Dérèglementation dans tous les domaines telle semble être la doctrine de la nouvelle administration. L’internet ne fait pas exception.

L’élection du nouveau Président républicain des Etats Unis n’allait pas rester sans impact sur le sujet de la neutralité du net étant donné la puissance de lobbying des opérateurs. Et sur ce point, Donald Trump avait pourtant pris parti en faveur de la Neutralité du Net. Il a donc changé d’avis à supposer que sa compréhension de la question soit très précise. En Janvier 2017, c’est-à-dire avant même la prise de fonction officielle du nouveau Président, Trump nomme Ajit Pai Chairman de la FCC qui réaffirme immédiatement son désaccord avec l’Open Internet Order.

En avril, Ajit Pai lance un NPRM qui moins d’un mois après son lancement a déjà suscité beaucoup de commentaires. La commission a cependant averti qu’elle ne prendrait pas de décision « sur la base du volume ou du nombre des commentaires allant dans un certain sens », ce que certains observateurs ont traduit par le fait que la Commission a déjà pris ses décisions et qu’elle cherche simplement de nouveaux arguments pour peaufiner et justifier son action et atteindre le but que s’est fixé le Chairman.

Le document débute par un plaidoyer en faveur  du Telecommunication Act de 1996, signé par Clinton. «Aujourd’hui, nous entamons une très nécessaire première étape pour revenir au cadre bipartisan qui a permis de crée avec succès un Internet libre et ouvert et qu’il l’a vu s’épanouir pendant vingt ans.» (Les américains n’ont pas vraiment de terme spécifique pour qualifier la langue de bois… qui n’est pas une exclusivité Française…!). Vient ensuite une description des 20 années de conflits entre les opérateurs et les usagers d’Internet qui ont conduit Obama à réguler les opérateurs de services d’accès Internet à haut débit.

Un cadre de Régulation « Light Touch »

La Commission propose de reclassifier les services d’accès haut débit fixes ou mobiles comme des services d’information et cherche à recueillir le maximum d’arguments et d’exemples qui peuvent invalider le recourt à l’utilisation du Title II. Les services mobiles seraient requalifiés comme des services privés mobiles, sous prétexte que la concurrence existe de façon plus forte dans les mobiles.  Elle  propose d’éliminer le standard de « (bonne) conduite générale » du Title II et tous les facteurs qui conduisent l’application de cette règle parce qu’ils sont trop vagues et provoquent trop d’incertitude pour les opérateurs qui alors hésitent à investir. Elle demande si les règles de transparence et de « no blocking, no throttling, no prioritization of traffic » sont vraiment nécessaires et demande si une régulation « ex ante » est vraiment nécessaire, ce qui consisterait à faire confiance à l’autorégulation du marché pour le bien des consommateurs. Les 20 ans de conflits cités précédemment dans le document ne semblent pas éveiller la méfiance de la Commission sur ce point essentiel.   Sous le terme de  cadre « Light Touch », elle propose donc de revoir et de modifier l’ensemble des règles de régulation de l’Open Internet, c’est-à-dire de la neutralité du net…

La question est posée très clairement, est-ce que la section 706 du Telcommunication Act de 1996 n’est-elle pas suffisante pour assurer l’autorité de la FCC sur le bon fonctionnement de l’Internet sans avoir recours au Title II ?  Cette section demande à la FCC d’encourager le déploiement raisonnable du haut débit sur une base d’un timing en utilisant un nombre varié de mécanismes régulatoires et d’éliminer les barrières au déploiement du haut débit si elle trouve qu’il n’est pas déployé comme elle pense il devrait l’être.  Il semble pour certains observateurs que cette approche laisserait la FCC sans aucune autorité pour assurer le développement du haut débit autre que de s’en référer à la justice normale puisque le langage utilisé est plutôt imprécis, n’a aucune base précise permettant la mise en œuvre et le contrôle et reste principalement sur le mode… « encourageant ».

Des arguments assez faibles et parfois partisans

La commission apporte trois argument pour justifier le retour à la situation d’avant 2015 : Elle affirme que l’historique et l’esprit du Communication Act et le langage utilisé rendent évident la classification des services d’accès haut débit à Internet comme des « services d’information” ce qui les rend moins concernés et moins sensibles aux préoccupations de régulation de la FCC.

Elle affirme que le Communication Act supporte cette reclassification en s’appuyant sur ce que le NPRM expose comme étant des décisions bipartisanes à cet effet.

Enfin, elle argumente sur fait que la reclassification Title II intervenue en 2015 a eu des effets négatifs sur le consommateur Américain ainsi que sur les investissements des opérateurs et l’innovation. Cependant, elle ne cite que des études faites par un syndicat d’opérateurs : « notre rapport annuel sur les investissements haut débit montre qu’ils ont baissé de $1 milliard en 2015 et que la tendance s’est poursuivit en 2016 » mais deux rapports viennent les contredire. L’un réalisé par Free Press montre que les investissements des ISP cotés en Bourse ont augmenté de 5% durant la période de 2 ans après l’Open Internet Order de 2015 et les opérateurs de câble ont vu leurs investissements physiques sur les réseaux bondir de 48% sur les 2 ans. L’autre, une étude menée par l’Internet Association précise que les investissements des telcos sur leurs réseaux ont augmenté de 5,1% de 2014 à 2015 et de 5,3% de 2015 à 2016.  Elle confirme la forte augmentation pour les cablo-opérateurs. La tendance globale de l’ensemble du document est donc a la dérégulation…plutôt qu’à la recherche de nouvelles idées pour régler le problème juridique de la Neutralité du Net.

Quel impact sur la Neutralité du Net en europe ?

Les européens disposent de leur propre système de régulation à la Commission Européenne avec le Berec (Body of European Regulators on Electronic Communnications) qui « anime » les différents organismes régulateurs de chaque pays (NRA ou Rational Regulation Authority). Il se trouve que le Président du Berec cette année est Sebastien Soriano, le représentant de la France et Président de l’Arcep qui avait été nommé début 2015 par François Hollande.  L’un de ses objectifs exprimés lors de sa nomination était la mise en place de la neutralité du Net.  Il affirmait: « Nous avons une forte concurrence lorsqu’on parle de prix. Nous considérons que les prix sont OK dans la mesure où ils n’ont pas besoin de baisser. La question est de savoir si nous avons suffisamment d’investissements et de connectivité, et c’est là le vrai challenge. » Il semble bien assis sur une position plus confortable que son collègue Américain dans la mesure où selon lui, « les règles qui ont été appliquées sur la Neutralité du Net ont été définies par les politiques et le parlement européen a adopté une régulation ».

Mais la situation est peut-être aussi préoccupante si l’on écoute les représentants de « la Quadrature du net » qui fustigent la mise en place du nouveau  Code Européen des Télécoms entrepris depuis la fin de l’année dernière qui est en fait la révision du Paquet Telecom. Selon cette organisation, le projet européen mènerait l’Europe tout droit sur les chemins d’une oligarchie des télécoms et « ferait reculer l’Europe d’un pas sur le chemin d’une société du numérique libre, développée et égalitaire. » Il suffit de regarder de plus près la dynamique de l’évolution du marché des télécoms en France pour s’en faire une idée.

 

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Partie 1 : Dossier Neutralité du Net (1/4) Remise en question aux Etats-Unis…
Partie 2 : Dossier Neutralité du Net (2/4) Les opérateurs ripostent
Partie 3 : Dossier Neutralité du Net (3/4) Les tribulations de l’Open Internet Order