C’est à celui qui aura la plus grosse… machine quantique. Dans l’univers du quantum computing, chaque mois un nouvel acteur revendique proposer l’ordinateur quantique le plus puissant… sans que personne ne puisse vraiment vérifier les affirmations et sans qu’aucune application concrète n’ait pu à ce jour démontrer la supériorité de l’ordinateur quantique !
Cet été, Honeywell entrait officiellement sur le marché quantique avec un ordinateur affichant un Volume Quantique (un indice de performance inventé par IBM) de 64 avec une machine ne disposant pourtant que de 6 Qubits. Rappelons que le Volume Quantique ou QV (Quantum Volume) est un indice de performance qui combine plusieurs critères : nombre de qubits simultanément utilisables, temps de cohérence, taux d’erreurs de portes, taux d’erreurs de mesures, efficacité de compilation, longueur des circuits quantiques, débit de connectivité, etc.
En septembre dernier, IBM affirmait avoir lui aussi réalisé un circuit quantique suffisamment long pour atteindre un QV de 64 sur l’une de ses machines « Falcon » à 27 qubits. Depuis, IBM a officialisé « Hummingbird » son nouvel ordinateur quantique 65 qubits. Et a dévoilé une roadmap qui n’engage certes que le constructeur mais qui ambitionne d’atteindre les 1 121 qubits en 2023 (avec sa machine « Condor »).
L’Advantage de D-Wave
Fin septembre, D-Wave lançait son « D-Wave Advantage » (annoncé un an plus tôt) revendiquant le titre de plus puissant ordinateur quantique « commercial » au monde. Rappelons que D-Wave, le pionnier canadien de l’informatique quantique, commercialise des ordinateurs quantiques depuis 2011, des machines à recuit quantique simulé dites « adiabatiques ».
Contrairement aux ordinateurs à portes universelles développées par IBM ou Google, les machines adiabatiques (issues des travaux de Edward Farhi) sont spécialisées dans l’exécution d’algorithme cherchant à faire converger un système complexe de qubits vers une solution de problèmes d’optimisation. Souvent considérées comme une catégorie à part et limitée, ces machines n’en utilisent pas moins des qubits et sont capables d’exécuter un grand nombre d’algorithmes quantiques actuellement connus, notamment ceux liés à la simulation des phénomènes de la physique quantique et à l’optimisation de parcours ou d’assemblages. D-Wave propose même des algorithmes quantiques de Machine Learning adaptés à ses machines.
La nouvelle machine de D-Wave est conforme à la « Loi de Rose », édictée par Geordie Rose co-fondateur de l’entreprise et pendant quantique de la loi de Moore, qui prédit un doublement tous les deux ans du nombre de qubits. L’Advantage embarque en effet 5 640 qubits. Ces derniers, qualifiés de « qubits de qualité moyenne » par certains experts, sont assemblés de sorte que chaque qubit peut se connecter à 15 autres.
Reste à savoir si l’approche très particulière de D-Wave procurera l’avantage annoncé par le nom de ce nouvel ordinateur. D-Wave produit des machines à plus de 1000 qubits depuis 2015 sans que rien de révolutionnaire ou prouvant la suprématie quantique n’ait été vraiment produit. Cependant, les responsables de D-Wave affirment qu’avec l’Advantage et le très original Hybrid Solver Service de son cloud QaaS Leap 2, les entreprises vont enfin pouvoir passer aux applications concrètes. « Avec 10 millions de variables disponibles, contre 10 000 précédemment, nous sommes vraiment arrivés à un point où nous sommes en mesure de soutenir un plus large éventail d’applications et où les entreprises vont pouvoir exploiter des applications en production » explique Alan Baratz, le PDG de D-Wave. Pour rappel, les machines D-Wave sont accessibles au travers du service cloud Leap du constructeur ainsi qu’au travers du service Braket d’AWS.
IONQ et ses 32 qubits « parfaits »
Histoire de reprendre la main sur l’actualité, l’une des startups les plus médiatisées de l’univers quantique, IONQ, revendique elle aussi cette semaine le titre d’ordinateur quantique le plus puissant au monde. Rappelons que IONQ, spin-off de l’université de Maryland, développe un processeur quantique à base de ions piégés. Celle-ci présente l’avantage d’afficher des taux d’erreur bien plus faibles que les technologies concurrentes d’IBM, Google ou D-Wave par exemple. Une équipe de l’université de Princeton, dirigée par Margaret Martonosi, a en juin 2019 publié des comparaisons directes de calculs quantiques réalisés sur différentes machines quantiques. L’étude montrait que la machine 5 Qubits à ions piégés de IonQ donnait une réponse juste 90% du temps, alors que les autres affichaient des réponses exactes moins de 50% du temps. Étude par ailleurs contestée, puisque plus une machine intègre de Qubits plus les taux d’erreurs s’enflamment.
Selon IONQ, sa nouvelle machine dispose de 32 Qubits « parfaits » et affiche de faibles taux d’erreurs sur les portes quantiques. Toujours selon IONQ, cette machine pourrait atteindre un Volume Quantique QV de 4 000 000, sans aucune commune mesure avec les « misérables » QV 64 des dernières machines IBM ou Honeywell. Plus surprenant encore, la technologie d’IONQ intègrerait un code de correction d’erreurs s’appuyant seulement sur 13 qubits physiques (alors que l’on évoque plutôt 10 000 qubits physiques pour les ordinateurs à qubits supraconducteurs).
Bien sûr, ces affirmations sont pour l’instant totalement invérifiables. D’autant que si l’on en croit les responsables d’IonQ, il faudra encore attendre deux générations de machines pour constater une suprématique quantique sur des applications concrètes. « En une seule génération de matériel, nous sommes passés de 11 à 32 qubits, et, plus important encore, nous avons amélioré la fidélité nécessaire à l’utilisation de ces 32 qubits » fanfaronne Peter Chapman, PDG et président d’IonQ. « Selon l’application, les entreprises auront besoin d’entre 80 et 150 qubits de fidélité très élevée et portes logiques pour bénéficier d’un avantage quantique. Notre objectif est de doubler ou plus le nombre de qubits chaque année ».
Le nouvel ordinateur quantique apparaîtra sur les services QaaS d’AWS et d’Azure en 2021.
Bref, les déclarations des uns et des autres sont à prendre avec des pincettes. Mais elles confirment une chose : la recherche dans l’univers quantique progresse à grande vitesse et les Américains continuent de caracoler en tête. Plus le temps passe, plus l’Europe semble à la traîne malgré la qualité de ses recherches en la matière, de ses chercheurs et de ses startups quantiques. A ce stade, rien n’est encore joué. De nombreux autres acteurs travaillent sur d’autres pistes fondamentales qui doivent un jour nous conduire aux fameux LSQ (Large Scale Quantum Computers).