Economie de l’abonnement : 8 prédictions pour 2017 <br>Tien Tzuo, Zuora

6 Tzuo, ZuoraSi 2017 promet d’être politiquement tumultueux, je prédis au moins autant d’instabilité dans le monde des affaires l’année prochaine. Pendant près d’une décennie, nous avons observé un changement dans le comportement des consommateurs passant de la possession de produits à l’abonnement de services : médias, logiciels, transport, commerce de détail. Nous savons maintenant que les entreprises adoptant des modèles basés sur l’abonnement bénéficient d’une croissance neuf fois plus rapide que les modèles commerciaux traditionnels. 2017 connaitra définitivement de véritables gagnants et des perdants dans cette nouvelle économie, et en voici mes prévisions pour l’année à venir :

  1. Le début de la fin pour l’achat de véhicules automobiles

Le prochain véhicule électrique de Hyundai dénommé IONIQ ne sera pas proposé à la vente mais uniquement par abonnement dans une approche similaire à celle qui prévaut pour la commercialisation de téléphones mobiles ; il suffira de choisir une durée (24 ou 36 mois), des options puis de se rendre chez un concessionnaire pour retirer son véhicule. Finis les marchandages, les emprunts et les discours commerciaux. La stratégie de Hyundai consiste à miser sur les nombreux consommateurs potentiels qui préfèreront la mise à disposition du véhicule à sa pleine propriété. Ne nous y trompons pas, ce mode de consommation prendra pied tôt ou tard sur l’ensemble de l’industrie automobile.

  1. L’intelligence artificielle deviendra mainstream

L’intelligence artificielle est appelée à devenir une technologie complètement banalisée. Comme le faisait remarquer Kevin Kelly dans son dernier ouvrage The Inevitable, l’intelligence artificielle est devenue un produit de consommation courante, omniprésent comme l’eau ou l’électricité. Ce changement est sous-tendu par le positionnement des produits en tant que services dont la valeur réside principalement dans l’intelligence collective générée par leur base d’utilisateurs. Ainsi, la plateforme Uber Pool ne vaut que par la qualité de son analyse de routage, comme Spotify ne vaut que pour son moteur de recommandation et Nest par ses analyses comparatives.

  1. Amazon révolutionnera encore la vente au détail

Amazon continue d’innover en permanence en matière de modes de commercialisation. Son dernier projet, Amazon Go, un magasin dans laquelle le consommateur entre et retire les articles de son choix sans autre formalité pourrait bien devenir le futur du commerce de détails. Il devrait susciter une nouvelle concurrence de la part des distributeurs traditionnels. La croissance de Fnac.com en témoigne… Parce que les consommateurs préfèrent faire leurs achats en ligne plutôt que de courir les boutiques (et non l’inverse) de sorte que les détaillants ont investi massivement dans leurs sites web et applications mobiles pour désencombrer leurs boutiques et en faire des espaces de détente et de découverte. Si Amazon dispose de dizaines de centres de distribution, les distributeurs traditionnels en ont potentiellement des milliers… Chacune de leurs boutiques pouvant également tenir lieu d’entrepôt pour leurs ventes en ligne. Le commerce de détail tourne une nouvelle page de son histoire.

  1. Le dégroupage au service de la multiplicité des applications et contenus

C’est désormais évident, tous les fournisseurs de contenus vidéo au monde – des réseaux nationaux les plus importants aux acteurs de niche – s’attachent aujourd’hui à développer des solutions OTT ( « Over The Top »). Cette tendance contribue néanmoins à une offre pléthorique encombrant nos téléphones mobiles de dizaines de nouvelles applications TV exigeant désormais une nouvelle couche d’agrégation pour gérer cette multiplicité. C’est toutefois un inconvénient bien mineur… Qu’importe cette pléthore de contenus si j’y trouve les émissions ou les films que je recherche ?  Cette tendance permet à tous les fournisseurs de contenus de construire des relations directes et personnalisées avec leurs téléspectateurs.  Selon Digital TV Research, le chiffre d’affaires OTT en Europe atteindra 14,64 milliards de dollars en 2021, contre seulement 6,4milliards de dollars en 2015. Le marché de la vidéo à la demande sur internet (SVOD) représentera une grosse part du gâteau européen avec 4,632 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2021 et 665 millions d’euros juste en France.

