En partenariat avec une société australienne, la NASA cherche à relever le défi de l’informatique affective, autrement dit d’une IA capable de penser et de ressentir pour apporter un soutien aux astronautes pendant les voyages spatiaux.

Si Matt Damon avait eu un petit compagnon robotisé sur Mars, doté d’empathie et d’aptitudes relationnelles, peut-être aurait-il mangé des pommes de terres moins longtemps… Et, il aurait surtout moins déprimé !

Anticiper les facteurs humains du voyage spatial

Le voyage sur Mars a toujours posé des problèmes d’ordre psychologiques à la NASA : dans un environnement confiné, sans changement, pauvre en stimulus, l’équipage est très vite gagné par l’ennui. Sur un voyage qui peut durer des mois, voire des années, cet ennui peut conduire à toutes sortes de manifestations : pertes de mémoire et de concentration, baisse d’énergie et des capacités intellectuelles, augmentation de l’hostilité envers les collègues, irritabilité, anxiété, dépression…sans oublier les comportements impulsifs et destructeurs.

C’est pourquoi la NASA mène depuis des années déjà différentes études pour trouver des solutions et l’idée d’ajouter une IA à l’équipage pour apporter un soutien aux astronautes pendant le voyage n’est pas foncièrement nouvelle. De fait, l’IA CIMON (développée par Airbus et IBM) tient déjà compagnie aux astronautes de la Station spatiale internationale (ISS). Si ses aptitudes émotives restent très limitées, elle est tout de même pensée pour détecter un éventuel découragement chez l’équipage et lui apporter son soutien.

Afficher une émotion ne veut pas dire la ressentir

En parallèle, le département Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA travaille aussi avec la société australienne Akin au développement d’une IA dotée de capacités techniques qui lui permettraient de piloter une navette et gérer n’importe quel problème à bord, mais qui saurait aussi être un véritablement un compagnon pour les astronautes et les aider à gérer leurs émotions. Autrement dit une IA dotée d’une intelligence émotionnelle.

Le sujet de l’informatique affective, ainsi baptisée par les spécialistes, n’est pas nouveau.  En pratique, les IA sont déjà capables de détecter nombre d’émotions humaines pour ensuite les exploiter d’une façon ou d’une autre. Reconnaissance faciale, détection de mouvements, changement de ton dans la voix et analyse du rythme de respiration… sont autant de mesures qu’une IA est capable de prendre en compte pour ensuite identifier du stress, de l’excitation, etc.

La roue de Plutchik est la plus connue des méthodes utilisées pour cartographier les émotions humaines. Elle sert notamment de base aux travaux sur l’IA émotionnelle.

Certaines IA, notamment dans le domaine des agents conversationnels, sont même capables d’afficher des émotions. Mais afficher ne veut pas dire ressentir et la majorité des chercheurs en IA et en neurosciences s’accordent pour l’instant sur le fait que les formes actuelles d’IA ne peuvent pas avoir d’émotions. Et les travaux dans le domaine des AGI (intelligence artificielle générale) ne vont d’ailleurs pas dans la direction d’une informatique affective : pour l’heure, ils sont plutôt orientés sur la création de sortes de systèmes experts très rationnels, donc dénués d’émotions, capables de résoudre des problèmes très complexes.

Relever le défi d’une informatique « affective »

C’est pourtant le challenge que le département JPL de la NASA a décidé de relever à travers son partenariat avec Akin. Leur collaboration s’appuie sur un projet open source réalisé par la NASA de rover « intelligent » surnommé Henry the Helper. Capable d’interagir avec les humains, il s’appuie sur les technologies de deep learning pour reconnaitre les émotions de ses interlocuteurs et converser avec eux.

Henry the Helper

Dans le courant de l’année, JPL prévoit de sortir deux nouvelles IA : Eva l’exploratrice et Anna l’assistante. Eva serait une version avancée d’Henry qui embarquerait plus de capteurs pour renforcer sa capacité à identifier les émotions et à tenir des conversations complexes. Anna, en revanche, se rapprocherait plus d’une véritable assistante. Anticipant les besoins des humains, elle pourrait prendre des notes, répondre aux questions et même avoir une apparence se rapprochant de l’androïde afin de pouvoir saisir et manipuler des objets.

Mais Akin voit déjà plus grand et prévoit d’ici quelques années de sortir une IA que la société australienne a baptisée Fiona et qui pourrait être dotée d’une intelligence émotionnelle. En appui sur les technologies de edge computing, Fiona n’aurait pas nécessairement de présence physique : elle serait présente partout dans le vaisseau ou dans une station.

Pour l’heure, la NASA n’a donné aucune indication sur les travaux en cours. On ne sait donc pas comment elle compte relever le défi de l’informatique émotionnelle. Mais comme pour CIMON, elle estime que le confinement d’un nombre limité d’individus dans un vaisseau constitue un environnement plus favorable à l’avancée des travaux qu’une multitude d’individus dans un espace ouvert. Comme pour un humain finalement, l’IA apprendrait à connaitre chaque individu et serait plus facilement en mesure de détecter le moindre changement dans la voix, les attitudes, etc.

Reste à espérer que ces travaux de recherche ne conduiront pas à une IA qui se laisse dominer par ses émotions, comme l’épouvantable HAL de Stanley Kubrik dans 2001 Odyssée de l’Espace. L’IA émotionnelle pourrait alors devenir un compagnon encombrant, voire nuisible…