Plus importante entreprise de l’indice Dow Jones, IBM est le symbole des entreprises dont la préoccupation principale est de maximiser la valeur aux actionnaires à la défaveur des autres parties prenantes.

Dans ces nouveaux comportements des entreprises, le Washington Post retient IBM comme exemple de cette tendance (Maximizing shareholder value: The goal that changed corporate America[1]) dans la mesure où Big Blue a traversé les âges en modifiant singulièrement son éthique et ses règles de fonctionnement.  Pour ces entreprises remodelées aux couleurs du capitalisme moderne, l’alpha et l’Omega est d’optimiser la valeur des actionnaires, un objectif qu’IBM a remarquablement réussi. Un investisseur qui aurait placé 1000 actions pour un montant total de 16 000 dollars en 1980 serait à la tête d’un pactole de 400 000 dollars, soit un ROI de 25 en un peu plus de 30 ans. Cette préoccupation pour les actionnaires ne s’est pas faite sans oublier les cadres dirigeants de l’entreprise. Depuis les années 70, le revenu moyen des CEO a été multiplié par quatre.

Dans le cas d’IBM, le changement de cap a été pris par Lou Gertsner au début des années 90 à un moment où l’entreprise était au bord de la faillite après deux exercices consécutifs pontués de pertes abyssales[2]. Il fallait sans doute un « crane d’œuf » venant de l’extérieur[3]  pour changer de fond en comble l’esprit et l’éthique qu’avaient  imprimé les deux Thomas Watson, cumulant à eux deux 57 ans à la tête de l’entreprise sur ses presque 100 ans d’existence[4]. Certes Lou Gertsner a préservé du démantèlement, une menace qui planait depuis le procès antitrust à partir de la fin des années 70 mais ce résultat n’a pas été obtenu sans douleur puisqu’environ 60 000 postes ont été supprimés en quelques mois.

Aux trois principes énoncés par Thomas Watson dans un texte fondateur A Business and Its Beliefs: The Ideas that Helped Build IBM[5], Lou Gerstner lui a substitué ses huit principes[6] marquant une rupture majeure par rapport à son prédécesseur et définissant la valeur de l’actionnaire et la satisfaction du client comme les deux axes majeurs de l’action de l’entreprise. C’est lui-aussi qui a propulsé IBM vers les services, une stratégie suivie et amplifiée par son successeur Sam Palmisano qui y ajoutera la composante logiciels et définira son plan d’action dans la « 2015 Road Map » dont l’objectif central est de doubler le revenu par action à 20 dollars. Un plan qui a été validé par Virginia Rometty à la tête d’IBM depuis 2012.

28 IBM WP1

Il fut un temps se désole le quotidien où la destinée des entreprises se confondait avec celle de leur communauté immédiate, les villes dans lesquelles elles étaient situées, ou de leur nation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Pour preuve, dans les années 80, le siège historique d’Endicott dans l’état de New York hébergeait plus de 10 000 salariées, aujourd’hui, ils ne sont plus que 700. D’ailleurs, IBM ne donne plus de chiffres sur la répartition de ses salariés dans les différentes filiales depuis 2009.

Mais des estimations publiées sur le site IBM Employee News and Links qui représente différentes organisation de salariés indique qu’IBM emploierait 120 000 salariés en Inde et seulement 90 000 aux Etats-Unis. L’intérêt pour les pays émergents qui doivent constituer 30 % des revenus d’IBM en 2015 s’est  doublé d’une délocalisation massive des emplois dans des pays disposant d’une importante réserve de main d’œuvre qualifiée et à faible salaire. IBM France a frais aussi les frais de cette politique en passant de 25 000 salariés à moins de 10 000 aujourd’hui. Cette fuite programmée des cerveaux s’est doublée d’une politique des revenus et des avantages sociaux beaucoup moins  avantageuse pour les employés. En 1999, IBM a changé radicalement son système de retraite aux Etats-Unis, ce qui conduit les employés a lancé une action en nom collectif (class action) qui s’est  traduite par un accord au terme duquel IBM a versé 320 M$. L’année dernière, IBM a de nouveau changé son système d’épargne retraite par capitalisation connu sous la référence 401 (k).

Cette nouvelle stratégie adoptée dans nombre d’entreprises n’est pas écrite depuis toujours précise l’article du quotidien. Elle a été préparée dans les années 70 par des économistes libéraux avant d’être reprise dans les grandes entreprises. En 1976, deux économistes, Michael Jensen et  William Meckling, publient un article dans lequel les actionnaires sont considérés comme les acteursmajeurs de l’entreprise qui embauchent les dirigeants et les membres du conseil d’administration pour jouer le rôle d’ « agents » destinés à la mise en œuvre de leur stratégie.

Pour la défense des entreprises incriminées, la mondialisation a complètement changé les règles du jeu. « La globalisation et l’augmentation de la concurrence rendent difficile la comparaison avec l’entreprise des premiers jours lorsque Thomas Watson était aux commandes, explique Doug Shelton, porte-parole d’IBM cité par le Washington Post. Mais IBM possède les ressources humaines les plus importantes et les plus talentueuses du  secteur ».

 


[1] Un jour après sa publication, l’article a reçu plus de 500 commentaires

[2] 8,7 mds$ en 1993 sur un CA de 62 mds$ et 9 mds$ en 1992 sur un CA de 64 mds$

[3] Titulaire d’un MBA de l’université de Harvard, Lou Gertsner a exercé des responsabilités chez  RJR Nabisco, American Express et McKinsey & Company

[4] IBM va fêter ses 100 ans en 2014

[5] Le respect de l’employé, l’engagement vis-à-vis du client et la recherche de l’excellence

[6] Leading By Principles’ from Lou Gerstner’s « Who Says Elephants Can’t Dance? :

1. The marketplace is the driving force behind everything we do.
2. At our core, we are a technology company with an overriding commitment to quality.
3. Our primary measures of success are customer satisfaction and shareholder value.
4. We operate as an entrepreneurial organization with a minimum of bureaucracy and never ending focus on productivity.
5. We never lose sight of our strategic vision.
6. We think and act with a sense of urgency.
7. Oustanding, dedicated people (constructive impatience) make it all happen, particularly when they work as a team.
8. We are sensitive to the needs of all employees and to the communities in which we operate
.