On n’a pas encore bien mesuré l’ampleur des implications de la révolution numérique qui se met en place sous nos yeux et qui marque une rupture dans l’histoire de l’humanité.
« Au 19e siècle, aucune stratégie d’entreprise ne pouvait ignorer la chimie et la mécanique, Aujourd’hui, aucune stratégie d’entreprise ne peut ignorer le numérique », avance Michel Volle à l’occasion de la conférence La transition iconomique : une nouvelle vague de croissance organisée par le cabinet Xerfi et auteur du livre Iconomie. Le numérique n’est donc pas une simple technologie mais le moteur d’une véritable révolution avec ses lois propres. Et dans le monde numérique, « tout l’acquis est temporaire et peut être remis en question » poursuit Pascal Buffard, président du Cigref. Une position à la fois rassurante car tout est possible mais aussi source d’anxiété car rien n’est acquis.
« L’iconomie définit la société dont les économies, les institutions et les modes de vie s’appuient sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet ». En gros, la société numérique. C’est autour de ce concept que s’est organisé l’institut éponyme et qui s’est donné pour objectif « de fournir aux dirigeants une boussole qui oriente leur chemin vers une économie nouvelle ».
Dans ce monde en train de naître, les produits sont des assemblages de biens et services élaborés par un réseau de partenaires, les objets deviennent connectés, interactifs et apprenants, l’impression 3D permet de créer des objets uniques, la chaîne de valeur est totalement réorganisée… Dernière exemple de cette profusion de nouveaux objets intelligents, l’entreprise Babolat lance une raquette de tennis connectée qui permet aux joueurs, quel que soit leur niveau, de collecter des données sur le jeu (puissance de frappe, la zone d’impact de la balle sur le tamis, les types de coups réalisés, les effets de balle, le temps de jeu, la régularité) et ainsi de s’améliorer. Une situation qui devrait se banaliser rapidement si l’on en juge par Eric Babolat, pdg de l’entreprise qui prévoit que dans dix ans toutes les raquettes seront connectées.
« Dans ce nouveau monde, tout le monde peut devenir créateur, entrepreneur et David conserve ses chances face à Goliath », poursuit Laurent Faibis, Président de Xerfi qui se lamente de l’ambiance actuelle de morosité et d’autoflagellation dans laquelle baigne notre pays.
Mais, l’examen de la situation actuelle montre néanmoins que dans le monde numérique les succès de la France ne sont pas légion même si l’on aimerait bien compter des Google et des Amazon. La partie est-elle pour autant perdue questionne Vincent Lorphelin de Venture Patent, un cabinet consultant de brevet d’usages. Pour appuyer son propos, il puise ses exemples dans l’histoire économique. Créé en 1898, la Compagnie Générale d’Electricité est un « retardataire » arrivé quelques années après Thomson Houston – qui donnera naissance à General Electric – AEG, Siemens ou Edison. Cela ne l’a pas empêché de devenir un champion mondial.
« Certes, la France a aujourd’hui raté la vague des technologies, mais elle peut gagner celle des usages » poursuit Vincent Lorphelin,. Criteo est arrivée après la révolution Internet, mais cela ne l’empêche de devenir un des champions de la publicité sur Internet par assemblage de technologies existantes ; C’est aujourd’hui une entreprise qui pèse 500 M$ de CA et qui a fait une introduction en bourse réussie… au Nasdaq. Deezer est arrivé 6 ans après iTunes mais a réinventé la manière d’écouter de la musique, avec le succès que l’on sait. Imagis, Talensoft, Le Kisoque, Robopolis, Marco et Vasco, ventesprivees.com… autant d’exemples qui montrent l’ingéniosité des créateurs français. Dans le classement du Fast500 du Cabinet Deloitte qui mesure les startups à forte croissance, un indicateur du dynamisme des pays en matière d’innovation, la France se situe en deuxième position (avec 86 startups) derrière la Silicon Valley (110), mais devant le Royaume-Uni (71) et l’Allemagne (29).
Avoir un SI irréprochable
Les entreprises tireront le meilleur parti de cette transformation si elles peuvent s’appuyer sur un système d’ »information intégré et homogène ». Or, de ce point de vue, la situation n’est pas satisfaisante selon Alain Marbach, président-fondateur du cabinet Elée. Les logiciels propriétaires sont chers, les systèmes hétérogènes et fragmentés, les fonctionnalités dispersées… se désole l’ancien responsable de la fonction Technologies et Processus de BNP Paribas. Exemple de cette gabegie et inefficacité : 80 % des systèmes redondants sont incapables de basculer en cas de panne (ce pour quoi ils sont faits). Pour dix personnes qui gèrent le SI, il en faut trente pour corriger leurs erreurs. Ainsi, entre 20 et 40 % des ressources sont ainsi perdues. Bref, les progrès à faire ne sont pas à la marge.
Pour Michel Volle, concepteur du néologisme iconomie et du concept qu’il décrit, « nous devons être reconnaissants vis-à-vis des Américains pour ce qu’ils nous ont apporté dans le domaine de l’ingénierie, et en particulier dans l’informatique. Mais devons aujourd’hui nous approprier celle-ci … et il nous faut concevoir une informatisation à la française ».