  1. L’ERP continuera dans sa descente old school

Les ERP traditionnels, proposant une solution unique « adaptable » à tous les contextes où quelques grands acteurs qui se partageaient la part du lion ont vécu leurs plus belles années. On réalise aujourd’hui qu’en voulant tout faire, l’ERP ne fait rien particulièrement bien. De la gestion du service client aux notes de frais, en passant par les prévisions ou la facturation, de plus en plus d’entreprises adoptent en effet aujourd’hui les offres plug and play de fournisseurs de solutions SaaS, n’accomplissant certes qu’une seule fonction mais extrêmement bien. Ainsi Concur ne prend en charge que la gestion des notes de frais, tout comme Salesforce est devenu synonyme de CRM ou encore Zuora sur le domaine de la facturation, la commercialisation et la gestion financière des abonnements. Ces solutions SaaS sont en pratique beaucoup plus agiles et efficaces que de massifs déploiements.

  1. La CRM ne suffit plus… Les entreprises vont prendre conscience que dans l’évolution à l’économie de l’abonnement tout est question de relation client

Si les business models de l’économie de l’abonnement ont le vent en poupe, c’est que beaucoup de dirigeants ont compris qu’il ne s’agissait pas uniquement de diviser le prix d’un produit en paiements mensuels mais plutôt de revenir à une gestion continue de la relation client, exigeant bien plus qu’un simple système CRM. Voilà pourquoi Salesforce et Microsoft se sont battus pour racheter LinkedIn – les deux entreprises mesurent en effet parfaitement les avantages de disposer d’une vision « vivante » de leur clientèle.  Dans un Business Model centré sur l’abonnement, les priorités changent : le directeur du marketing doit s’attacher tant aux prospects qu’aux clients ; le directeur financier ne peut plus se contenter de comptabiliser des coûts mais doit devenir un architecte du Business Model et le directeur informatique doit non seulement assurer la disponibilité du système d’information mais aussi innover avec de nouveaux services et sources potentielles de chiffre d’affaires. Plus simplement, c’est toute l’entreprise qui, au lieu de multiplier les ventes, doit s’attacher à pérenniser les relations avec sa clientèle.

  1. Rachats ou introductions en bourse ?

Certes Snapchat et Airbnb feront toujours les gros titres l’année prochaine… Néanmoins, je serai personnellement très attentif à la stratégie des acteurs majeurs de l’investissement institutionnel, parfois jugés « ennuyeux » tels que Vista et Silver Lake ou à des acteurs de l’industrie traditionnelle tels que Clorox, Walmart ou Procter and Gamble qui se tournent aujourd’hui vers le rachat de start-up prometteuses. En effet, ces grandes entreprises sont confrontées à ce que Robert Siegel et Aaron Levie qualifient de « Dilemme des industriels » tenus de gérer les considérables systèmes et actifs qui ont fait leur succès dans l’ère industrielle mais qui aujourd’hui nuisent à leur réactivité et leur font courir des risques.

Pour solutionner ce problème, leur stratégie consistera à acquérir des start-ups talentueuses, des logiciels avancés, etc. n’ayant aucune réputation à mettre en péril. Tout cela a déjà commencé… En achetant Dollar Shave Club, Unilever n’a pas simplement acheté un nouveau flux de chiffre d’affaires mais plutôt une nouvelle compétence numérique.  Les acquisitions seront au coeur de la dynamique économique de l’année prochaine.

  1. Technologies et travail… Des relations à réinventer

De toute évidence, Donald Trump n’a pas été élu pour ses compétences rhétoriques… En mettant de côté les arguments douteux, Donald Trump se réfère souvent à des préoccupations… légitimes. De nombreux salariés ont en effet vu leurs emplois pérennes et protégés remplacés par des emplois précaires et mal rémunérés et en sont légitimement inquiets. Il est cependant facile de blâmer la mondialisation, alors même que les études démontrent que l’immigration ne porte pas atteinte à la création nette d’emplois, et que le commerce mondial a en fait diminué au cours des cinq dernières années… Il n’en reste pas moins que nous allons devoir apprendre à créer des emplois pour l’économie de demain et imaginer une organisation dans laquelle il est probable que de nouveaux concepts tel que le revenu de base, sont appelés à se développer.

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Tien Tzuo est CEO de Zuora

[1] IDC ‘FutureScape Report’