450 millions d’euros pour démarrer, 40.000 GPU au final… L’opérateur Sesterce voit grand avec son futur supercalculateur installé près de Valence et le campus d’innovation IA qui l’accompagne. Une aubaine pour la Drôme, une chance pour l’IA française, mais aussi un projet qui soulève déjà bien des questions…
Méconnu du grand public, Sesterce est un opérateur spécialisé dans les infrastructures de calcul haute performance, né en 2018 et vasé à Marseille (avec des bureaux à San Francisco et Abu Dhabi). Créé par Youssef El Manssouri et Anthony Tchakerian pour initialement fournir des équipements et service de blockchain et de minage de cryptomonnaie, l’opérateur a profité de sa maîtrise des clusters de GPU pour élargir ses activités au HPC et bien évidemment à l’intelligence artificielle (plus grand consommateur de GPU que l’humanité n’ait jamais connu). L’opérateur gèrerait déjà plus de 100.000 GPU au travers ses différents points de présence (France, Allemagne, Finlande, Suède, USA, Canada, Pologne…).
Sesterce avait fait sensation en Février dernier en annonçant à l’occasion du « Sommet International de l’IA » à Paris son projet de futur calculateur dédié à l’IA et son campus dédié tous deux installés dans la Drôme.
Cette semaine, Sesterce a dévoilé plus en détail cet ambitieux projet. Implanté à Alixan, près de la gare Valence TGV, sur le site de Rovaltain, ce projet bénéficie d’un budget initial de 450 millions d’euros (mais devrait au final atteindre 1,8 milliard d’euros en incluant l’ensemble des processeurs graphiques GPU) et vise à positionner la France comme acteur clé de la souveraineté numérique européenne et le leader européen de l’IA.
Une infrastructure record pour l’IA européenne
Le site d’Alixan accueillera ce qui s’annonce comme « le plus grand supercalculateur de France, voire d’Europe », selon Anthony Tchakerian, co-fondateur et directeur général de Sesterce. Une fois pleinement opérationnelle, l’infrastructure sera équipée de 40 000 GPU dédiés à l’entraînement et l’inférence des modèles d’intelligence artificielle.
Le déploiement se fera progressivement, avec une première mise en service dès 2026 par tranches de 6 mégawatts, pour atteindre sa pleine capacité au dernier semestre 2027. Ce projet s’inscrit pleinement dans le Plan IA 2030 annoncé lors du Sommet international de l’intelligence artificielle à Paris en février dernier.
Un campus dédié à l’innovation
Au-delà du supercalculateur, Sesterce développera un campus d’intelligence artificielle dans les anciens locaux du pôle Écotox (le projet de plateforme européenne de recherche en écotoxicologie et toxicologie environnementale inauguré en 2017 par François Hollande et qui s’est rapidement transformé en feu de pailles plombé par la crise COVID), rachetés à l’Institut Mérieux.
Ce campus IA se veut un écosystème collaboratif réunissant entreprises, startups, chercheurs et étudiants. « On ne va pas faire des campus IA de partout, à côté de chaque calculateur en France, mais ici le bâtiment s’y prête », explique Anthony Tchakerian.
Le lieu comprendra :
* Des incubateurs et accélérateurs pour accompagner les startups
* Des programmes de formation et bootcamps dans le domaine de l’IA
* Des espaces dédiés à la collaboration entre industriels et chercheurs
Un projet qui suscite quelques interrogations
Le projet devrait générer environ 800 emplois dans l’écosystème local, selon Sesterce. Sur le plan environnemental, l’opérateur met en avant un système de refroidissement innovant en circuit fermé. « Grâce à notre système, nous atteignons un rendement énergétique exceptionnel avec 98% d’effet Joule, tout en économisant 96% d’eau par rapport à un système classique », affirme Anthony Tchakerian. L’eau qui circule pour refroidir les serveurs ressort chauffée à environ 60 degrés et transfère sa chaleur à un second circuit via un échangeur thermique. Cette chaleur récupérée pourra alimenter l’industrie et le chauffage urbain, réduisant ainsi les émissions locales de CO₂ de 60% selon l’entreprise.
Malgré le soutien affiché des autorités locales, dont le préfet de la Drôme Thierry Devimeux qui parle d’un projet « structurant pour le territoire », certains acteurs locaux restent sceptiques. Le collectif citoyen « Le choix de Valence », par la voix de son président Jules Boyadjian, demande « une étude indépendante pour évaluer l’impact environnemental » et garantir la protection de l’agriculture et des nappes phréatiques locales.
Le projet bénéficiera toutefois des dispositions de la loi industrie verte, qui accélère le processus d’autorisation environnementale. Le dépôt du permis de construire est prévu pour le 28 juin 2025, avec les cabinets Patriarche pour l’architecture et Equance (filiale de Bouygues) pour la construction du data center.
Outre les éventuels freins associatifs et écologiques d’un tel projet, beaucoup s’interroge sur les partenariats que l’opérateur saura ou non créé pour assurer la pérennité de son projet. Le directeur de Sesterce ne s’en cache d’ailleurs pas confirmant que « La start-up que l’on est ne peut pas développer des nouveaux usages de l’IA toute seule »
Ce supercalculateur de Rovaltain ne serait qu’une première étape pour Sesterce dans son ambition de devenir le leader européen des infrastructures IA. L’opérateur prévoit en effet d’ouvrir d’autres infrastructures « plus puissantes encore » peut-être dans le Grand Est et dans le Sud de la France.