Il y a peu, Oracle a indirectement annoncé une augmentation de ses coûts de licences de bases de données pour des machines virtuelles hébergées dans le cloud. Cela se fait par un tour de passe-passe dont les éditeurs ont le secret afin de doper leur chiffre d’affaires sans vendre plus. Jusqu’ici, un CPU virtuel de machine virtuelle équivalait à un demi CPU physique. Cela ne sera désormais plus le cas. Les licences Oracle pour le cloud vont donc couter deux fois plus cher !

Au-delà du changement de tarif, il s’agit pour Oracle de rendre les offres de cloud public concurrentes moins compétitives que la sienne. Lors de la dernière grand-messe d’Oracle, Larry Ellison avait clairement désigné l’adversaire à abattre : Amazon Web Services. Mr Ellison n’a pas un tempérament de perdant et il sait se donner les moyens de gagner.

Rendre les coûts de son adversaire plus élevés est un moyen efficace et rapide pour dégager un avantage concurrentiel ; bien plus que de construire une offre de cloud public véritablement compétitive. Ce n’est pourtant pas forcément une stratégie gagnante !

Surtout, cette annonce est révélatrice d’un vrai danger pour le cloud public : une guerre des licences logicielles qui pourrait s’assimiler à un protectionnisme des éditeurs engagés sur le cloud.

Pour déployer ses applications sur un cloud, le client a besoin de licences logicielles et en particulier de licences middleware (OS, bases de données, et autres outils applicatifs indispensables au fonctionnement de ses applications). Or un certain nombre des grands acteurs du cloud sont aussi parmi les éditeurs majeurs mondiaux (Microsoft avec son OS Windows server, sa base de données SQL Server, mais aussi tout un ensemble de logiciels de développement qui ne tournent que sous Windows Server. Oracle est le leader mondial des bases de données en particulier, mais aussi d’un bon nombre d’ERP.)

Microsoft a toujours su inventer des règles de licences complexes qui défavorisent l’hébergement de ses solutions sur des plateformes mutualisées de type cloud, pourtant plus avantageuses pour les clients.

On ne peut s’empêcher de craindre un mouvement où les éditeurs de logiciel également présents sur le Cloud se mettraient à défavoriser outrageusement un hébergement sur les clouds publics concurrents.

Cette tentation est assimilable à celle d’un protectionnisme mal pensé qui se retournerait contre son initiateur.

Ce « chacun pour soi » comporte des inconvénients majeurs pour le cloud public et les sociétés qui l’utilisent :
– Un client final ne pourra pas disperser son système d’information sur différents Clouds en fonction des règles de licences des logiciels qu’il utilise ;
– De même un client aura du mal à accepter d’aller sur un cloud qu’il n’a pas choisi, juste parce que les règles de licences y sont plus favorables ;
– Enfin, un client déjà dépendant d’un éditeur comme Microsoft ou Oracle acceptera difficilement de devoir renforcer cette dépendance en utilisant de manière contrainte le Cloud de cet éditeur ;
– Cette situation pourrait enfin contraindre demain un client qui change de logiciel à migrer son système d’information sur un autre Cloud.

Tout cela est difficilement concevable, et on voit bien qu’une telle situation présente un risque mortel pour le Cloud public. Si cette situation devait se produire, il est probable que les entreprises reviennent à des solutions plus classiques de cloud privé, plus souples, moins contraignantes d’un point de vue des licences, et ainsi davantage sous leur contrôle.

Pour le bon développement du Cloud public, il est essentiel que les règles de licences restent neutres et permettent aux clients finaux d’organiser leur SI comme ils l’entendent.

Si les clients craignaient de se sentir captifs d’un Cloud public, ils en deviendraient très réticents à y migrer leur système d’information. Les difficultés de réversibilité sont déjà aujourd’hui une préoccupation et une objection à l’égard du Cloud, une guerre des licences pourrait les en décourager totalement.

Les éditeurs doivent donc faire le choix de l’équité et permettre à leurs clients dans le cloud public qu’ils jugent le mieux adapté à leur besoin. Le cloud public est un formidable vecteur de croissance pour le marché de l’informatique en facilitant les projets, les nouveaux déploiements et le développement de nouveaux services numériques.

Les éditeurs ne doivent pas se tromper de bataille, ils doivent faire le pari que la croissance du cloud tirera celle de l’utilisation de leurs logiciels. Ce n’est pas en obligeant leurs clients à venir s’héberger sur leur propre cloud qu’ils seront gagnants, mais bien en proposant une offre logicielle très concurrentielle.

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Christophe Lejeune est Directeur Général d’Alfa Safety