Alors qu’Interxion s’apprêtait à fusionner avec Telecity Group, Equinix est venu chambouler ce plan en rachetant à prix d’or Telecity. C’est dans un tel contexte que Fabrice Coquio présente l’évolution de son activité.
InformatiqueNews : En mars dernier, vous avez annoncé votre rapprochement avec Telecity Group. La semaine dernière, l’américain Equinix, qui est le leader mondial du secteur, annonçait le rachat de Telecity. N’est-ce pas là une occasion ratée qui aurait permis de former l’un des principaux fournisseurs de data centers de colocation neutres européen ?
Fabrice Coquio : Vous soulevez peut-être le point le plus important. On travaillait d’arrache-pied depuis plusieurs mois sur cette opération qui aurait permis de consolider un parc de 80 data centers à travers l’Europe. Il faut croire qu’Equinix avait bien identifié le danger en faisant une offre 47 % au-dessus de la dernière cotation en bourse de Telecity, une prime largement supérieure à ce qui se fait habituellement. C’est ce qu’on appelle faire tapis au Poker. Equinix a mobilisé l’intégralité de ses liquidités pour ce rachat. Cela a pu se faire aussi grâce à la différence de structure du capital des deux entreprises. Interxion a seulement 40 % de son capital flottant alors que celui de Telecity est de 96 % ce qui rend le conseil d’administration relativement impuissant face à ce genre d’opération. Je le perçois comme un mouvement défensif de la part d’Equinix.
C’est dommage mais nous avions évidemment un plan B dont je ne peux pas vous parler. Notre objectif est non seulement d’accélérer notre croissance mais aussi par ce type d’opérations de pouvoir baisser le coût du capital. Si on avait réalisé la fusion avec Telecity, on aurait atteint une capitalisation boursière d’environ 5 milliards d’euros, on entrait dans l’indice Footsie100 à Londres, on aurait atteint une visibilité boursière totalement différente et donc une capacité d’emprunt supérieure à des conditions améliorées. Cette opération Equinix-Telecity n’est que le début d’une vaste restructuration qui va s’effectuer dans notre secteur.
IN : Jusqu’ici Le quatuor FLAP (Francfort – Londres – Amsterdam – Paris) concentrait l’attention les opérateurs de data centers en Europe. Aujourd’hui, Marseille, Stockholm ou Vienne suscitent un intérêt particulier. Que révèle cette évolution ?
FC : Ces dernières années, l’écosystème des data centers a significativement évolué. Aujourd’hui, la plus grande part des dépenses en matière de cloud s’effectue sur le modèle hybride. Et la croissance accentue le phénomène. Cela résulte de l’idée assez simple que même les grands groupes comme Total, Allianz ou Louis Vuitton (NDLR : tous clients Interxion), ne peuvent pas faire tout tout seul. D’où la nécessité de partenariat avec des fournisseurs pour mettre en œuvre le concept de « data center on demand ». Et ces derniers doivent être intégrés dans un écosystème regroupant des acteurs de cloud public, d’éditeurs de SaaS, d’intégrateurs, de spécialistes de la sécurité, d’opérateurs télécom… C’est ainsi que nait la notion de Hub de communauté d’intérêt dont la métaphore serait Aéroport de Paris qui réunit tous les services dont ont besoin les compagnies aériennes. Dans un tel environnement, tous les data centers ne se valent pas.
D’un concept de « villes par villes » basé sur la connectivité et le peering où le quatuor que vous avez mentionné régnait en maître, nous évoluons vers un concept de « continents à continents » qui laisse émerger des villes clés appelées gateways. De par leur histoire, leur emplacement géographique et leur développement démographique, ces villes sont devenues stratégiques.
IN : Quels sont les paramètres techniques qui deviennent importants dans cette évolution ?
FC : Depuis le début, la sécurité, la disponibilité ont été importants. Mais un nouveau paramètre émerge : le temps de latence d’accès aux applications. L’ordre de grandeur est aujourd’hui au niveau de la microseconde.
