Jihad numérique : état des lieux, enjeux opérationnels et juridiques
François Paget, Secrétaire Général Adjoint du CLUSIF et animateur du groupe « Panorama »
Deux représentants de la Sous-Direction de Lutte contre la Cybercriminalité / Division de l’anticipation et de l’analyse – Ministère de l’Intérieur
Amélie Paget, Consultante Juridique SI – HSC by Deloitte
En marge des attentats de 2015, Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle différent et plus important que par le passé. Ces dernières années, explique Francois Paget, « la toile était connue comme une plateforme de communication et de propagande pour des groupes terroristes qui découvraient, sur le tard, les nouvelles technologies ».
Parallèlement à l’essor de Twitter et de Facebook et au détriment des forums de discussion, Daesh a, selon lui, changé la donne en s’entourant de spécialistes des médias, de la vidéo et parfois du renseignement. « Ceux-ci connaissent maintenant le Darknet et ses boutiques », ajoute-t-il. Au-delà de la propagande, ils diffusent des conseils avisés en matière de communication et de chiffrement. Ils poussent leurs sympathisants à se tourner vers de nouvelles plateformes d’échanges telles que Telegram. Le discours reste simpliste et fédérateur et la mise en relation est parfois facilitée par les modules de suggestion d’amis qu’offrent toutes ces applications.
A l’occasion de cette triste actualité, le délai de réaction face à des contributions à éliminer a parfois été critiqué. Avec le mouvement Anonymous, la riposte est aussi passée par Internet. Elle a connu son lot habituel d’approximations et de bévues allant parfois même, le craint Francois Paget, « jusqu’à compliquer le travail des services de renseignement ». Les réseaux sociaux ont aussi permis, dans l’urgence, l’essor d’inattendus élans de solidarité (#PorteOuverte). « Certains y verront peut-être une arrière-pensée mercantile, mais le contrôle d’absence de danger (bouton Safety check), puis le filtre tricolore en solidarité avec notre pays, ont été généralement très appréciés ».
Il y a bien sûr eu des rumeurs et des fausses alertes, mais la présence constante des forces de sécurité sur ces mêmes réseaux sociaux en a minimisé l’impact. Force est donc de constater qu’Internet joue, dans le domaine du terrorisme, un rôle important. Il n’est cependant jamais seul dans les trajectoires de radicalisation : « consulter un site djihadiste ne fait généralement pas de vous un djihadiste » indique Francois Paget, « il peut être un facteur de renforcement de la radicalisation, mais des rencontres et des interactions sociales au sein du monde réel seront généralement nécessaire avant le passage à l’acte ».
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Pour les représentants de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, les attentats de janvier et novembre 2015 ont consacré les nouvelles formes de terrorisme dans leur accompagnement et leur contextualisation via Internet. Les terroristes utilisent désormais activement les moyens de communication modernes, notamment les principes du marketing viral, pour toucher leur cœur de cible de la façon la plus large et la plus efficace possible.
A cette évolution répond un changement similaire dans la lutte contre le terrorisme : l’anti-terrorisme 2.0 a fait son apparition. En janvier, les signalements effectués par des citoyens sur la plateforme PHAROS (http://internet-signalement.gouv.fr) ont été multipliés par 10 par rapport à la normale. Au-delà de l’expression d’une émotion, ils avaient aussi pour but de lutter activement contre le terrorisme en signalant aux autorités des contenus annonçant des attentats à venir ou relevant de l’apologie.
Cette tendance s’est amplifiée en novembre 2015 : la qualité policière des informations envoyées a très fortement progressé avec une proportion beaucoup plus importante de signalements pertinents donnant lieu à procédure judiciaire. La réponse des autorités n’est pas en reste : la coopération entre les services antiterroristes et de lutte contre la cybercriminalité est toujours plus importante. Les unités judiciaires cyber sont co-saisies pour apporter leur soutien tandis que les unités techniques fournissent leur expertise aux groupes d’enquêtes durant les perquisitions. La DCPJ affirme donc sans détour, que tant du côté des forces de l’ordre, que du grand public, la lutte antiterroriste 2.0 est en marche.
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Au cours de ces quinze dernières années, l’arsenal judiciaire dédié à la répression du terrorisme n’a cessé de se renforcer, rappelle Amélie Paget. L’année 2015 a été dédiée aux pouvoirs de police administrative et, réaction politique aux évènements de 2015, les textes consacrés à la prévention du terrorisme se sont multipliés. Ces projets et propositions de loi très médiatisés ont fait l’objet de critiques multiples. Entrant dans le cœur du sujet, Amélie Paget présente les dispositions consacrées à la surveillance des communications électroniques et les textes définitivement adoptés.
Il s’agit d’abord de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Elle permet aux services de renseignement d’accéder aux données de connexion, d’intercepter les correspondances électroniques et d’échanger sur les réseaux sociaux. Ces prérogatives sont renforcées lorsqu’elles sont justifiées par la prévention du terrorisme.
En second lieu, le régime des interceptions administratives des communications émises ou reçues à l’étranger, censuré par le Conseil constitutionnel, a fait l’objet d’un texte isolé : la loi du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
Suite aux attentats de novembre dernier, l’état d’urgence a été déclaré puis prorogé pour une durée de trois mois par la loi du 20 novembre 2015. Les dispositions de la loi de 1955 ont été complétées afin, notamment, d’ajouter des pouvoirs d’investigation numérique aux prérogatives de police administratives. Ainsi, dans le cadre de l’état d’urgence, les forces de l’ordre peuvent accéder aux systèmes informatiques et copier les données accessibles depuis les équipements se trouvant sur les lieux d’une perquisition. Le Ministre de l’Intérieur peut également ordonner l’interruption d’un service de communication en ligne faisant l’apologie ou provoquant à la commission d’actes terroristes.