Les trois géants de l’Internet viennent de subir trois auditions marathons devant des commissions du sénat et de la Chambre des représentants des Etats-Unis dans leur rôle sur les dernières élections et la perspective d’une future loi.

C’est Noël Jeanneney, à l’époque président de la Bibliothèque nationale de France qui fut l’une des premières voix à s’élever contre les risques que pouvait poser Google. C’était avec un petit essai intitulé « Quand Google défie l’Europe » publié en 2005 à une époque où Facebook était un simple annuaire pour les étudiants de Harvard et Twitter n’existait pas encore. C’était une autre époque où les réseaux sociaux n’avaient pas encore façonné le fonctionnement de nos sociétés. Mais paradoxalement le motif de cette mise en garde était lié au danger d’hégémonie culturelle d’une entreprise américaine. « Le socle de sa réflexion est de promouvoir la vision culturelle et géopolitique qui émane de l’organisation du savoir face à la machine à réduire la connaissance en poudre et la rediffuser en fonction des bénéfices économiques et publicitaires » écrivait alors l’universitaire Hervé Le Crosnier. Egalement de devenir un monopole de la recherche sur internet. Ce qu’il est devenu aujourd’hui sans que personne, aucun entreprise ou aucun gouvernement ne puisse opposer une quelconque résistance.

Depuis Facebook et Twitter sont apparus et sont devenus des géants d’Internet et des géants économiques tout court. Ils ont d’abord soulevé une vague d’enthousiasme, parfois d’admiration, comme des pointes avancées du succès de la Silicon Valley. De fait, ils ont connu une formidable croissance. Sur le dernier exercice 2016, Google a réalisé un chiffre d’affaires de $90 Mds pour un bénéfice de $19,5Mds et Facebook un chiffre d’affaires de $26Mds et un bénéfice de $10,2Mds. Twitter fait état de résultats beaucoup moins impressionnants et surtout n’arrive pas encore, plus de dix ans après, à gagner de l’argent. Au quatrième trimestre 2016, Twitter affiche une perte de 167 M$ pour un CA de 717 M$.

Dans l’affaire actuelle, c’est le détournement des ces plates-formes par des forces malintentionnées, étatiques ou privées, qui posent problèmes.  La force de ces trois plates-formes est devenue considérable : Facebook anime aujourd’hui les relations de 2 milliards d’individus, Twitter annonce plus de 300 millions d’utilisateurs actifs quotidiens et il y a bien longtemps que Google ne mentionne le nombre de pages qu’il ausculte sur Internet. Les derniers chiffres se comptaient en milliards, devenant la porte d’entrée quasi obligée de la Toile. De fait, le vent est en train de tourner, l’enthousiasme et la vénération cèdent la place à l’inquiétude et à la préoccupation (Les GAFA sont-ils devenus trop puissants ?). Le rôle de ces sociétés de l’Internet dans les dernières élections présidentielles américaines de 2016 a été un élément déclenchant, une sorte de goutte qui a fait déborder le vase. A la fois en relayant des messages politiques faux pour attaquer l’un des deux candidats conçus par la Russie et des publicités tout aussi fausses financé notamment une usine à Troll baptisée The Internet Research Agency. Facebook a relayé des messages qui ont été vus par près de 150 millions d’Américains. L’agence russe a téléchargé plus de 1000 vidéos tandis que Twitter a publié plus de 130 000 messages achetés par l’agence russe.

Les politiques commencent donc à s’émouvoir, les démocrates plus que les républicains d’ailleurs car la politique, précisément, brouille un peu la réflexion. Les seconds ne veulent surtout pas laisser aux premiers l’idée que ces plates-formes internet ont favorisé l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et rendu un peu plus illégitime son élection. D’autant qu’au même moment, l’enquête menée par le procureur spécial Robert Mueller apporte des éléments de plus en plus précis.

Les auditions devant le Congrès ne sont pas des parties de plaisirs et les Sénateurs ou les R eprésentants ne retiennent pas leurs critiques en public même si, en réalité, ils sont moins actifs et incisifs dans leur action législative. Mais ils ont le mérite de faire émerger des questions que tout le monde se pose auxquelles ils n’ont, le plus souvent pas de réponses claires. Entre autres, pourquoi, ces plates-formes ont attendu aussi longtemps pour révéler ces affaires ? Comment est-il possible qu’ils soient capables de faire du ciblage aussi précis et d’être aussi négligent sur l’origine des achats publicitaires ? Comment détecter que des comptes ne sont pas activés par des personnes mais de manière automatisée ? Comment décider que ce qui est publié est licite ou non sachant que le premier amendement aux Etats-Unis est intouchable ? « Vous avez plus de 5 millions d’annonceurs qui changent chaque mois, chaque minute, peut-être chaque seconde, vous n’avez pas la capacité de connaître chacun d’eux » demande le sénateur républicain John Kennedy à Colin Stretch, directeur juridique de Facebook ? « Pouvez-vous garantir que vous refuserez de vendre des publicités à des groupes étrangers dans des monnaies étrangères », demande simplement le sénateur démocrate Al Franken ?

L’enjeu de ces auditions est de faire le bilan de ce qui s’est réellement passé et des actions, notamment sous la forme de lois, pour éviter que ce qui s’est passé en 2016 se renouvelle. Etant donné leur puissance financière, ces compagnies Internet font désormais un travail de lobbying très important à Washington. Ces questions nous intéressent au premier chef car ces plates-formes sont tout autant présentes en France qu’aux Etats-Unis. Car il est totalement irréaliste de penser que ces compagnies feront leur propre police. Alors qu’elles souhaitent être considérées comme des plates-formes technologiques neutres, Facebook, Google et Twitter ne souhaitent pas être soumis à une quelconque réglementation nouvelle qui pourrait entraver le développement de leurs activités, payés en quasi-totalité par la publicité. Si elles étaient considérées comme des médias, elles seraient alors responsables des contenus publiés sur leurs sites et être attaqués en justice. Jusqu’ici, le New York Times peut être poursuivi en justice pour ce qu’il publie, Facebook ne peut pas l’être.

L’Europe est en train de réagir sur tous ces sujets. Sur le plan juridique, la GDPR, qui sera appliquée, en mai prochain renforce les droits des utilisateurs en leur donnant plus de contrôle sur leurs propres données et imposent plus de devoirs aux entreprises. Avec cette nouvelle réglementation, un internaute pourra refuser à Google et Facebook le droit de collecter des données personnelles pour les revendre à des annonceurs publicitaires.

Bref, le dossier ne fait que s’ouvrir.

L’audition devant le Sénat

 

L’audition devant la commission sur le Renseignement de la Chambre des Représentants

https://youtu.be/KGU-ng843Yg