La diversité cognitive, incarnée par les personnes neurodivergentes, représente une richesse inexploitée dans le développement de l’IA. Leur contribution peut non seulement améliorer les performances des systèmes grâce à des compétences spécialisées, mais aussi favoriser l’émergence d’une intelligence artificielle plus équitable et accessible. Encore trop souvent marginalisée dans le monde professionnel, la neurodivergence représente un levier stratégique en IA…

L’intelligence artificielle (IA), n’est pas seulement le produit de progrès techniques. Elle est aussi une matérialisation de nos valeurs sociétales, de nos normes éthiques et de notre intelligence collective.

Alors que nous nous trouvons au cœur d’une transformation technologique sans précédent, une phrase de Winston Churchill, devenue depuis populaire, vient à l’esprit : « Là où l’on trouve un grand pouvoir, on trouve une grande responsabilité ». Cette citation incite à la réflexion : quelle IA allons-nous créer ? Sera-t-elle source de bienfaits ou au contraire amplifiera-t-elle les préjugés existants ?

Il n’existe pas de solution universelle pour créer une IA inclusive et éthique. Mais la prise en compte de points de vue et de vécus différents au cours du développement des systèmes d’IA semble déjà un bon point de départ. C’est d’ailleurs précisément là que les personnes neurodivergentes peuvent jouer un rôle transformateur : en plus d’apporter de très utiles compétences, elles peuvent s’assurer que les applications d’IA répondent aux besoins d’un large éventail d’utilisateurs.

S’appuyer sur les compétences des personnes neurodivergentes pour développer l’IA

De nombreuses personnes neurodivergentes peuvent apporter une contribution importante au développement de systèmes d’IA. Certaines d’entre elles ont un sens aigu du détail qui s’avère indispensable pour des tâches telles que le Data Cleaning, c’est-à-dire la suppression d’un dataset de données incorrectes, incomplètes, non pertinentes, corrompues, dupliquées ou mal formatées. Par ailleurs, la capacité des personnes neurodivergentes à repérer des schémas subtils et à rester longtemps concentrées est un atout pour le Data Labelling (ou étiquetage de données en français) pour optimiser les algorithmes de machine learning.

Le développement de systèmes IA ne se limite pas à l’analyse de grands ensembles de données : il exige également des capacités de résolution créatives des problèmes. Des études ont révélé que de nombreuses personnes neurodivergentes excellent également dans ce domaine. Leur réflexion « hors des sentiers battus » peut déboucher sur des solutions nouvelles et pertinentes à des problèmes persistants. C’est particulièrement utile pour relever des défis complexes dans le domaine de l’IA, comme la création d’algorithmes qui reconnaissent des schémas complexes ou la conception de modèles qui doivent s’adapter à des situations pour lesquelles ils n’ont pas été formés.

Varier les points de vue favorise une IA plus inclusive

Outre les compétences très demandées possédées par de nombreuses personnes neurodivergentes, leurs perspectives uniques peuvent également contribuer à faire en sorte que les systèmes d’IA répondent aux besoins des neurominorités.

Les personnes neurodivergentes peuvent apporter un feedback judicieux sur l’accessibilité des outils d’IA et s’assurer que les personnes dotées de capacités différentes les utiliseront efficacement. En outre, elles ont le potentiel d’améliorer l’intelligence émotionnelle de l’IA en contribuant à former les modèles à reconnaître et à répondre à un large éventail d’émotions.

En résumé, bien qu’il soit utile de tester différents outils d’IA, il est beaucoup plus efficace d’inclure dans le processus de développement des personnes présentant des aptitudes différentes. Ainsi, on s’assure de concevoir une IA inclusive dès sa conception.

Mais intégrer des personnes neurodivergentes dans le processus de développement de l’IA n’a pas pour seul objectif ou effet de promouvoir une IA inclusive. C’est aussi un moyen efficace d’insuffler un changement à l’échelle de la société entière.

Impulser un changement sociétal

Les profils neurodivergents représentent environ 20% de la population mondiale. Or, le taux de sous-emploi ou de non-emploi dépasse 66 % chez les neurominorités (en France, il s’élève à 3,1 % selon l’Unedic) ! Cela est en partie dû aux discriminations à l’embauche et à la peur du dévoilement qui en découle. En effet, évoquer sa neurodivergence lors d’un entretien d’embauche expose trop souvent au rejet ou crée de l’appréhension chez l’employeur, qui associe la neurodivergence à un risque plutôt qu’à une opportunité.

Créer des programmes dédiés au sein des entreprises ne changerait pas nécessairement cette approche puisque cela ne permettrait pas de mettre fin à la catégorisation des neurominorités. En revanche, cela permettrait de valoriser le rôle des personnes neurodivergentes tout en leur offrant des possibilités d’évolution au sein de l’entreprise. Transformer les stéréotypes négatifs en représentations positives et normaliser le dévoilement, qui est vécu comme une épreuve et un risque pour les neurominorités, est un grand pas vers un monde plus inclusif et plus éthique en entreprise. De plus, favoriser l’emploi des neurominorités aura, à termes, des répercussions positives sur l’ensemble de la société.

Des gains de productivité tangibles

Selon Deloitte, « les équipes qui comptent des professionnels neurodivergents dans certaines fonctions peuvent être 30 % plus productives que celles qui n’en comptent pas. L’inclusion et l’intégration de professionnels neurodivergents améliorent également le moral de l’équipe ».

L’entreprise américaine JPMorgan Chase, dans le cadre d’un programme intitulé Autism at Work, avait constaté que « les employés embauchés dans le cadre des programmes de neurodivergence pour certains postes techniques sont de 90 à 140 % plus productifs que les employés en poste depuis cinq ou dix ans ; que les nouveaux embauchés effectuent toutes leurs tâches sans aucune erreur et qu’ils font le travail de deux personnes ».

Les compétences et les perspectives uniques que possèdent les personnes neurodivergentes peuvent stimuler l’innovation et la créativité au sein des équipes. Ainsi, intégrer la neurodivergence ne signifie pas seulement renforcer l’inclusivité. Après tout, l’IA tire sa force et sa sophistication de la diversité cognitive à l’origine de tout être humain. S’appuyer sur des personnes neurodivergentes revient donc à enrichir l’IA en y intégrant un spectre plus large d’intelligence humaine.
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Par Matthieu Leroux, Regional Vice President chez UiPath

 

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