Les données portent les futurs leviers de croissance, à condition d’insuffler une culture et un modèle vertueux pour réveiller des données trop souvent endormies.
Le développement d’une nouvelle génération d’outils de gestion et d’analyse des données permet aux organisations de découvrir, prédire et mesurer plus finement l’impact que des éléments précis ont sur elles. Cependant, la puissance de ces outils et méthodes est bien souvent limitée par un manque de gouvernance, une sous-utilisation des données et une culture de la donnée inadéquate.
Ce constat est d’ailleurs renforcé par le fait que la plupart des organisations exploitent les données de façon compartimentée en s’appuyant sur des initiatives isolées menées par des équipes réticentes au partage, et ne bénéficiant pas nécessairement d’un soutien interne unanime. Pire encore, ces données sont souvent éparpillées dans différents fichiers rarement mis à jour.
La donnée ou la belle (souvent) endormie
Deux situations caractérisent négativement l’utilisation des données. La première recourt à un processus décisionnel encore trop souvent basé sur l’instinct de certains décisionnaires dont l’expérience, même si elle est indéniable, peut être dépassée. Dans la seconde, les équipes prennent des décisions, puis cherchent des données pour les étayer, ce qui empêche d’exploiter pleinement le potentiel des données. Ces deux situations engendrent un désavantage compétitif majeur par rapport à des organisations qui découvrent régulièrement des leviers de croissance grâce au croisement des données.
De manière générale, l’or noir que constitue la data ne cesse de s’accumuler dans les bases de données, mais les organisations se limitent à une utilisation relativement simpliste de celles-ci en s’appuyant exclusivement sur des outils de type Power BI. Un changement de mentalité est nécessaire afin de repousser ces frontières. Ces outils doivent être considérés comme un maillon de la chaîne de valeur de la donnée et non comme le fondement d’une stratégie de données.
Prenons l’exemple d’une organisation qui analyse son chiffre d’affaires via l’observation des ventes par client, par zone et par période, dans un tableau de reporting. Cette approche, bien que pertinente, empêche l’organisation d’aller plus loin dans la compréhension de son environnement en mesurant les répercussions de données différentes sur les ventes comme l’impact du coût des matières premières, la réaction des clients sur les réseaux sociaux vis-à-vis de nouveaux produits, les prix pratiqués par la concurrence, le trafic sur le site internet, l’actualité économique, etc.
L’exemple Netflix : très tendance
La recherche perpétuelle d’un lien de causalité ou d’une tendance dans un jeu de données est propre aux organisations dites prédatrices. C’est le cas de Netflix qui recueille et analyse des données brutes différentes à partir des recherches antérieures des utilisateurs, de leurs habitudes, de leurs choix esthétiques, de leurs évaluations, du temps de visionnage, etc. Les données ainsi collectées contribuent à la création d’un cercle vertueux (“Data network effects”).
Concrètement, plus Netflix collecte et croise des données concernant ses clients, mieux elle affine son offre grâce aux informations découvertes, plus elle devient attrayante pour de nouveaux clients. Au-delà de cet exemple, le croisement des données permet de développer de nouveaux produits (segmentation plus précise), de prévoir la défaillance d’une machine ou encore de créer de nouveaux modèles d’affaires (de la vente d’un produit vers la vente d’un service en lien avec ce produit), etc.
La donnée, mère de toutes les vertus
« La culture mange la stratégie au petit-déjeuner« … Cette citation de Peter Drucker montre que si les personnes ne contribuent pas à la stratégie de données, celle-ci est vouée à l’échec. En pratique, la volonté de croiser les données peut se heurter à un déséquilibre entre vision du management et réalité opérationnelle.
Chaque organisation étant unique, il n’existe pas de solution miracle, mais différentes pistes d’amélioration peuvent être adoptées. Généralement, un modèle vertueux du traitement de la donnée nécessite d’adopter un lexique commun, d’en expliquer l’origine ainsi que son utilisation au sein de l’organisation. Des mesures doivent garantir disponibilité, accessibilité (démocratisation de la donnée), traçabilité et qualité de la donnée. Enfin, chacun doit comprendre qu’une donnée dispose d’un potentiel caché, ainsi que l’intérêt de faire communiquer les données entre elles.
Le management doit non seulement se doter des ressources techniques permettant le croisement des données, mais aussi adopter une approche holistique, encourager les initiatives malgré l’échec, et veiller à ce que la culture des données soit comprise et partagée de manière uniforme dans l’ensemble des départements. Parallèlement, l’idée selon laquelle la donnée doit nécessairement appartenir à un groupe, une entité ou à des utilisateurs d’outils en particulier, doit être combattue.
« Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire » disait Alfred Sauvy. Cette citation s’applique parfaitement aux données. L’absence de rigueur en matière de gestion des data constitue un frein à l’analyse avancée de celles-ci. Cette nécessaire rigueur doit se construire par étapes avec l’ensemble des parties prenantes.
Le croisement des données est indéniablement un accélérateur de valeur ajoutée, non seulement pour les organisations mais également pour la société dans son ensemble. Sans surprise, les économies les plus avancées comme les Etats-Unis ont désormais des plans d’action pluriannuels visant à promouvoir l’échange des données. En 2022, l’UE a d’ailleurs proposé un plan similaire dont les nouvelles règles devraient créer 270 milliards d’euros de PIB supplémentaire pour les États membres d’ici à 2028 en s’attaquant aux problèmes juridiques, économiques et techniques qui entraînent une sous-utilisation des données.
L’intérêt de croiser les données pour en extraire de la valeur prend encore plus de sens si l’on comprend que la data est elle-même le point de convergence où se croisent la culture et l’économie à travers les usages. En cela, les données opèrent une recomposition qui définit de nouvelles frontières en proposant une nouvelle lecture du monde qui offre la possibilité de multiples interprétations. En tant que telles, elles deviennent la matière (ou l’instrument) d’un exercice du pouvoir. Comme toujours avec le pouvoir, il peut être bien ou mal employé. Tout dépend de qui l’exerce, et comment.
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Par Jürgen Klein, Platform Lead Data & Analytics chez Prodware
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