Avec 12 sociétés dans le Top100 de l’innovation dont Alcatel-Lucent, la France se situe au troisième des pays les plus innovants derrière les Etats-Unis et le Japon.

Ce classement réalisé par Thomson Reuters sera comme un couteau dans la plaie pour Alcatel-Lucent dont les salariés français actuellement se sont engagés dans une action pour alléger le dernier plan de licenciement qui vise à supprimer 10 000 emplois dont 900 en France (Il s’agit du 6e depuis la fusion entre les deux entreprises en 2007 – une fausse bonne idée dit-on parfois pudiquement pour manier l’euphémisme  alors qu’il s’agissait en fait d’une mauvaise mauvaise idée). « (…) il semble qu’il faille plutôt s’interroger utilement sur l’évolution de cette industrie des télécoms où jadis champion brillant et innovateur, Alcatel s’est naguère fait largement distancer au point d’apparaître complètement immobilisé, expliquait en 2008, Jean-Marie Chauvet, dans une tribune chez l’un de nos confrères (Les très riches heures de l’informatique française) (…). Mais le timing était défavorable : la montée en puissance des fournisseurs chinois comme ZTE et Huawei a brutalement érodé les marges et doublé la course à la taille d’une concurrence fatale sur les prix ».

Toutefois, le résultat est là et Alcatel-Lucent figure donc en dans ce Top100 de l’innovation aux côtés d’Arkema, EADS, L’Oréal, Michelin, Safran, Saint-Gobain, Thalès, Valeo et les trois instituts de recherche CNRS, CEA et IFP Energies Nouvelles. Ce classement tombe à pic dans une atmosphère en général favorable à l’autocritique et à l’autoflagellation. La France en tête des pays européen s’explique en partie selon Thomson Reuters par les montants alloués en R&D (public et privée) qui sont significativement plus élevés que dans les pays voisins. Et aussi de citer la politique fiscale qui favorise les dépenses en R&D.

Toutefois, ce classement d’Alcatel-Lucent surprendra alors que de nombreux responsables politiques et analystes explique la situation actuelle comme le résultat d’erreurs stratégiques. Dans une question au ministre du redressement productif, la députée de la circonscription où se situe le site d’Alcatel-Lucent (Colomiers), Monique Iborra, parle de choix stratégiques tout à fait contestables. Le président du Conseil général de Haute Garonne Pierre Izard a pour sa part dénoncé « un nouveau coup dur inacceptable aux conséquences sociales redoutables. La rentabilité ne peut être le fin mot de l’histoire d’Alcatel en Haute-Garonne et les salariés n’ont pas à payer les erreurs stratégiques commises dans le passé par leur employeur ».

Interrogé pour la préparation de ce dossier sur ce qu’il considérait comme son meilleur actif de l’innovation, Ben Verwaayen, ex-CEO d’Alcatel-Lucent – il a été remplacé depuis le 1er avril par Michel Combes –  répondait qu’on attendait sans doute à ce qu’il réponde les Bell Labs, le laboratoire multinobélisés et qualifié dans divers ouvrages comme « The Crown Jewel » et « The Idea Factory ». « Même si les Bell Labs restent un des laboratoires les plus prestigieux au monde, notre meilleur actif de l’innovation est notre culture, une culture qui favorise l’innovation ouverte dans toutes ses dimensions. L’ancien patron de l’équipementier mentionne aussi des avancées technologiques comme lightRadio ou du modèle de partenariat GreenTouch avec les universités, les gouvernements et les institutions de recherche visant développer un modèle de co-création ».

Pour l’heure, les salariés de l’entreprise sont inquiets et ont toutes les raisons de l’être si l’on croit leur patron qui déclarait mardi matin sur Europe 1 qu’Alcatel-Lucent « oui cette entreprise peut disparaître » expliquant que le plan industriel et stratégique présenté aujourd’hui est destiné à redonner un avenir à l’entreprise. Il a rappelé qu’Alcatel-Lucent n’a pas gagné d’argent depuis la fusion et qu’elle a perdu chaque année entre 800 M€ et 1 milliard d’euros. Parmi les virages ratés, Michel Combes a listé le mobile avec la 3G, le désengagement des pays à forte croissance et une innovation suffisamment dynamisée. Il a fait état d’une trop forte dispersion de ses forces sur l’Hexagone et a indiqué que les deux principaux sites seront Villarceau, siège de l’innovation en Europe avec la 4G et l’Internet haut débit et le centre historique de Lannion en Bretagne. Bien sûr, avec ce plan, ils pourraient penser avoir évité le pire puisque l’ancienne équipe dirigeante avait comme plan de supprimer purement et simplement la présence d’Alcatel-Lucent sur le territoire national.

« Les salariés n’ont pas à payer pour des erreurs qu’ils n’ont pas commises  rappelait, Michel Combes lors de son audition mardi 15 octobre devant les députés de la commission des affaires économiques. Il dresse un véritable réquisitoire de la réglementation européenne orientée uniquement sur la baisse des prix et totalement inadaptée pour créer un cercle vertueux. Alors que l’Europe a été le berceau de la téléphonie mobile, elle a complètement raté le virage du Très Haut Débit. Résultat, 47 % des connexions 4G sont aux Etats-Unis, 27 % en Corée et 6 % seulement en Europe. Nous sommes dans la situation où étaient les Etats-Unis il y a une dizaine d’années et qui a entrainé la disparition de Motorola, Nortel et Lucent.  Comme indiqué déjà lors de l’annonce du plan Shift en juin dernier, Alcatel-Lucent va passer du stage de généraliste qui fait tout mais mal à celui de spécialiste se concentrant sur trois axes : Internet, le cloud et l’accès à très haut débit. Avec la virtualisation qui touche aussi le monde des réseaux, l’intelligence se déplace au cœur du réseau, une situation que connaissent bien les télécoms alors qu’Internet avait tout placer aux extrémités ».

15 Michel Combes Alcatel Lucent

Quant à l’appel d’Arnaud Montebourg aux opérateurs nationaux de faire preuve de patriotisme économique, on ne peut que faire valoir le fait que même si leurs commandes ne représenteraient qu’une infime partie du chiffre d’affaires et n’aurait pas plus d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau.  Aujourd’hui, le ministre a élargi son appel à l’échelon du vieux continent.

Pour l’heure, dans la phase de dialogue qui s’ouvre, les salariés vont faire entendre leur voix en essayant d’infléchir le plan social de ce plan stratégique. Ce que résumait le député communiste André Chassaigne en demandant à Michel Combes lors de son audition de ne pas balayer d’une main les propositions des salariés.