L’arrivée de Microsoft sur le marché des plateformes de gestion des expériences des employés est tout sauf anodine. Ce marché est en pleine expansion après l’année pandémique et les transformations qu’elle a engendrées sur la perception et l’organisation du travail….

Avec la pandémie, le marché déjà actif de l’ « Employee Experience » a connu un vif regain. Développement et gestion des talents, bien-être des salariés, outils RH de feedback et d’interrogation des employés, gestion des apprentissages et des carrières, les plateformes EX sont devenus des outils clés des RH modernes et de la dématérialisation des RH. Cela représente un marché de plus de 300 milliards de dollars par an !

Un marché poids lourd

Les acteurs de ce marché se nomment ADP, Oracle, SAP, Workday mais aussi Cisco ou ServiceNow. La semaine dernière Qualtrics (que SAP a rachetée pour 8 milliards de dollars en 2018 avant d’annoncer en juillet 2020 un spin out tout en restant majoritaire) réussissait son IPO avec une valorisation à 27,3 milliards de dollars (soit 51% de plus que la mise d’entrée).

Autant dire que l’annonce de l’arrivée de Microsoft sur ce marché est un véritable séisme. L’éditeur lance rarement de nouvelles plateformes. La dernière en date n’est autre que Teams. Hier soir, Microsoft a annoncé sa nouvelle plateforme « next gen » dédiée à l’expérience des employés : Microsoft Viva. Et tout porte à croire que cette plateforme sera pour l’éditeur aussi fondamentale que peut aujourd’hui l’être Teams ou Microsoft 365. Car quand Microsoft débarque sur un marché, il adopte une approche qui est toujours un peu la même : couvrir 80% des besoins de 80% du marché ce qui laisse peu de place à la concurrence mais pas mal de place aux partenaires pour bâtir les 20% de besoins spécifiques au-dessus.

Microsoft n’est pas novice sur ce marché

L’éditeur n’est pas franchement un nouvel entrant sur ce marché. Il dispose déjà d’une arme phénoménale et très bien implantée : LinkedIn et ses 740 millions d’utilisateurs professionnels. D’autant que LinkedIn a acquis en 2018 Glint, startup spécialisée dans l’engagement des salariés (Employee Engagement) avec ses mécanismes de sondage et de rapports. Sans oublier la plateforme Yammer, les fonctionnalités RH de Dynamics 365, la plateforme Microsoft Learn, la plateforme Workplace Analytics (issue de l’acquisition de Volometrics)… Autant dire que Microsoft débarque sur ce marché avec une solide expérience et des outils qui ne demandaient finalement plus qu’à être unifiés.

L’apparition de Microsoft sur ce marché des plateformes EX n’est donc pas une surprise surtout pour une entreprise dont le mantra depuis l’arrivée de Satya Nadella est justement de permettre « aux utilisateurs et aux entreprises de faire plus » : « our mission is to empower every person and every organization on the planet to achieve more ».

Une plateforme très ouverte

Microsoft Viva est une plateforme qui cherche à unifier toutes les problématiques RH et s’inscrit totalement dans les mouvances nées de la crise pandémique tels le workplace hybride et le Human Xperience Management. Viva cherche à unifier les plateformes de formation, les portails d’engagement des employés, les réseaux sociaux d’entreprise, la diffusion de vidéos en interne, etc. Le tout en lien avec sa plateforme collaborative Microsoft 365 (et son hub universel Teams). Viva est d’ailleurs très intimement intégré à Teams qui lui sert de plateforme d’échanges.

En tant que plateforme elle offre quatre applications fondamentales tout en s’ouvrant aux principaux outils concurrents ou complémentaires du marché. Autrement dit, l’adoption de Microsoft Viva ne remet pas forcément en cause les choix technologiques déjà réalisés par l’entreprise sur plusieurs volets de l’expérience employés.