On est entré dans une complexité non pas liée à l’infrastructure mais plutôt à l’intégration des applications en mode SaaS et de l’infrastructure. Le « bon data center » est celui qui offre une connexion directe vers Salesforce, Microsoft, Amazon, Kaspersky, Capgemini pour faire de l’intégration… On arrive ainsi à un deuxième niveau de « hub enrichi » qui donne un accès rapide à l’ensemble de ces acteurs. Ce qui nous pousse à chercher les clients qui vont apporter de la valeur à ce que l’on appelle « notre communauté d’intérêt ». Il nous arrive même d’éconduire certains clients qui recherchent seulement de la « commodity » et pour lesquels nous ne sommes pas les mieux positionnés.
Les data centers doivent aussi être capables de répondre à l’explosion de la vidéo et des flux. Une nouvelle génération de câbles change la donne en augmentant considérablement les capacités et les temps de latence. Par exemple, à Marseille, les câbles installés depuis 20 ans offrent une capacité cumulée de 103 Tbits. Les deux nouveaux câbles qui arrivent en 2016 vont ajouter 78 Tbits et il y en a d’autres en préparation. Ces câbles vont de faire Marseille une passerelle vers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Ville de transit, Marseille est en train de devenir une ville de contenu. Il en est de même pour des villes comme Stockholm ou Vienne. A Stockholm par exemple, deux nouveaux câbles avaient été posés dans le golfe de Botnie qui ouvrait ainsi l’accès à Saint-Pétersbourg, Moscou et Kazan. Même chose pour Vienne où de nouvelles connexions permettent d’arroser Varsovie, Bratislava et Sofia.
IN : Vous avez récemment déclaré que les data centers étaient des alliés de l’évolution du secteur public. Est-ce vous pouvez préciser ?
FC : Dans le contexte actuel de rareté des moyens financiers, l’Etat et les collectivités territoriales devraient faire beaucoup externaliser leur data centers. Il ne fait aucun sens pour une ville, un département ou une Agence de construire son propre data center. Ils n’ont pas les compétences pour construire leur propre data center et s’ils le font, ils jettent ainsi de l’argent public par les fenêtres d’autant que les sommes en jeu sont très élevées. Il faut compter environ 70 M€ d’investissement pour construire un data center de 5000 à 6000 m² utiles.
Certains acteurs publics notamment dans les réseaux, les images ou les contenus sont les plus matures dans leurs réflexions. C’est ainsi que Renater, l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) ou encore l’INA ont fait appel à nos services. Ils devraient nous considérer comme un agent d’externalisation qui fait mieux et moins cher avec un niveau de sécurité supérieur et en plus fait bénéficier de son écosystème.
IN : Quelle est la typologie actuelle de vos clients ?
FC : Elle se répartit en quatre gros quarts : les opérateurs télécoms, d’infrastructures et de services (AT&T, China Telecom, BT, Orange…), les fournisseurs d’accès Internet (acteurs de hosting, caching mirroring, gaming), les sociétés spécialisés dans l’infogérance, l’intégration et le cloud (Microsoft, Salesforce, Capgemini, Atos, Sopra…) et les entreprises. Dans ces quatre groupes, les intégrateurs cloud et les entreprises croissent beaucoup plus vite.
Les implantations d’Interxion en France
Sur l’Hexagone, Interxion est principalement implanté en Région parisienne où elle possède 8 data centers : 2 à la Plaine Saint-Denis, 2 à Aubervilliers, 1 à la Courneuve, 1 à Nanterre, 1 à Ivry-sur-Seine. Interxion a tout récemment ouvert un nouveau data center à Marseille (Interxion rachète un data center de SFR). Quand son agrandissement et sa rénovation seront intégralement achevés, le data center (« MRS 1 ») couvrira environ 5700 mètres carrés d’espace équipé et un minimum de 6 MW de puissance électrique. Parmi les projets de développement, Interxion s’est engagé sur la Plaine Saint-Denis à 80 MWatts réservé et payé à ErDF.