La Cour Suprême vient de débouter Oracle et d’abonder dans le sens de Google : le fait que Google ait copié les API de Java sans pour autant en copier l’implémentation constitue un usage équitable des API et non une violation de copyright.
En janvier 2020, nous revenions sur le conflit qui oppose Google et Oracle depuis 10 ans autour de l’utilisation des API Java au sein d’Android. À l’époque, nous expliquions que la Cour Suprême devait statuer définitivement sur l’affaire en mars 2020 et que derrière cette décision se jouait ni plus ni moins l’avenir des API. Le débat de fond de cette affaire repose sur le fait de savoir si les API peuvent ou non être copyrightées. En la matière, l’Europe a déjà statué depuis longtemps qu’étant par nature un moteur d’intégration et d’interopérabilité, les API ne pouvaient pas être copyrightées. Mais l’affaire restait jusqu’ici suspendue à la décision de la Cour Suprême aux USA, décision repoussée pour cause de pandémie.
Pour rappel, Oracle qui en acquérant Sun en 2009 récupérait la destinée de Java, accusait Google d’avoir simplement « copier/coller 11 000 lignes de code Java » en créant Android. Google ne niait pas avoir copié les API mais estimé que cette copie entrait dans le cadre du « Fair Use ». En 2012, une décision de justice estime que le code logiciel ne peut être copyrighté, décision inversée en appel en 2014. Un autre jury abonde en faveur de Google et de l’idée de « fair use » des API en 2016 avant que ce jugement soit une nouvelle fois retourné en 2018 lors de l’appel. Depuis, la Cour Supreme a accepté de statuer sur ce sujet et le monde était en attente d’une décision..
Il faut aussi rappeler que Google a reçu dans cette affaire le soutien de Microsoft et d’IBM. Pour Microsoft, l’innovation repose sur du développement coopératif, sur l’interopérabilité, sur la réutilisation de code logiciel au travers d’API. Et la notion de « Fair Use » existante doit être souple, respectée, et appliquée aux API. Pour IBM, les API ne peuvent tout simplement pas être copyrightées parce qu’une décision de la Cour Suprême datant de 1878 (oui, 1878 !) fait déjà jurisprudence en la matière : dans l’affaire « Perris versus Hexamer », William Perris estimait à l’époque que Ernest Hexamer avait enfreint ses copyrights en utilisant sur ses cartes, les légendes, symboles et couleurs des propres cartes de William Perris. À l’époque, la Cour suprême avait considéré que les deux cartes n’étaient pas identiques et que l’utilisation commune des symboles et des couleurs ne constituait pas une enfreinte aux copyrights. Pour IBM, les API sont les déclinaisons modernes des symboles et codes couleurs de l’époque permettant la compréhension par tous.
La Cour Supreme des États-Unis vient de donner raison à Google (à raison de 6 voix contre 2). Elle n’a pas vraiment retenu l’argumentation d’IBM mais s’est alignée sur la position défendue par Microsoft et que Google ne cesse de faire valoir depuis 10 ans. Pour la Cour Supreme, « la copie par Google de l’API pour réimplémenter les interfaces Java, en ne prenant que ce qui était nécessaire pour permettre aux utilisateurs de cumuler leurs talents et travailler dans un nouveau programme transformateur, a constitué et constitue une utilisation équitable (Fair Use) ».
Elle infirme ainsi la décision fédérale antérieure de 2018, qui avait conclu que l’utilisation de l’API par Google constituait une infraction.
Et d’ajouter « la copie de l’API Java de Sun par Google était une équitable utilisation des API en vertu de la loi ».
Pour autant, la Cour Suprême des USA n’est pas allée aussi loin que les observateurs l’espéraient. Nombreux sont ceux qui espéraient, comme dans le cadre de l’affaire « Perris vs Hexamer », une confirmation que si les implémentations des API (autrement dit le code exécuté à l’appel d’une API) peut relever de la propriété intellectuelle, l’API elle-même (autrement dit son nom et ses paramètres) ne peut relever du copyright. Ce n’est pas le cas. En l’occurrence, la Cour Suprême n’a pas statué sur ce point. Elle ne reconnait que le « Fair Use » des API Java par Google.
Une décision qui, néanmoins, est plutôt une bonne nouvelle dans un univers informatique cloud où tout repose désormais sur les API.