un facteur 300 entre 2005 et 2020. Actuellement, 1 % seulement des données sont exploitées.
Comment les entreprises prennent-elles en compte cette tendance de fond ? Les DSI seront-ils les responsables de l’accompagnement vers le numérique ou faudra-t-il créer un nouveau poste ? Aux Etats-Unis dont on dit couramment qu’ils ont deux ou trois ans d’avance en matière d’IT, les entreprises commencent à embaucher un Chief Data Officer (Directeur du numérique ?), à commencer par la Banque centrale (Federal Reserve) mais aussi de nombreuses agences gouvernementales américaines. Il est vrai que peu d’institutions sont autant dépendantes des données que la Fed pour prendre une décision apparemment simple mais dont les conséquences sont considérables. La Fed a s’est donné comme objectif de « redesign[ing] data governance and management processes to enhance the board’s data environment » comme l’un des six axes stratégiques d’ici à 2015.
Né dans les années 80, les DSI a été chargé de mettre en place des systèmes informatiques (conceptualisés sous le terme de systèmes d’information). Aujourd’hui, les entreprises créent des postes de CDO pour porter les projets numériques, explique le cabinet de recrutement DHR International dans un livre blanc intitulé Emergence of the Chief Data Officer. Cette fonction nécessite des compétences très pointues dans de nombreux domaines : statistiques et méthodes mathématiques, informatiques notamment dans les logiciels spécialisés pour le big data et aussi métiers.
Le cabinet DRH se livre à une quasi description de poste. Le CDO devra posséder les qualifications suivantes :
– Expérience dans les solutions de big data incluant Hadoop et HBase ;
– Connaissance dans la collecte des données, leurs classement, leur stockage, l’architecture des solutions de data warehouse, et les très grand bases de données
– Compréhension des techniques de modélisation ;
– familiarité avec le monde des affaires et les méthodes de recherche académiques ;
– Connaissance des solutions existantes de big data et de leur implémentation dans les langages de programmation et les modèles de conception ;
– Capacité à former des équipes à la résolution de problèmes d’entreprise.
On le comprend, au vu de cette description, rares seront les DSI capables d’assumer pleinement cette nouvelle fonction et le nombre de candidats potentiels n’est sans doute pas considérable. Avant même de créer un poste et d’embaucher, l’entreprise devra répondre à cinq questions, explique le livre blanc :
– Quels sont les objectifs assignés au programme big data ?
– Quelles seront les responsabilités de la fonction de CDO ?
– Quelles compétences et quelle expérience devra posséder le CDO ?
– Où trouve-t-on les data scientists ?
– Comment le CDO crée de la valeur et la transforme en revenu supplémentaire ?
Et sur ce dernier point, la tâche du CDO est plutôt large et couvre quatre grands domaines, explique Partha Saha, Chief Data Architect for Data and Analytics dans la division Online Services chez Microsoft :
– Observer les tendances et les événements et les analyser pour agir avant qu’ils se répètent ;
– Faire le lien entre les données internes et celles disponibles pour créer des modèles complets ;
– Aider les métiers avec des innovations basées sur l’analyse des données pour engager une relation one to one avec les clients selon les différents canaux disponibles ;
– Tirer parti des innovations qui se font jour sur Internet incluant des nouvelles méthodes marketing, des campagnes s’appuyant sur les réseaux sociaux…
Plus généralement, le futur CDO devra donner aux entreprises une culture orientée numérique dont elles sont le plus souvent dépourvues, poursuit Partha Saha. Il définit cette culture par la capacité à poser une question pertinente au regard de l’activité, à développer des hypothèses et à les tester sur les données existantes. La situation est souvent bien différente : les managers se sont forgé des opinions basées sur leurs propres observations (au doigt mouillé ?) et leur intuition et cherchent les données qui vont pouvoir confirmer ces opinions selon la formule bien connue que l’on fait dire ce qu’on veut aux statistiques.
Par ailleurs, la culture française n’est peut-être pas adaptée à la démarche que requiert le big data. « La numérisation ne se pense pas, elle se fait, expliquait Yves Caseau, directeur technologies, prospectives et innovation de Bouygues Telecom lors de la présentation du baromètre CIO 2013. Il faut essayer et évaluer et laisser de l’autonomie aux acteurs du changement. En France, on a encore une vision tayloriste de l’organisation des entreprises avec, d’un côté, les gens qui pensent et, de l’autre, les gens qui font ».