GAFA : Ce n’est pas tant qu’ils aient les poches pleines mais plutôt le fait qu’ils puissent contrôler nos esprits qui commence à faire réfléchir les analystes et les politiques.

Avec les printemps arabes dans les années 2010, les plates-formes de réseaux sociaux Twitter et Facebook avaient réussi à vendre l’idée qu’ils étaient de formidables outils d’émancipation et de défense de la liberté. Ils étaient encore relativement nouveaux et le manque de recul pouvaient accréditer cette thèse. Mais en quelques années, le vent a tourné, et tous les espoirs que certains avaient placé dans ces outils, devenus totalement invasifs lorsqu’on les combine aux smartphones, se transforment peu à peu en crainte, méfiance ou doute voire dans certains cas colère et indignation.

Il y a d’abord la question économique car la nature même de leur activité facilite grandement de décorréler les flux commerciaux et les flux comptables. De telle sorte qu’ils sont désormais mis en accusation de ne pas payer les bénéfices dans les pays où ils devraient le faire en rapport avec leur activité réelle. Cela aux Etats-Unis comme en Europe. D’abord, le Vieux Continent est en train de réagir si l’on en croit les deux initiatives concernant Apple et Google.

L’été dernier, la Commission européenne a conclu que l’Irlande avait accordé à Apple des avantages fiscaux indus pour un montant de 13 milliards d’euros (Apple va devoir payer €13Mds à l’Europe). Cette pratique est illégale au regard des règles de l’UE en matière d’aides d’État, car elle a permis à Apple de payer nettement moins d’impôts que les autres sociétés. L’Irlande doit à présent récupérer les aides illégales. Face à cette manne, Dublin a fait part de son embarras. Une position aisément compréhensible car l’Irlande ne souhaite pas tuer la poule aux œufs d’or.  Après bien des tergiversations, Apple – qui a bénéficié du lobbying de la part des autorités fédérales américaines – a accepté de verser l’argent à Dublin, qui par ailleurs ne le réclamait que très mollement, craignant que la firme de Cupertino ne déménage ses filiales dans un autre pays. Cela n’a pas empêché Apple de faire appel de la décision auprès de la Cour de justice européenne (L’Irlande embarrassée pour collecter les 13 milliards d’Apple)

En juillet dernier, c’était au tour de Google d’être mis en cause (La Commission inflige une amende de $2,42 Mds à Google). La Commission a infligé à Google une amende de 2,42 milliards d’euros pour violation des règles de concurrence de l’UE. Google a abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage illégal à un autre de ses produits, son service de comparaison de prix. C’est la plus grosse amende jamais infligée à une entreprise commerciale. Sachant qu’il y a un autre dossier en cours concernant Android. Google doit à présent mettre fin à cette pratique dans les 90 jours, sans quoi elle sera soumise à des astreintes pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires moyen réalisé quotidiennement au niveau mondial par Alphabet, la société mère de Google. Fin octobre, on devrait donc avoir du nouveau sur cette affaire.

Quant à à la proposition française de taxer les entreprises du numérique sur le chiffre d’affaires, le ministre des finances américain Steven Mnuchin a rejeté l’idée : « Je pense qu’une taxe sur le chiffre d’affaires n’est pas logique et que cela ne va pas dans la bonne direction », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse suivant la réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Washington

Une grande part de cerveau disponible

Mais au-delà de la taille, de la puissance économique et des pratiques commerciales et comptables, c’est le pouvoir et l’influence qu’ont désormais acquis ces entreprises sur les sociétés qui posent un réel problème. Amazon décide de nos achats, Google de nos sources d’informations, Facebook et Twitter de nos manières de communiquer à nos proches mais aussi au monde. Dans cette problématique, Apple tient une place à part dans la mesure où sa politique de ne pas monétiser les données de ses clients à toujours été claire. Cela ne l’empêche de jouer avec la force de sa marque pour poursuivre un développement phénoménal. Aujourd’hui, selon des données de la Bank of America Merrill Lynch, avec une capitalisation boursière qui oscille entre les 800 et 1000 milliards de dollars, Apple vaut plus que le PIB de Chicago évalué à 581 milliards en 2016 (Apple pèse plus lourd que Chicago).

Un des révélateurs de ce malaise a incontestablement le rôle que ces entreprises ont joué dans les élections présidentielles américaines de 2016 et dont chaque semaine apporte son lot de révélations. Facebook et Google ont vendu des publicités commerciales à des opérations russes tandis que Twitter a été utilisé pour véhiculer de fausses informations. Cela dans le but de nuire à l’un des deux candidats et favoriser ainsi l’élection de l’autre. « Sur cette élection, il y a eu convergence claire et nette entre les intérêts économiques de Facebook et les intérêts politiques de Donald Trump affirme Siva Vaidhyabathan, professeur à l’université de Virginie dans un article publié par le magazine Society (Mark Zuckerberg a-t-il perdu le contrôle de Facebook ?).

Mais au-delà de ces actions partisanes, l’objectif ultime serait comme l’explique la candidate de 2016 sur CNN au journaliste Fareed Zakaria de miner les fondements même de nos sociétés démocratiques. Face à cette influence grandissante, la commission sur le renseignement du sénat va tenir une audition le 1er novembre prochain. Un des problèmes est que l’âge moyen des sénateurs américains ne fait pas d’eux des digital natives, et même pour certains d’entre eux même pas des digital immigrants et on peut donc se demander leur réelle compréhension de la question.

https://youtu.be/6n0l_Qhjj20

Faut-il casser ces monopoles ?

Les GAFA sont devenus de véritables plates-formes assurant un contrôle grandissant sur toutes les activités : art, culture, média, politique, commerce… La liste s’allonge en permanence. Alors qu’ils se sont développés en tant que pure players Internet et lourdement fragilisé ceux que l’on appelle les « brick and mortar », ils reviennent maintenant dans la vie réelle. C’est ainsi qu’en juin dernier Amazon a racheté Whole Foods Market, l’une des enseignes américaines les plus en vue, pour 13,7 milliards de dollars. Du coup, les concurrents de cette dernière comme Target, Costco et Walmart se rapprochent ou cherchent à se rapproche d’un géant de l’Internet pour opposer une résistance suffisante.

Face à pouvoir considérable, l’idée de casser ces monopoles va peut-être être poser comme elle s’est déjà posé par le passé à plusieurs reprises. La première opération de ce type ne date pas d’aujourd’hui et concerne la Standard Oil suite au Sherman Antitrust Act voté en 1890. En 1911 à la suite d’un procès mémorable et en se fondant sur la loi antitrust, le ministère de la Justice américaine casse l’entreprise et la réorganise en 33 sociétés – les Baby Standards – dont 11 ont le droit d’utiliser le nom Standard Oil. Plusieurs grandes pétrolières d’aujourd’hui sont issues de cette dérégulation. Standard Oil of California est devenu Chevron, SO of New Jersey et SO of New York sont respectivement devenues Exxon et Mobil, aujourd’hui ExxonMobil, Continental Oil Company est devenu Conoco. Quant à la SOHIO (Standard Oil Of Ohio), elle a été rachetée par BP en 1987. Plus proche de nous, AT&T a été cassé pendant l’ère Reagan dans les fameuses Baby Bells. En revanche, les initiatives concernant IBM et Microsoft n’ont donné lieu à aucun partage. La question de casser ce qu’on peut appeler aujourd’hui des monopoles n’est pas formellement posé mais pourrait bien émerger dans les sphères politiques.