Quatre briques clés

Les quatre briques applicatives de Viva sont :

Viva Topics, autrefois connu sous le nom de Project Cortex (pour le coup Microsoft avait bien caché son jeu), est une plateforme de recherche qui explore emails et documents grâce à l’IA pour comprendre les expertises des différents collaborateurs et mieux les exposer à toute l’entreprise. C’est un moteur de gestion des connaissances pour rapidement retrouver des informations clés et les experts sur les différents sujets au cœur de l’entreprise.

Viva Insights est l’ultime évolution de Workplace Analytics et ses outils d’analyse de productivité et d’aide personnelle à trouver des temps de concentration, de collaboration, etc. Microsoft semble vouloir en faire la pierre angulaire des fonctionnalités de « gestion du bien-être » et de « gestion du stress » des salariés. Pour éviter les débats, Microsoft y a ajouté une forte couche de sécurité et confidentialité pour s’assurer que seul l’employé ait une vision sur ses données les plus personnelles. Au niveau des RH et des directions, les rapports sont établis sur les données anonymisées.

Viva Learning est une évolution de Microsoft Learn repensée pour être une véritable plateforme « d’expériences d’apprentissage » (LXP, Learning Xperience Platform aussi appelée LEP ou LMS) à l’instar de concurrents comme Tribco, Coursera, Percipio, Degreed, SkillSoft… La force de Viva Learning est d’être une plateforme ouverte ce qui permet aux plateformes actuelles de se greffer dessus et surtout à tous les fournisseurs de contenus d’apprentissage d’y héberger leurs solutions. Typiquement « LinkedIn Learning » sera désormais hébergé sous Viva Learning.

Viva Connections n’est autre que la brique portail de la plateforme qui regroupe toutes les informations, tous les messages, tous les fichiers Sharepoint. Ce portail est un peu une résurrection des concepts d’Intranet, de portail Sharepoint Teams, avec une ouverture qui permet finalement à des plateformes comme Qualtrics de venir intégrer ses sondages ou ses tableaux de bord au sein du portail Viva. C’est la brique d’intégration entre tous les services Microsoft et ceux des concurrents.

La force de Microsoft Viva est aussi sa plus grande faiblesse : sa totale intégration à Teams. Les entreprises qui ont construit leur collaboration autour d’autres solutions que Teams seront probablement beaucoup moins séduites par la plateforme EX de Microsoft que celle qui ont déjà fait de Teams leur hub collaboratif fondamental.

Une solution dans l’ère du temps

En lançant Microsoft Viva, Satya Nadella expliquait que « en 2020, nous avons pris part à la plus vaste expérience de travail à distance à l’échelle mondiale, et elle a eu un impact considérable sur l’expérience de travail des collaborateurs. Chaque organisation a désormais besoin d’offrir à ses collaborateurs une expérience unifiée, depuis l’accueil des nouveaux arrivants, à la collaboration entre les équipes en passant par la formation et le développement des compétences. Viva réunit sur une même plateforme, directement intégrée à Teams, tous les outils nécessaires à la réussite du collaborateur, dès son premier jour dans l’organisation ».

L’éditeur par la voix du patron de la division Microsoft 365, Jared Spataro, explique que « À l’heure où le travail hybride est devenu la norme, il est primordial de donner à chaque individu les moyens d’exploiter tout le potentiel du numérique pour recréer du lien social et une cohésion d’équipe. Intégrée à Microsoft 365 et Microsoft Teams, Viva a vocation à accélérer la collaboration en entreprise et à permettre à chaque collaborateur de se développer et de s’épanouir dans son environnement professionnel. »

Microsoft fait une entrée assez fracassante sur le marché des plateformes EX. Portée par l’omniprésence de Microsoft 365 dans les entreprises et la force de frappe qu’est LinkedIn, la plateforme Viva vient bousculer la donne. Certes, le marché est déjà très encombré avec une multitude de startups et services couvrant un ou plusieurs besoins. Il y a fort à parier que la plupart chercheront à rapidement se greffer sur Viva, d’autres à être vite rachetées par Oracle ou SAP. Et même si Microsoft n’arrive à absorber que 10% du marché, cela représentera une manne d’au minimum 30 milliards de dollars…